Psychiatre renommée à Marseille, Yvonne Salamon a publié chez Plon « Je suis née à Bergen-Belsen« . Le témoignage d’une force inouïe d’un bébé qui ne devait pas pleurer pour vivre.
Yvonne est née deux fois. Et même trois fois. D’abord dans le camp de concentration de Bergen-Belsen en Allemagne, le 20 octobre 1944. Puis à Marseille quand ses parents l’ont déclarée à la mairie le 15 août 1945.
Et surtout, en avril 1945. Lorsque pour la première fois, le bébé qu’elle était a enfin osé pleurer. Les soldats anglais venaient de libérer le camp où elle a vécu les six derniers mois de déportation d’Hélène, sa mère.
Psychiatre de renom dans la cité Phocéenne, Yvonne Salamon raconte son histoire dans le livre Je suis née à Bergen-Belsen (éditions Plon).
Un « chef d’œuvre » pour témoigner et lutter contre l’infamie
« Ce livre c’est mon chef d’œuvre », déclare Yvonne à actu.fr. « Et je suis fière ! »
Un chef d’œuvre car l’ouvrage retrace la vie de sa maman qui a réussi à cacher sa grossesse et son enfant aux bourreaux nazis. Et un témoignage aussi. Un témoignage d’une puissance rare pour ne jamais oublier et ne pas rebasculer dans l’horreur.
« L’antisémitisme, le racisme, ça existe. La peur de l’autre c’est de la paranoïa, et la paranoïa c’est contagieux », affirme la psychiatre.
Juive et résistante, sa mère est arrêtée à Marseille
Hélène, sa mère, juive et résistante, était enceinte quand la milice française l’a arrêtée à Marseille. Interrogée et torturée par la milice et la Gestapo, elle n’a pas parlé mais a été déportée.
Direction le camp de transit de Drancy. Au bout : Bergen Belsen. Hélène était enceinte de quatre mois à son arrivée dans le nord de l’Allemagne.
Yvonne n’est pas la seule enfant à être née dans un camp de concentration. Mais elle est sûrement la seule survivante. Les nazis n’ont pas découvert la grossesse d’Hélène, puis ce bébé d’un kilo et demi à la naissance, qui a vécu caché contre la poitrine de sa mère, emmailloté dans des linges que celle-ci avait échangés contre des bouts de pain noir avec d’autres déportées.
Je n’ai jamais pleuré, jamais émis le moindre petit gémissement… Vous en connaissez vous des bébés qui ne pleurent pas, jamais ? Aujourd’hui encore, quand j’entends un bébé pleurer, cela me semble inouï, alors je le prends dans mes bras. Si j’avais pleuré, les nazis m’auraient tuée. Je pense que les bébés sont très sensibles à leur environnement. Inconsciemment, j’ai dû intégrer que le monde était hostile, alors je me suis tue.Yvonne SalamonAutrice de « Je suis née à Bergen Belsen »
Quand la vie tient à un carré de chocolat
Hélène était sage-femme, elle savait comment s’y prendre quand les contractions ont commencé. Elle s’est débrouillée toute seule dans le « revier », ce baraquement où les Allemands entassaient les déportés malades en attendant qu’ils meurent.
Elle s’est accouchée toute seule, à bout de forces. Elle n’avait qu’une bougie et une casserole pour faire miroir. Une déportée à côté d’elle a dit à sa fille : « Hélène accouche, on pourrait peut-être lui donner le carré de chocolat que j’avais gardé pour toi… » Et la petite a dit oui. Ce n’est pas tant le sucre qui a sauvé la vie de ma mère, et la mienne par voie de conséquence, mais ce geste d’une humanité infinie dans le contexte des camps de concentration…Yvonne Salamon
C’est un miracle si Yvonne a survécu. Dans le froid et la faim, avec la seule soupe du camp pour nourrir Hélène qui allaitait tant bien que mal son bébé.
Impossible de pardonner l’impardonnable
Quand on lui demande si elle a pardonné, Yvonne répond sans hésiter « Non. C’est impossible de pardonner l’impardonnable. Comment pardonner que des bébés aient été brûlés vifs ? Ce camp était tenu par un fou. Il s’appelait Kramer. Condamné au procès de Nuremberg, il a été pendu. »
« Le philosophe Paul Ricœur a écrit que « ce qui est inoubliable est impardonnable ». Et pour moi, c’est inoubliable », dit Yvonne Salamon
Yvonne ne mettra jamais un pied en Allemagne. Elle ne veut pas. Elle ne veut pas retourner sur les lieux de l’enfer. Là où ne subsistent que des monticules de terre recouverts d’herbe verte où de simples plaques ont été posées « Ici, 5 000 morts », « ici 2 000 morts », « Ici, nombre de morts inconnus ».
Contrairement à Auschwitz où des bâtiments ont été préservés, il ne reste rien de Bergen Belsen. Quand les soldats anglais sont arrivés, le camp était rongé par le typhus, alors ils ont tout brûlé.
Victime d’une anesthésie affective
La psychiatre passionnée qu’elle est devenue a évidemment analysé sa vie. Elle se décrit comme victime d’une espèce d’anesthésie affective. « La seule fois où j’ai pleuré dans ma vie d’adulte, c’est quand ma mère est morte. »
En 1986, un tribunal a reconnu sa vraie date de naissance, celle d’octobre 1944. 42 ans après. « En une signature, j’ai vieilli de 10 mois », s’amuse Yvonne. Mais il lui fallait cette reconnaissance administrative.
« Je le dis avec un sourire, je serai sûrement la dernière survivante de la Shoah. Vous vous rendez compte de la responsabilité qui est la mienne ? »
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