Hallucinante est notre société ! Elle chérit celui qui la flatte et maudit celui qui la critique ! Se rend-elle compte que le premier vit à ses dépens et le second l’aime au point de lui donner le meilleur de lui-même ? Après le texte intitulé « comment la femme est violée dans notre société ? », certains m’ont fait savoir que Kamel Daoud a auparavant écrit sur ce sujet et que j’ai utilisé une de ses phrases sans la mettre entre guillemets ! Si je l’avais su, je ne me la serais pas appropriée, cependant cela prouve que je n’ai pas tort en disant que le problème de la femme musulmane, c’est qu’elle ne peut pas faire ce qu’elle veut de son corps ! Elle le possède, mais n’en dispose !
Pourquoi chercher à dévier du sujet, éviter d’aborder le noyau du problème et faire une digression en parlant d’une phrase qui serait celle de Kamel Daoud que je salue chaleureusement ? Je me dis comment une phrase pourrait être plus importante que la déchéance morale dans laquelle baigne notre société ? Si cette phrase vous gêne, je suis prêt à la mettre entre guillemets ou m’en débarrasser, mais qu’est-ce que cela changera en la situation rétrograde et désolante de la femme algérienne ? Qui ose nier ce constat ? À qui appartient réellement le corps de la femme chez nous ? Peut-on parler de « possession ? Par sa naissance, ce corps dont tous les hommes raffolent appartient au géniteur et au frère. Par le mariage, le bien est transmis à l’époux et au beau-père. Autrement dit, la femme pense se libérer par le biais du mariage, alors que ce dernier la libère juste le jour du mariage, quand elle se maquille librement et se choisit les tenues qui exaltent sa féminité, le lendemain, elle se retrouve dans la nouvelle dictature en nom des liens sacrés !
Le philosophe Henri-Frédéric Amiel disait que : « toute vérité n’est pas bonne à dire, celles qui rendent la vie insupportable doivent être tenues secrètes. » Chez nous, c’est celles qui rendent notre vie impossible qui sont dites, enseignées et répandues ! Si le corps de la femme ne lui appartient pas, qu’en est-il de son esprit ? Est-il comme son corps ? A-t-il eu le même sort de ce dernier ? C’est dire blessé et meurtri entre les griffes d’une société misogyne et machiste ! Parlons-en ! Nions-nous que même son nom est une honte et que l’on a vite substitué par un nom d’objets : Dar « la maison », ou par Al makhlouqa hachak « la créature sauf ton respect », L’mra hachak « la femme sauf ton respect » ! Son nom est-il aussi insultant ou excitant comme son corps ? Plutôt son esprit est-il péjoratif comme son nom ?
Perdu, je me demande si cette misogynie était inoculée avec les premiers vaccins que chacun de nous reçoit après la naissance ? Allons plus loin dans l’analyse des phénomènes sociaux, dans la décortication des comportements sociaux de notre peuple sans nous arrêter-là ! Osons dévoiler les causes de la décadence, la source de la dictature sociale dans laquelle nous vivons, une dictature ne commence pas-t-elle au sein de nos familles ? Ayons ce courage de le dénoncer afin de pouvoir y remédier ! Au lieu de sombrer dans l’hypocrisie, de nous dire que « nous sommes la meilleure communauté que Dieu ait surgi à l’humanité », et de nous flatter, regardons-nous dans une glace sans filtre, celle de la réalité que nous vivons ! Sinon, comment la femme a perdu son corps ? D’ailleurs, ne l’a-t-elle pas perdu dans le ventre de celle qui l’a conçue et qui a de sa part aussi perdu le sien ? Désolé, je ne veux pas dire que cela se transmet génétiquement, ce n’est nullement mon intention ! La religion via des imams, des prédicateurs, des écoles et des textes et des interprétations misogynes ont bien formé l’homme de chez nous.
Je me souviens de l’imam du village qui disait en plein prêche de vendredi, du haut de son minaret, je cite : « vous êtes devenus comme les chrétiens et les juifs, vous laissez vos femmes aller toutes seules jusqu’à Alger pour étudier » ! Pour votre savoir, l’imam en question est un universitaire ! Je dis uniquement ceci pour faire court et éviter de relater tous les textes que l’on déclame dans nos mosquées et qui ont empesté et endoctriné l’esprit de l’homme dans notre société et c’est ainsi que l’esprit de la femme a été soumis à celui de l’homme possédé par l’archaïsme religieux ! Autrement dit, si la femme chez nous vit sous la dictature intellectuelle de l’homme, ce dernier est sous celle de Abu Hurayra, Ibn Taymiya et consorts. Donc, si on veut libérer la femme, il faut libérer l’homme de cette dictature religieuse, car elle est la source de tout le malheur qui frappe l’esprit de notre peuple.
Il y a une chose qu’omet de dire Kamel Daoud : il appelle à libération sexuelle de la femme, certes, mais il oublie de dire ce qui freine précisément une telle révolution en terre d’islam, à savoir les hommes eux-mêmes , pratiquants ou pas, qui se gargarisent à l’idée de vivre pleinement et librement leur sexualité, qu’ils l’appellent pieusement de leurs voeux, de leurs discours, à tout bout de champ, dans les villages, dans les villes, dans les campus universitaires, etc. – surtout auprès de la gent féminine dont ils convoitent ardemment la virginité – à l’instar du renard qui flatte le corbeau pour le déposséder de son fromage -, mais quand vient l’heure de se projeter sérieusement avec une femme, disons-le franchement, il évitera soigneusement celles qui ont eu l’audace de s’affranchir de ce sacro-saint interdit qu’est la chasteté, ou plutôt celles qui ont eu la naïveté de croire qu’un homme de culture musulmane puisse sincèrement l’aimer indépendamment de son vécu sentimental et sexuel. En un mot : l’ennemi de la femme a un nom, il s’appelle Monsieur tout le monde.
© Kamel Abderrahmani
Paris le 10 mars 2021
Kamel Abderrahmani, Diplômé en Sciences du langage, a quitté Béjaïa en 2015. Il enseigne la Littérature française en Île de France depuis 2017.
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