Nathanaël Majster. Affaire Sarah Halimi: On frôle le délire juridique

Nathanaël Majster

Il n’y a désormais presque aucun doute, la Cour de Cassation confirmera l’arrêt de la Chambre de l’instruction et rejettera les pourvois des parties civiles. Les conclusions du Ministère public et l’avis du rapporteur ne permettent pas d’espérer.

Il faut dire que les conclusions rendues par les policiers, les témoignages de la famille et des amis de Traoré et les expertises psychiatriques sont cohérents pour ensemble disculper Traoré en donnant le portrait d’une bouffée délirante aigüe. On peut penser qu’il n’y a jamais eu la moindre bouffée délirante -il a agi avec une intelligence et une détermination sans faille – mais ça ne fait pas le poids face à la cohérence de ce que j’évoquais (la police, les proches, les experts) et la cour de cassation, qui est juge du droit et pas du fait ne peut que très difficilement aller contre.

C’est ce qu’on appelle en jargon juridique la décision souveraine des Juges du Fond (c’est-à-dire la Chambre de l’Instruction).

On peut quand même s’étonner des contradictions dans le raisonnement de l’Avocat général.

Peut-on à la fois se féliciter que Traoré ait été mis en examen pour la circonstance aggravante d’antisémitisme et dire qu’il avait un discernement aboli ? C’est affirmer que l’on peut être à la fois délirant et antisémite, position assumée par le Ministère public. Or l’antisémitisme est un mouvement de la pensée rationnelle, une explication causale des troubles du monde qui non seulement ne relève pas du délire, mais l’exclut. Sinon les mouvements criminels, notamment collectifs, qui reposent sur l’antisémitisme ne peuvent-ils aussi se réclamer du délire et de l’abolition du discernement ? Non folie et antisémitisme ne sont pas compatibles : le second est toujours le résultat d’une détermination individuelle consciente et responsable.  

Pour se sortir de cette contradiction le Parquet Général a expliqué que les faits étaient qualifiés de « façon fictive », autrement dit répond à la question de savoir « comment auraient été qualifiés les faits s’ils avaient été commis par quelqu’un de raisonnable ». D’où provient une telle théorie ? Nul ne le sait.

Ensuite dire qu’il a commis un assassinat – c’est-à-dire qu’il a agi avec préméditation – et qu’il n’avait néanmoins pas de discernement, est-ce compatible ? Si l’abolition du discernement est liée à la prise d’un toxique il conviendrait que soit recherché le fait de savoir si la prise du toxique a été antérieure ou postérieure à la formation du projet criminel. Or le dossier ne permet pas de répondre avec certitude à ce point. N’aurait-il donc pas fallu exiger que le dossier permette d’y répondre ? Traoré avait-il déjà prémédité son crime avant de fumer ?

Comment pour finir expliquer sérieusement que la Cour de Cassation pourrait préférer requalifier les faits en coups mortels c’est-à-dire en homicide involontaire ? Cette qualification est retenue lorsqu’une faute entraîne une mort sans l’avoir cherché (une rixe par exemple, ou un accident du travail). Comme si Sarah Halimi était tombée involontairement de son balcon à cause d’un imprudent nommé Traoré. La seule faute imputable à Traoré serait d’avoir consommé du Cannabis. Faute produisant des effets non voulus. On frôle le délire juridique. Comment oser énoncer une telle ineptie, même à titre d’hypothèse ?

Alors que va-t-il se passer si la Cour de Cassation rejette les Pourvois ?

Kobili Traoré qui va bien et ne présente aucun trouble mental sortira de son hôpital psychiatrique et il sera plus dangereux que jamais puisque ayant commis un crime reconnu ni par lui ni par la société. On ne lui aura pas permis de devenir quelqu’un d’autre en payant pour son crime : c’est le sens du repentir que l’on peut attendre d’un processus judiciaire et pénitentiaire.

Alors s’il récidive, cette fois-ci, qui sera responsable ?

Nathanaël Majster, Avocat à la Cour

Première publication pour LGPS

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10 Comments

  1. Votre analyse est excellente,mais comme vous le sentez certainement,le juge de la forme, c est a dire la cour de cassation,ne veut pas tremper ses mains dans deux questions,qu elle laisse comme vous l avez si bien explique, »a la libre appreciation souveraine des juges du fond »:
    1)Si ce Mr est antisemite-ce qui est deja un signe d irrationnalite-pourquoi n a t il jamais commis d actes semblables avant de se droguer ?
    2)Les experts n ont jamais fixe le moment precis du derapage-anteriorite ou posteriorite-car ils se doutent bien que le processus de degradation mentale s est amorce dans le cadre de la continuite,et non de la soudainete.
    Materiellement,une affaire pareille vaut perpetuite,mais je crois malheureusement que votre pronostic pessimiste devrait etre le bon.

  2. L’ordre donne aux policiers, presents en nombre sur les lieux pendant un temps appreciable, de ne pas intervenir, est-il du a une bouffe delirante qui se serait manifestee chez un haut responsable de la police ? et l’ordre donne par Mme la juge d’instruction, au debut de l’affaire, de ne pas proceder a une reconstitution, a-t-il une explication similaire ?

    • Oui André.
      On était à la veille d’élections présidentielles. On ne pouvait pas faire de vagues et risquer de perdre certaines voix.
      Avec une reconstitution, on remonterait au donneur d’ordre, sans doute plus haut que la police

  3. Parce que les policiers sont formes non seulement aux articles proprement dits du Code Penal,mais aussi aux jurisprudences passees relatives aux fautes de procedure penale commises par leurs services et traitees par une formation speciale de la Chambre Criminelle,tant pour le commencement d execution que pour les preuves.

  4. S’il n’y a pas de procès d’assises pour ce crime odieux ce sera une honte absolue pour la Justice française et une claque cinglante à la face de la communauté juive : je ne croirais plus en la justice de mon pays!

  5. Meme en cour d assises ce ne serait pas automatiquement gagne,sauf pour la symbolique,car il y aurait toujours possibilite d interjeter appel,puis de retouner ensuite une deuxieme fois en cassation,en formation d assemblee pleniere (ex chambres reunies).Tacler les conclusions de l avocat general me semblent relever du miracle.

  6. Nota bene:la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation comprend quatre sections specialisees:
    -Procedure penale.
    -Affaires d assises.
    -DI civils.
    -Affaires financieres.

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