En flânant sur les quais de Seine, sous ce beau soleil d’avant-printemps, je tombe sur ce livre, perdu parmi d’autres, dans le caisson vert d’un bouquiniste.
Et immédiatement, me revient le visage attentif de mon père, regardant à la télévision chez un voisin un téléfilm en noir et blanc : « Les eaux mêlées », dans les années soixante.
Nous venions d’arriver à Paris, et notre famille logeait dans un minuscule appartement, avec les toilettes dans la cour, rue Ferdinand Duval.
À cette époque, le Marais n’était pas un quartier branché et les logements étaient souvent insalubres. Mais mon père aimait la France, et lui était reconnaissant de nous avoir accueillis.
Nous n’avions pas fui les pogroms, ni les hivers russes ou polonais, nous venions de Tunisie, mais mon père s’était identifié à Yankel, qui ne rêvait que de s’intégrer. Et comme Yankel, il avait vite découvert que même le plus beau pays du monde avait ses antisémites. Et que même s’il avait lu Camus et Malraux, ses collègues se moqueraient de son accent trop oriental.
Le bouquiniste m’a certifié que le livre de Roger Ikor était en bon état. Je lui ai dit que je le prenais.
Il m’a avoué ensuite qu’il ne savait même pas de quoi ce roman parlait.
Je lui ai répondu que cette histoire parlait d’émigration et d’intégration. Que ça parlait de mon père.
© Daniel Sarfati
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