Le monde, c’était toi & moi. Maman. Et je n’aime pas cet univers où je vais rester sans toi. Cet univers hostile & crétin. C’est plein de petits cons prétentieux, de riches sans charité, de salauds avec, dans chaque poche, des as. Rempli de perroquets pétrifiés dans leurs certitudes à médaille et qui roupillent du sommeil de l’injuste.
Je m’y suis toujours senti de trop. Comme un étranger en exil. Je l’ai toujours trouvé atroce. Le sonnet « L’albatros ». Je me suis toujours identifié au cygne évadé de sa cage, avec ses pieds palmés frottant le pavé sec et ouvrant le bec près d’un ruisseau sans eau. Au grand cygne avec ses gestes fous, volatile ridicule et sublime. Nous avons chacun notre place. Dans la ménagerie bigarrée des poèmes de Charles Baudelaire. Et ça restera ta plus belle offrande. Ces livres aux lignes inégales dans mon enfance.
Avec tes tartes aux pommes & tes clafoutis aux griottes, rien n’aura, pour ma gourmandise, été plus succulent que tes façons d’institutrice pour me les faire déguster. Les grands poèmes à ta sauce ; le lyrisme à ta manière. Tes recettes faisaient recette. Oh ! formules de sorcière mijotées à feu doux. Pourquoi m’as-tu mis tout de suite entre les pattes ces trucs trop sucrés. Océanonox, Leloudevigny ; Villon & Du Bellay. C’étaient nos fruits confits, nos nougats. Nos friandises, nos bonbons au chocolat. Ça sortait tout chaud du four de notre cuisine. Avant d’être recouvert de caramel ou de meringue.
Ce serait, plus tard, un autre genre de défaites. Poudre blanche & seringue. Ton ingénuité les ignorait. Ces orgies baroques à Paris. À Nevers je goûtais tout avec la bouche. Les élucubrations comme les sabayons ; les gains de riz, l’allégorie.
Spécialiste de l’oeuvre de Charles Baudelaire, l’oeuvre d’Yves Charnet pourrait se comprendre en Chantier lyrique, avec Proses du fils, Postface de Jacques Borel, La Table Ronde, 1993, Rien, la vie, La Table Ronde, 1994, Dans son regard aux lèvres rouges, Postface de Jean Delabroy, Le Bateau Ivre, 2017, Chutes, Tarabuste, 2020, et Chantier critique, avec Baudelaire, nouveaux chantiers, Jean Delabroy & Yves Charnet (eds), Presses universitaires du Septentrion, coll. « Travaux & recherches », 1995, Le poète que je cherche à être, Cahier Michel Deguy, Yves Charnet (ed), La Table Ronde/Belin, 1996, notamment.
Le 28 juin 2020, j’avais demandé à Yves Charnet l’autorisation de publier un extrait du Journal des Opalines pour les les lecteurs de TJ. Yves Charnet m’avait remerciée « pour la vieille Dame, et son « prosateur de fils »: ma mère aurait aimé le support politique que vous avez la gentillesse de bien vouloir donner aux mots que j’écris pour elle. Dans la Nièvre des années 70, le petit cercle de cette institutrice de gauche qui lisait Le nouvel Obs se définissait comme ça: « Républicain, laïque, admirateur de l’Etat d’Israël. C’est donc avec une double gratitude que j’accepte de vous donner quelques pages de ce journal qui n’en est qu’à ses premiers brouillons…«
Hier matin, j’ai demandé à Yves l’autorisation de publier ce texte qui m’avait touchée.
Entre-temps, Yves Charnier a fait part du décès de Madame Thérèse Charnet, décédée hier à La Charité sur Loire. Notre ami, à qui fut opposé la possibilité de laisser le cercueil ouvert jusqu’à son arrivée, a fustigé le « protoKole kovid imposé par le fascisme macronien« , qu’il qualifie de « crime contre l’humanité »
Cher Yves, Nous vous présentons nos condoléances émues et nous permettons d’écouter avec vous le Requiem de Mozart sous la direction de Karl Bohm
A dater de « Proses du fils« , les livres écrits par Yves Charnier feront partie d’un même ensemble poétique, véritable self-portrait in progress, dont l’impossible somme peut s’intituler « Récits d’Yves » ou « Tentatyves », écrivit Camille Laurens dans « Chutes, d’Yves Charnet« , Le Monde, 19 novembre 2020.
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