Antoine Desjardins. Olivier Duhamel. Une Affaire de Frontière

Notes, réflexions & éclairages autour de l’Affaire Olivier Duhamel

*Encore un problème de frontière*

*De l’incapacité à penser dans l’égalité, une supériorité de sollicitude*

L’affaire Olivier Duhamel selon moi montre, très paradoxalement, l’impuissance de l’époque qui a fait l’enfant-roi  (c’est en train de changer grâce aux constats de nombreux pédopsychiatres intelligents) à penser l’enfance et la différence de l’enfance. A penser les frontières de l’enfant à l’adolescent et de l’adolescent à l’adulte. L’incapacité des soixante-huitards à penser l’enfant comme à la fois égal et différent. La relation de l’adulte à l’enfant ou l’adolescent est non réciproque et cette non réciprocité est *essentielle*.

La supériorité de l’adulte n’est pas de domination, elle ne vise pas à l’exercice d’un pouvoir d’écrasement mais elle est une domination de sollicitude qui vise à permettre une élévation. Cette supériorité offre un levier sur quoi l’être en formation et transformation peut s’appuyer pour s’élever et s’augmenter. Une réciprocité frauduleuse impliquerait qu’il serait loisible à l’adulte de s’appuyer à son tour sur l’enfant et d’en faire aussi un levier, un appui, un instrument de secours. On assiste parfois à ce renversement des rôles effrayant. Je dis que la victime d’Olivier Duhamel a été un instrument.

Ces frontières correspondent à des temps de maturation de l’esprit c’est à dire aussi du cerveau. Ce ne sont pas seulement des frontières arbitraires, culturelles mais elles renvoient à des états physiologiques naturels. Dire «je veux» ou «je veux bien» à 5 ans, 8 ans, 14 ans n’a rien à voir en fait et en droit avec le « je veux » d’un adulte de 18 ans ou 20 ans dont le cerveau est présumé abouti.

L’enfant est adoré mais égoïstement. Il est souvent aimé pour « moi » plus que pour lui et plus que que pour l’adulte qu’il est appelé à devenir. Il est rabattu sur les désirs d’accomplissement, de bonheur, de l’adulte. Il est choyé et adoré, non pas tant pour lui même mais parce qu’il vient combler le vide, le désarroi, la finitude, le chagrin, de l’adulte égocentré.

L’amour de respect impose la distance et c’est aussi cette distance qui fait le sel et le mystère de l’amour. Je ne suis pas toi, nous ne fusionnons pas, nos désirs sont distincts. Je t’aime là-bas et non ramené exclusivement ici *contre moi*. J’aime aussi ce que tu es appelé à devenir et pas seulement ce que tu es. Je ne veux pas que tu brûles les étapes de ton chemin. J’envisage et j’admire la courbe dans le ciel, la magnifique projection par laquelle tu marqueras peut-être ta disparition pour mes yeux (comme on lance un oiseau qu’on restitue au monde) J’aime l’effort que tu seras appelé à mettre en œuvre, le travail sur toi qui t’amènera à t’augmenter, l’élan qui te portera à échapper à l’inertie et à la chute. J’aime ta jouissance, certes, mais celle dont tu seras le maître souverain par accroissement volontaire de ta puissance d’être et d’agir.

On aime trop souvent ses enfants par une sorte de narcissisme élargi, on ne les aime pas *à leur place*, en tant qu’enfants, différents, mais en tant qu’ils sont nôtres. En ne leur refusant jamais un plaisir immédiat on leur refuse des plaisirs à venir, des plaisirs liés à la maîtrise de soi, à l’autonomie créatrice devenue mature.

L’âge démocratique peine à comprendre que l’égalité n’entraîne pas l’aplatissement des différences, des hiérarchies, la dissolution des frontières. Être parent, faire bien le métier de parent, n’est pas un « privilège », encore moins l’exercice d’une « domination », c’est un *Devoir*, une responsabilité qu’on ne peut pas prendre à la légère. Ceux qui ont voulu faire croire qu’ils libéraient l’enfant, qu’ils refusaient l’exercice d’un pouvoir tyrannique, ce sont en réalité exemptés à bon compte de l’exercice d’un devoir. Et ce renoncement, en réalité (souterraine) justifié par leur hédonisme et leur égocentrisme, ils ont eu le toupet de l’habiller d’un semblant d’amour, de l’humilité d’une destitution de soi et de ses prérogatives, d’une « démocratisation ». Il s’agissait d’un narcissisme de la pire espèce : celui par lequel on se désinvestit de la tâche d’avoir à faire grandir, de servir de tuteur. On voit les résultats. La supériorité de l’adulte et du parent (du magister aussi, bien sûr) n’est pas une supériorité de domination qui viserait à « réduire » l’autre en son pouvoir, voire à l’annihiler ; c’est une supériorité, encore une fois, de sollicitude, de soin, qui cherche au contraire à « augmenter » l’autre, à le faire grandir, pour, au final, le faire sortir de sa dépendance.

***

Un soixante-huitard (la version après lui le déluge, je jouis sans entraves etc) c’est quelqu’un au fond qui pense (ou plutôt est intéressé à penser) qu’on est adolescent de 13 ans jusqu’à 99 ans. Premiers signes de la puberté, crise d’originalité, révolte contre tout, mort au système, mort aux vaches, mort aux maîtres, irrespect total, hédonisme total, narcissisme, refus de l’autorité, mépris de la transmission : tout cela doit être reconduit toute la vie, à chaque moment. Le Rebelle en papier mâché qui ne cède jamais sur son désir et son plaisir. De 13 à 99 ans on est tous pareils, libres et égaux, sans aucun rapport d’autorité. Pas de frontières ! Tous à poil en famille. Le phalanstère, en vérité, où tout est permis. En fait on tue ici des êtres en bouton (comme on parle de bouton de roses), sans songer aux épanouissements dont ils sont la promesse et en s’en fichant pas mal. L’intime ne doit plus exister, ni le secret, ni la pudeur, ni la lenteur (ni le délai) dont on sait pourtant qu’ils préparent souvent les vrais plaisirs. « Allez, suce moi un peu Victor, je sais que tu en meurs d’envie. Viens, contre moi, je te rendrai du plaisir, fais moi confiance. Console-moi. Ne faisons qu’un sous la couette. C’est naturel, etc ». Cette duperie cynique est honteuse. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une attaque et d’une agression à armes inégales, d’autant qu’elle vient d’un beau-père. Beau-père « aimant » qui n’a pas compté son temps pour s’occuper de son fils ? C’est encore pire : le don de soi que fait le parent ne produit aucune dette, ou contre-don qui soit à la hauteur du don parental, même s’ il y a une gratification à être parent : c’est là sa spécificité. La caresse à Olivier pourrait-elle être le salaire, le rendu ? Abjection. Mais on peut imaginer que dans l’esprit de l’enfant, une sorte de réciprocité l’oblige…. à ne pas se montrer ingrat. Olivier Duhamel a de gros soucis, c’est à lui d’être bercé en somme, avec les gâteries sentimentales ou sexuelles qui vont avec. Il faut bien qu’il dorme serein, comme le petit enfant.

L’éducation 68 a souvent mené à la catastrophe. Quelques libérations justifiées pour beaucoup de massacres des innocents, massacres pas seulement psychiques. Désinvestissement et désengagement des adultes, renoncement à l’exercice d’une responsabilité parmi les plus fondamentales qui soient. « Dès lors qu’autrui me regarde« , écrit Lévinas dans Ethique et infini, « j’en suis responsable« . Quand un enfant regarde un parent, ce parent est responsable de ce qu’il est mais encore bien plus de ce qu’il est appelé à devenir: un adulte.

© Antoine Desjardins

Antoine Desjardins est professeur de Lettres, coauteur du livre Sauver les lettres: des professeurs accusent (éd. Textuel), membre du Comité Les Orwelliens. 

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