Daniel Zagury. Affaire Sarah Halimi: comment la justice évalue-t-elle la santé mentale des accusés?

Michel Fourniret, Guy Georges, Patrice Alèrge… Depuis plus de trente ans, Daniel Zagury déchiffre la complexité de la psychologie des auteurs des plus sombres faits divers français. Les juges d’instruction font aussi régulièrement appel à lui dans les affaires de terrorisme ou de génocide. L’objectif est toujours le même: sonder l’âme des accusés, analyser leurs pathologies et leurs conséquences sur le discernement au moment des faits.

Ce mercredi, la Cour de cassation examinait un pourvoi sur l’irresponsabilité pénale  du meurtrier de Sarah Halimi, affaire dans laquelle Daniel Zagury avait conclu à l’altération, et non à l’abolition du discernement de Kobili Traoré. 

A cette occasion, le psychiatre est revenu sur les réalités de ce métier méconnu du grand public, bien qu’indispensable à la justice. Il déconstruit aussi certains fantasmes qui existent autour de l’irresponsabilité pénale des criminels.

Dans quel cadre se déroule l’expertise psychiatrique d’un accusé? Suivez-vous toujours le même fil conducteur?

« Lorsque la personne mise en examen est libre, je la rencontre à mon cabinet ou à l’hôpital. Sinon, l’expertise a lieu dans une salle dédiée à la prison, sans son avocat. Avant toute chose, nous sommes soumis à un impératif déontologique, celui de se présenter et de préciser à notre interlocuteur que tout ce qui sera dit pourra être utilisé dans le cadre de l’enquête, sans que le secret médical lui soit imposable.

L’ensemble des pièces susceptibles de nous intéresser nous sont accessibles: les procès-verbaux de synthèse, incluant les déclarations du mis en cause et des témoins, ainsi que le dossier psychiatrique. Nous échangeons sur les faits, mais il faut également revenir sur la vie en détention, puis sur les éléments de biographie, le contexte familial, le parcours professionnel, les antécédents judiciaires, médicaux, l’éventuelle consommation d’alcool ou de stupéfiants… De examen à la remise des conclusions à la justice, certaines expertises à deux heures, d’autres trente. Il n’y a pas de canevas rigide. « 

Vous intervenez régulièrement sur des dossiers médiatiques. Comment l’expert s’assure que son jugement n’est pas influencé par des éléments extérieurs?

« Avant d’expertiser quelqu’un, je me fais une certaine idée, c’est vrai. Mais ce n’est jamais la bonne. Oui, avant de rencontrer votre interlocuteur, vous faites une certaine représentation, mais celui qui réagit c ‘est le citoyen, ce n’est pas le professionnel. Un criminel ne ressemble pas toujours à son crime, aussi grave soit-il.

L’expert n’est certainement pas là pour faire le procès de l’accusé, pour le juger. Vous ne pouvez pas faire intervenir votre conviction. D’ailleurs, si l’individu nie les faits, vous n’êtes pas là pour donner votre avis. Vous raisonnez par hypothèse, en tenant compte des éléments de l’instruction.

Enfin, ce n’est pas parce qu’on apporte beaucoup d’affichage sur la genèse et l’orientation de la personne que l’on cherche à excuser ou atténuer la peine de prison. Encore une fois, ce n’est pas le travail de l’expert, c’est celui du juge. « 

Lorsque l’individu souffre de troubles psychiatriques, comment déterminer s’ils ont influencé son passage à l’acte?

« Prenons l’exemple d’un individu psychotique lambda: tous ses actes ne sont pas marqués par la psychose. Le travail de l’expert est de déterminer les liens possibles entre l’acte et la maladie. Un homme qui suit des femmes dans la rue, sa pathologie at-elle un lien direct avec l’acte qu’il a commis? Dans une grande majorité la réponse est non. Le processus psychotique ne commande pas tout. Il faut analyser les faits et déterminer dans quelles mesures ils ont pu avoir un lien avec la psychose. « 

L’irresponsabilité pénale est-elle rarement retenue dans les procédures judiciraires?

« Tout à fait, cela représente moins de 1% des affaires clôturées à l’instruction ( ndlr: 0,7%, selon le ministère de la Justice ). C’est l’exception qui confirme la règle. D’ailleurs, les cas de personnes qui attaquent, en toute irrationalité, un inconnu dans la rue, sont extrêmement rares.

Sur l’ensemble des homicides comptabilisés en moyenne chaque année, une minorité, entre 2 à 5%, sont commis par des personnes examinées de maladie mentale, et en majorité dans le cadre intrafamilial. S’il arrive qu’un fait divers en soit l’illustration, les actes violents commis par des psychopathes ne sont qu’une poussière amplifiée par les médias. »

Il est encore moins fréquent que l’abolition du discernement soit retenu dans les affaires de terrorisme, comment l’expliquer?

« Dans le passage à l’acte chez les terroristes, il faut dissocier ce qui peut se rapprocher du délire, de l’idéologie, de la religion ou de la haine. Il existe bien sûr des schizophrènes qui peuvent se délirer sur un thème mystique, mais ça ne représente pas la majorité des contentieux terroristes. Depuis la chute du califat en Irak et en Syrie, certains s’auto-saisissent de la cause sur le territoire national, il peut s’agir de malades mentaux, de déséquilibrés, mais encore une fois ce n’est pas la majorité des cas. « 

Dans le cadre du meurtre de Sarah Halimi, la cour d’appel de Paris a estimé que le meurtrier était sous l’emprise d’une bouffée délirante, à cause d’une forte consommation de cannabis. Comment la drogue ou l’alcool peut-il jouer sur l’irresponsabilité pénale?

« Je ne reviendrai pas sur la bataille judiciaire qui se joue actuellement, c’est d’ailleurs aussi le sujet d’une proposition de loi: Le mis en cause connaissait-il, ou non, les effets de la substance psychotrope ingérée. L’enquête doit permettre de comprendre s’il était en état de pleine conscience lors de la consommation, ou non, par exemple si on lui a fait ingérer la substance à son C’est notamment cette réponse qui déterminera l’irresponsabilité pénale de ce dernier. « 

Tous les acteurs de la justice jugent les expertises psychiatriques indispensables, pourtant elles sont sans cesse décriées. Pourquoi?

« L’expertise psychiatrique est un champ très polémique. Ce n’est pas un domaine strictement scientifique. Il y a un diagnostic, puis chaque expert en pneu ses propres conclusions médico-légales. Comme dans d’autres domaines scientifiques, il existe des sensibilités Il arrive que l’on ne soit pas d’accord, et c’est normal. Les querelles d’interprétations ont lieu lorsque le dossier est sur la crête, que chacun tranche dans un sens ou l’autre. Il faut aussi reconnaître que certains experts privilégient la quantité d’expertises rendues, ainsi que la qualité de ces dernières. « 

© Esther Paolini

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