Nicole Bornstein. Discours pour la commémoration de la rafle de la Rue Sainte Catherine à Lyon

Chers amis, le calendrier  fait que depuis de nombreuses années la cérémonie de la commémoration de la rafle de la rue Ste Catherine succède immédiatement  au dîner annuel du CRIF ARA, moment important de rencontre avec les élus et représentants  institutionnels de la région, en présence d’un membre éminent du gouvernement en place.

En ce temps suspendu par la pandémie de la covid19, le dîner ayant été reporté,  ce sera aujourd’hui ma première prise de parole de  cette année,  et en l’occurrence  devant vous pour la plupart nouveaux élus !

Pour vous même , Monsieur le Maire, sans vous faire offense, ni présumer de vos activités antérieures, d’autant que je me suis laissé dire que vous étiez un lyonnais d’adoption, votre présence ici en ces circonstances, est sans doute aussi une première.

Nous vous en remercions….

Je ne commencerai bien sûr pas mon propos, sans évoquer la mémoire de deux personnalités rares qui viennent de nous quitter, curieuse coïncidence, en ce 9 février 2021.

L’un d’eux était notre ami Benjamin Orenstein, connu de tous et chaque année présent, ici même, par tous les temps. Il nous avait déjà bien manqué ce 31 janvier dernier, et finalement nous a fait définitivement faux bond aujourd’hui !

Benjamin Orenstein, originaire des terres froides d’Europe, avait avec sa famille entièrement décimée, subi toutes les douleurs de la shoah, puis , après un parcours compliqué jusqu’en Israël, trouvé un havre de paix à Lyon.

Pendant des années il se tut, jusqu’au procès Barbie !

Ce fut, en même temps que le négationnisme croissant, l’électrochoc qui lui manquait pour devenir le chantre de la mémoire, celui qui voulut bien rapporter ses souvenirs, inlassablement, et surtout aux plus jeunes.

Plus l’oratoire était nombreux pour l’écouter, plus il était heureux !

C’était même son exigence !

C’est lui qui avec son association de l’Amicale d’Auschwitz-Birkenau  emmenait tous les ans des centaines de personnes, de tous âges et horizons, à Auschwitz, toujours en novembre parce que le un froid y est mordant , pour dire ce que c’était, pour leur montrer !

Mais les dernières années sa confrontation récurrente avec le monde Polonais lui était devenue insupportable… !

L’autre personnalité dont je souhaite aussi évoquer la mémoire est celle de Pierre Lévy, issu d’une famille juive française originaire d’Alsace, membre actif de la communauté lyonnaise, acteur et témoin de l’histoire des juifs à Lyon pendant la guerre, ardent militant contre le racisme et l’antisémitisme au sein de la licra  qui fut de ceux qui avaient donné à Lyon la très grande chance de recevoir Martin Luther King, et citoyen engagé dans la cité comme conciliateur juridique jusqu’à pratiquement la fin de sa vie.

Si  une petite note d’humour m’est autorisée en ces moments bien tristes : ce 9 février 2021 «  le petit juif polack originaire de Lublin est parti, main dans la main, avec le juif alsacien français… »

Tout un symbole… !

En cette rue étroite, sombre et le plus souvent glaciale à cette époque de l’année,  s’est produit  une histoire tragique, fidèlement  évoquée chaque année, dés l ‘après guerre, mais seulement  par  les plus proches des victimes de façon quasi confidentielle…

Il a fallu l’infatigable énergie de Jules Zederman, ancien résistant, militant de gauche fervent soutien d’Israël,   dont je me plais à rappeler ici la mémoire,

Il a fallu la volonté de Gilles Buna, alors Maire du 1er arrondissement et déjà écologiste convaincu, pour faire d’un simple rassemblement de militants de la mémoire et de victimes, une vraie cérémonie républicaine à l’adresse de tous les citoyens,

Il a fallu les inlassables recherches de Serge Klarsfeld pour identifier un à un tous ceux dont les noms viennent d’être énoncés pour leur redonner un soupçon de vie

Il a fallu le sens de l’histoire de Gérard Collomb  et sa volonté de faire de Lyon Capitale de la résistance, une ville riche en  lieux de mémoire pour que cette plaque soit posée au 12 de la rue Ste Catherine.

Il a fallu la volonté renouvelée depuis plusieurs années déjà de certains proviseurs et enseignants engagés, en particulier des Lycées Ampère et Bellegarde, pour,  fidèlement, participer avec leurs élèves à cette cérémonie.

 Nous tenons à les remercier du travail qu’ils accomplissent, et plus particulièrement Sylvie Altar, Historienne, qui implique et forme chaque année  les générations qui se succèdent dans son établissement par un parcours mémoriel .

Monsieur le Maire, vous qui êtes un  Maire jeune, j’espère que votre exemple dans la volonté de transmettre Mémoire et Histoire sera porteur pour les plus jeunes de  vos concitoyens et administrés et assurera la continuité, à l’heure où nos anciens s’effacent…

J’en profite pour vous renouveler nos remerciements pour votre engagement à soutenir le projet d’édification d’un mémorial de la Shoah à Lyon, ce mémorial auquel tenait tant Benjamin Orenstein et dont la disparition nous éclaire davantage encore, s’il en était besoin, sur l’urgence à promouvoir son édification.

Aujourd’hui, en sa mémoire ,  tous les appuis, oui tous les appuis au sein de la métropole, doivent se mettre en marche pour exhausser son vœu et pour passer des mots aux actes !

J’en profite ici pour remercier Monsieur le Procureur Jean-Olivier Viout, engagé à nos côtés pour l’aboutissement de ce projet.

Mais qui étaient ces 86 personnes prises dans la souricière du 12 de la rue Ste Catherine et dont les noms sont gravés sur la pierre ?

Qu’avaient-ils donc fait de si héroïque pour être à jamais inscrits entre  ces murs ?

Ce n’étaient que des juifs… !

Et à l’inverse, quand par chance ils pouvaient prouver qu’ils ne l’étaient pas, ils en réchappaient…

Ce fut le cas pour l’un d’entre eux, Victor Schulklaper.

Muni de faux papiers, parlant allemand couramment , il justifie sa présence en disant qu’il accompagne un camarade d’école d’origine juive et est libéré par la gestapo.

Cela lui permettra de raconter en détails ce qui s’est passé dans le local de l’UGIF, le fait que systématiquement toutes les personnes dont les papiers portaient le tampon « juif » étaient mises à part et il rapporte ces mots d’ un sbire de la gestapo :  « pourri de pays, on ne reconnaît pas un juif d’un non juif »

Évoquons la mémoire de Samuel Kohn, juif français, qui se dévoue pour ses coreligionnaires lyonnais en faisant la liaison entre le père Chaillet et le réseau clandestin de l’OSE.

Révoqué de son emploi de fondé de pouvoir parce que juif, il contribue à aider les réfugiés dans les camps d’internement et à Lyon, participe au sauvetage des enfants de Vénissieux….

Il recueille deux de ces enfants et après son arrestation, sa femme se bat pour le faire libérer en faisant, en vain, intervenir le cardinal Gerlier, allant jusqu’à écrire directement à Pétain, arguant  que 7 enfants sont à leur charge… mais  il est déporté en 43 à Auschwitz par le convoi 62.

D’autres sont des refoulés au passage en Suisse et se retrouvent coincés, sans solution de rechange, c’est le cas de de Norbert Münzer.

Rappelons encore, et surtout pour les jeunes présents ici aujourd’hui, qu’ il y avait aussi Simon Badinter…le père de Robert Badinter, ancien Garde des sceaux à l’origine de l’abolition de la peine de mort, et dont le rôle fut primordial dans l’extradition de Barbie jusqu’à Lyon.

La dernière fois qu’il prit la parole en ces lieux fut  en 2015 où ces murs résonnèrent de ses mots, alors qu’il vibrait encore de l’onde de choc  produite  par  les attentats de Charlie et de l’hypercasher !

 Robert Badinter, ne s’est jamais remis de la blessure de son père arrêté en France, alors qu’un amour sans failles pour ce pays qui l’avait accueilli  et dont il était si fier, l’habitait !

Les uns français, d’autres venant de toute l’europe, d’autres encore sans patrie…déboussolés, démunis… !

Les uns mettant toute leur énergie à épauler les autres en plein désarroi.

Les uns mettant toutes leurs compétences à la disposition des autres en perte totale de repères.

Tous, en quelques heures , ont été raflés, ensemble, par la volonté de bourreaux avides d’une humanité, pour eux, sans humanité

Au siège de L’UJIF ils étaient ce jour là 86, hommes et femmes, de 13 à 73 ans.

84 furent déportés, 3 sont revenus de l’enfer.

Cette tragédie est survenue parce qu’en Allemagne s’était installé un régime totalitaire accompagné d’ un antisémitisme inégalé jusqu’alors, et ayant trouvé à la tête de la France de cette époque, un écho bienveillant.

Rappelons que ces deux régimes ne s’installèrent pas suite à un coup d’état, mais en toute légalité, selon un processus mis en place par un régime démocratique, certes à la suite de circonstances particulières.

Ce constat  effrayant ne peut que  nous inviter à nous interroger dans le contexte actuel !

L’Allemagne de 1933 et la France de 1940 étaient déjà bien malades depuis des années, quand elles furent cueillies…

-Malades de la violence dans les rues,

-Malades de la violence politique assortie d’insultes,d’invectives, de dénigrement, de diffamations,

-Malades des fausses nouvelles, des complots et faux complots

-Malades de lâchetés accumulées

Parce que les juifs savent ce qu’ils doivent à la démocratie portée en France, depuis 150 ans, par la République,et savent ce qu’il advint pour eux  lorsque la démocratie fut balayée, ils ne peuvent être que légitimement inquiets des attaques et secousses qu’elle subit aujourd’hui :

Attaques récurrentes  du complotisme.

Son ampleur est telle dans les esprits, que même les plus éclairés, via les réseaux sociaux, sont atteints.

 La cible : le « système », c’est à dire tout ce qui fait l’architecture de la rationalité et de la démocratie, et bien sûr prenant en otage,  les juifs…ce qui passe quasi inaperçu, tant cela est dans l’ordre des choses !

Mais heureusement, pas inaperçu pour tout le monde, si l’on se réfère au rapport de l’ONU mettant en garde contre la hausse du phénomène dans le monde, au conseil des droits de l’homme à l’ONU alertant les gouvernements sur l’augmentation dramatique de la haine antisémite  en ligne et, tout récemment à la déclaration solennelle et courageuse des évêques de France qui exhorte à être particulièrement attentifs à l’inquiétante résurgence de l’antisémitisme en France.

Ces attaques s’accompagnent  des contenus haineux propagés par internet.

 Alors que nombreux s’insurgent, avec raison, sur le fait que le  contrôle  des contenus des réseaux sociaux ne repose que sur le bon vouloir de leurs propriétaires comme on a pu le voir récemment à l’égard de l’ex président Trump,  et échappent à nos lois, on est en droit de s’étonner  que les propositions avancées par la loi Avia soient encore remisées…

Attaques, via des violences dans les rues

Attaques, par des dénigrements systématiques de ce qu’on appelle les élites, terme lui-même devenu péjoratif et qui s’applique  aux représentants de toutes les institutions qu’elles soient politiques, juridiques, syndicales, journalistiques ou scientifiques.

Ainsi : – des dérives sémantiques de goût douteux comme  « Gazé » propagé par des manifestants de bords souvent opposés

Les malheureuses victimes d’Auschwitz ne sont plus là pour en mesurer l’indécence !

  • des dérives au quotidien que Jean Castex a dénoncé comme «  les petits gestes sales au quotidien », insultes, gestes dégradants,propos humiliants…

Vassili Grossman écrit :  « l’antisémitisme peut se manifester aussi bien par des propos moqueurs que par des pogroms meurtriers »

  • Et puis, des dérives sémantiques grossières  qui utilisent le mot sionisme pour masquer l’antisémitisme.

Profitons en à ce sujet, dans la morosité ambiante, pour saluer la reconnaissance de la définition de l’IHRA (proposée par Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA)   sur l’antisionisme-antisémitisme dans deux municipalités, de couleur politique pourtant différente, celle de Paris et celle de Nice.

Souhaitons que d’autres municipalités  suivent cet exemple hautement symbolique.

Mais la liste de ce que nous percevons comme des attaques de notre démocratie ne s’arrête pas là ;

Attaques par le détournement de concepts iconiques :

Celui de Liberté,  espoir de tous ceux qui vivent dans des régimes d’oppression, liberté aujourd’hui dévoyée par un pseudo libertarisme voulant échapper à toute contrainte sociale.

Liberté, qui sous la couverture de liberté religieuse, est aussi kidnappée par des intégristes religieux pour imposer leurs lois dans des quartiers de notre pays.

Et aussi

Celui de Laïcité, concept si précieux, qui a garanti en France la pratique religieuse de chacun ou la non pratique et dont le sens est détourné par des racistes patentés

Et encore celui de l’ antiracisme que s’approprient des activistes racialistes porteurs de haine, et notoirement antisémite, antisémitisme ouvertement  affiché lors de leurs manifestations, et promoteurs de séparatisme !

Mais aussi détournement de mots tels que   solidarité, fraternité, de moins en moins utilisés ou seulement réservés au cercle de ceux qui se ressemblent, solidarité et fraternité, ces valeurs qui ont permis que des juifs puissent échapper aux griffes des nazis et de Vichy.

Ainsi  Germaine Ribière, étudiante à la Sorbonne, militante de la jeunesse chrétienne féminine,  résistante catholique de lapremière heure qui, le jour de la rafle de la rue Ste Catherine, alors que  la  gestapo est encore dans les locaux pour arrêter les nouveaux qui arrivaient , fit semblant de travailler comme  femme de ménage de l’immeuble, s’affairant à laver les marches  pour  les avertir… et leur éviter de tomber dans la souricière.

 Elle fut honorée par l’état d’Israël comme juste parmi les nations.

Et encore, le recours à l’idée d’apaisement,  ce mot sans doute adapté aux transports urbains, mais qui, lorsqu’il est employé pour justifier la soumission aux vents mauvais,  devient un apaisement à la mode Munichoise et on sait sur quoi cela a débouché !

Et je ne m’appesantirai pas aujourd’hui, malgré les propensions à l’amnésie, sur les attaques frontales contre la démocratie que sont les attentats islamistes subis de janvier 2015 à aujourd’hui, avec les assassinats et menaces de mort que l’on sait !

Et aussi, volontairement, je ne reviendrai pas non plus sur les assassinats commis par le terrorisme islamiste sur la cible juive, depuis 2013.

Alors oui, on peut être inquiets quand l’esprit de la démocratie se voit abandonné par nombre de nos concitoyens au profit d’ on ne sait quelle idéologie illusoire !

Mais souhaitons que ceux qui doutent que les démocraties doivent avoir un avenir, ne re deviennent qu’une  minorité,

car on ne peut s’empêcher, de se souvenir , que ce soit au proche -orient envers l’état d’  Israël ou ailleurs dans le monde, que nombreux sont ceux qui rêvent que les juifs redeviennent des juifs errants…

Écoutons la crainte prémonitoire du collégien juif Silbermann, amoureux effréné de la littérature française, héros du roman éponyme de 1922 écrit par Jacques de Lacrettelle, futur académicien.

Je cite :

 « Mais je sais que moi je suis né en France et je veux y demeurer, je veux rompre avec cette vie nomade, m’affranchir de ce destin héréditaire qui fait de la plupart d’entre nous des vagabonds ».

Prémonitoire car on sait ce qu’il advint ensuite dans l’Europe brune.

Mais, ayons foi avec vous que notre république  sortira  victorieuse des assauts qu’elle subit aujourd’hui de toutes parts, comme ce fut le cas en 1945.

Il ne tient qu’à nous, qu’à vous citoyens républicains convaincus, et notamment vous les plus jeunes, par une action efficace et vos engagements dés aujourd’hui ,  pour que cette victoire ne survienne pas  comme alors , trop tard, sur un champ de ruines !

Je vous remercie

© Nicole Bornstein

Discours prononcé lors de la cérémonie de la rue Sainte-Catherine, Dimanche 14 février 2021, à Lyon

 Nicole Bornstein est P‎résidente du CRIF Rhône-Alpes

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