Michel H. « Mes » parents ne sont-ils pas aussi vos parents

De nombreux musées, journaux, magazines et maintenant sites internet ou groupes Facebook maintiennent le souvenir des millions de juifs assassinés lors de pogroms et de la Shoah. Ils étaient peintres, savants ou bien poètes. Mais aujourd’hui j’écris cette tribune non pas pour ces juifs remarquables, mais pour mes parents ainsi que pour tous les « juifs ordinaires ».

Permettez-moi donc d’insister sur tous ces juifs anonymes qui sans faire la une des journaux méritent aussi notre admiration et notre respect. En lisant mon hommage à mes parents vous y reconnaîtrez sûrement un peu des vôtres. Cette tribune est aussi pour eux.

L’histoire connue de ma famille commence fin XIX° siècle aux 4 coins de l’Europe Centrale. Mes grands-parents sont nés : Roza en Roumanie, Gitel en Galicie polonaise, Dezsö en Tchécoslovaquie et Salomon en Hongrie (ses parents venant de Belarussie). Les hommes, bons patriotes, ont combattu dans l’armée austro-hongroise en 14-18.

Avant la deuxième guerre mondiale, ils se trouvaient à Budapest, se sont mariés et ont eu 2 fils Sandor (dit Sanyi ou Alexandre en Français) et Albert (dit Albi) pour les uns, un fils Laszlo (dit Laci) et une fille Erzsebet (dit Erzsi ou Elisabeth en français) pour les autres.  

La vie était dure en Hongrie du fait de l’antisémitisme. Salomon était comme il se doit tailleur pour homme, Deszö commerçant en épicerie fine. Leur femme les aidant à la maison et au travail.

Le premier malheur intervint pour ma mère alors qu’elle n’avait que 10 ans, quand après une longue maladie, elle perdit sa mère. Son père se remaria et elle fut mise en orphelinat par sa marâtre. Outre les difficultés « ordinaires » pour les juifs du ghetto de Budapest pendant la guerre, ma mère connut le second malheur de voir son frère aîné fusillé en 1943 par sa propre armée alors qu’il était soldat et refusait les brimades que subissaient les Juifs sous ses yeux.

Ensuite vint 1944, année où le contre-amiral Miklós Horthy puis le Ferenc Szálasi, chefs d’Etat Hongrois, collaborèrent avec le régime nazi pour organiser la déportation des Juifs de Hongrie.

Ma mère fut déportée avec son père qu’elle vit mourir. Mon grand-père paternel fut déporté, je ne sais où, et ne revint pas. Mon père eu la chance, si on peut dire, de rejoindre son frère à Mauthausen, camp de travail, ou plutôt d’esclavage [i] où l’on mourait par épuisement au travail. Mais la chance fit que mon père et mon oncle survécurent à ce traitement. Vous êtes peut-être choqué que je répète le mot « Chance » mais c’est mon père lui-même qui insistait sur ce mot, car il a vu mourir des compagnons plus forts que lui, plus intelligents que lui, plus religieux que lui. Il n’a pu survivre que grâce à sa force de caractère et sa chance. Mauthausen fut le dernier ou l’un des derniers camps libérés le 5 mai 1945.

Ni pour ma mère, ni pour mon père, je ne peux vous dire plus. Car ils n’ont jamais voulu parler et ni mes frères ni moi-même n’avons cherché à extorquer ces souvenirs qui les hantaient parfois la nuit. Imaginez aussi qu’en 73 ans de vie commune, aucun d’eux n’a raconté les moindres détails à l’autre. Non par honte, mais pour ne pas se faire souffrir réciproquement. De plus, jamais mes parents n’ont cherché à être considérés comme des victimes, jamais ils ne se sont plaint. Leur devise, qu’ils nous ont transmise, a été : « Si tu veux toujours avoir 2 mains secourables, utilise-les tiennes »[ii].

Le mutisme de mes parents me rend d’autant plus reconnaissant envers les survivants de la Shoah qui ont eu le courage et la force mentale de surpasser leur souffrance pour transmettre et parler de cette période. Merci Elie Wiesel, Imre Kertesz, Primo Lévi, Elie Burzyn et tant d’autres… Votre parole fait de vous des héros.

Sortis des camps, leur premier but a été de retourner dans leur maison à Budapest pour retrouver ceux qui seraient également revenus. Mon père retrouva sa mère, cachée pendant la guerre, et quelques amis d’école. Ma mère retrouva sa marâtre qui l’accueillit par ces mots horribles : « Ah, c’est toi ! J’aurai préféré que ce soient mes filles ».

Sans espoir de retrouver d’autres êtres chers, ils quittèrent ce pays maudit pour aller vers l’Amérique, leur Eldorado. Ils firent une pause à Paris pour retrouver l’oncle Oscar et les cousins Louis et Eugène, eux aussi nés à Budapest mais étant partis en 1926. Leur sort en France n’avait guère été meilleur. Résistants, ils furent internés à Drancy. Ils firent partie des « Evadés de Drancy » https://www.dailymotion.com/video/x72h2p4.

La guerre finie, Oscar et Louis ouvrirent un atelier de confection où ils accueillirent et formèrent mon père, mon oncle et celle qui allait devenir ma mère.

Mais leur projet d’aller s’installer dans l’Eldorado que constituait l’Amérique fut contrarié par une jolie brune, Huguette, qui retiendra le cœur de Sanyi en France. Les « frères siamois » ne pouvant se séparer, ils décidèrent de rester ensemble en France pour bâtir leur vie et leurs familles juives.

Alex et Albert créèrent la société Alexbert où ils allaient travailler ensemble plus de 40 ans, 6 ou 7 jours par semaine au moins 10 heures par jour, tout en n’oubliant jamais d’honorer leur mère en lui rendant visite régulièrement. Tous leurs enfants et petits-enfants ont hérité de ce comportement modèle et nous avons tous fait notre maximum pour rester près d’eux jusqu’aux derniers jours.

 Mais ce dont mes parents, mon oncle et ma tante ont été le plus fiers est d’avoir eu 5 fils, 13 petits-enfants, une cinquantaine d’arrière-petits-enfants, tous bien éduqués et conservant les valeurs de la religion juive (pratiquant ou pas).

Comme quoi de « simples tailleurs » ont su générer des médecins, ingénieurs, commerçants, avocats…. Ils resteront pour tous des modèles, des MENTSH.

Voici l’hommage que je voulais rendre à mon père et son frère, son oncle et ses cousins. Seulement un oncle et 4 cousins revenus de déportation en 1945 mais aujourd’hui une descendance prospère et à laquelle ils ont transmis leurs valeurs humaines. C’est de cela qu’ils étaient les plus fiers, ce fut leur plus grande revanche sur la barbarie nazie.

Michel H.


[i] C’est pourquoi, il fut si pénible à mon père d’assister aux seder de Pessah, où on parle de la période d’esclavage des hébreux en Egypte sans se rendre compte que cette période, certes moins longue mais encore plus atroce, se reproduisit au XX° siècle.

[ii] Ce manque d’amour maternel n’empêcha pas ma mère d’être une mère, une grand-mère et une arrière-grand-mère admirable et aimante.

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