Claire Thévenoux. « Le meilleur couscous, c’est celui de ma mère »

Il y a autant de recettes de couscous que de familles mais ce plat berbère, né dans un peuple sans frontières, a mis d’accord tout le Maghreb, qui a obtenu son inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Un sacré rassembleur !

Les recettes du couscous sont innombrables, avec différents ajouts selon les familles, les époques et les régions, comme les boulettes des juifs de Tunisie.
Les recettes du couscous sont innombrables, avec différents ajouts selon les familles, les époques et les régions, comme les boulettes des juifs de Tunisie. | GETTY IMAGES, ISTOCKPHOTO

Au Maroc, le couscous « est un plat populaire que toutes les familles, riches ou pauvres, préparent le vendredi »​, explique Fatima Moussafir, 49 ans, cuisinière à Dar Rbatia, restaurant de Rabat. En version traditionnelle, sept légumes ou tfaya (un salé-sucré d’oignons caramélisés et de raisins), il y est « tiré par la gastronomie royale, aux côtés du tajine et des pastillas »​, note Gilles Fumey, géographe culturel, spécialiste de l’alimentation (1).

En Algérie, « il y a autant de sortes de couscous que de familles »​, décrit le chef algérien Rabah Ourrad à l’Agence France presse. Lui-même n’a pas appris sa recette « dans une école de cuisine »​, mais au fil de « dizaines d’années d’observation de la maman, des sœurs et de toutes les femmes nord-africaines qui sont expertes » ​du sujet.

La Tunisie, elle, se coupe en deux, avec « le couscous de poisson au nord, près du littoral, et avec de la viande de mouton ou des tripes au sud, dans le désert »​. Et le chercheur de la Sorbonne de rappeler qu’il est aussi présent, depuis toujours, « en Sicile, Italie du Sud et Sardaigne »​.

Les merguez du conflit

Les recettes de ce plat aux mille identités sont innombrables. « Les juifs de Tunisie ont ajouté des boulettes de viande. À l’Indépendance, les merguez sont venues alimenter le conflit avec les puristes car un très grand nombre de gens pensent que ces saucisses, faites pour les méchouis, n’ont rien à voir avec le couscous. » ​Son dossier de candidature au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, porté par quatre pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc et Mauritanie), ne donne d’ailleurs aucune recette tant le sujet est inflammable.

Son origine aussi est sujette à des débats sans fin, les pays candidats se disputant régulièrement sa paternité. L’Unesco, en annonçant son inscription, a convenu qu’il « est difficile d’être définitif sur son histoire » ​mais que « tout le monde est tombé d’accord sur cette vérité : le meilleur couscous, c’est celui de ma mère »​. 

« C’est un plat berbère plus qu’arabe, poursuit Gilles Fumey. Mais on n’a pas de date d’origine. Comme le pain ou les galettes, il existe depuis l’Antiquité. Les céréales, originaires de Mésopotamie, ont migré vers le Maghreb autour de 400-500 avant notre ère. Au fur et à mesure, les légumes sont arrivés : les carottes du Moyen-Orient, les navets du Caucase, les tomates du Mexique… »

Rassembleur

Malgré le caractère fluctuant du couscous, sa base reste immuable : « Le couscous c’est la graine, de blé dur ou même de maïs comme dans le Souss, au Maroc. Elle est roulée et beurrée avant d’être cuite. Et l’autre ingrédient de base, c’est le bouillon avec carottes, navets »​, courgettes, cardes et oignons, « dans lequel il y a des viandes »​, traditionnellement d’un seul type et dont l’arôme parfume la semoule qui cuit au-dessus, à la vapeur, dans le couscoussier.

Cette constance en fait un plat rassembleur, « un langage entre les femmes, qui font la graine, et les hommes, chargés du bouillon ; entre les générations qui se transmettent les gestes ; et entre les peuples »​, estime le géographe. « Nous sommes tous le même peuple, le couscous est maghrébin, le couscous nous appartient »​, confirme le chef algérien Rabah Ourrad.

« Un plat magnifique »

Par son inscription au patrimoine culinaire, le couscous a réussi à rapprocher les frères ennemis Maroc, Algérie et Tunisie, donnant « une forme d’identité commune à trois pays qui ne s’aiment pas beaucoup »​, souligne Gilles Fumey. Une victoire « de la culture sur le politique »​, se réjouit Ouiza Galleze, coordinatrice du dossier.

Ce caractère unificateur a atteint l’Europe. Le couscous fait partie des plats préférés des Français qui l’ont découvert à l’Indépendance algérienne : « Les pieds-noirs ont tout laissé là-bas sauf leur couscoussier. Ils sont rentrés avec le couscous »​, donnant l’occasion à la France de « solder sa mauvaise conscience coloniale »​. Bref, un « plat totémique dans lequel chacun trouve ce qu’il cherche, dit un peu de soi. Un plat magnifique »​, conclut Gilles Fumey.

Pizza, vin, gastronomie française… protégés par l’Unesco

Le patrimoine culturel immatériel de l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) va au-delà des monuments et collections d’objets du patrimoine mondial. Il vise à protéger les cultures traditionnelles.

Avec les traditions du couscous, ont été reconnus comme exceptionnels sa préparation, ses gestes artisanaux, son tissu social (artisans, agriculteurs, meuniers, commerçants), sa consommation mais aussi « les systèmes de valeurs symboliques qui s’y rattachent », affirme l’Unesco.

Des inscriptions ont lieu chaque année depuis 2008. Des traditions culinaires sont ajoutées à la liste au titre des « pratiques sociales, rituels et événements festifs ».

Le repas gastronomique des Français a été le premier inscrit, en 2010. La même année que la cuisine traditionnelle mexicaine, le régime crétois et le pain d’épices croate. Ont ensuite été consacrés le washoku (la tradition culinaire japonaise), le kimchi coréen (chou fermenté), le dolma (feuilles de vignes farcies), le nshima (porridge africain), mais aussi « l’art du pizzaïolo napolitain », la bière belge, le café arabe et le vin de Géorgie, fait dans des jarres de terre cuite enfouies.

(1) Auteur de l’Atlas de l’alimentation (CNRS) et de Feu sur le breakfast ! (Terres urbaines).

© Claire Thévenoux

Source: Ouest-France 10 janvier 2021

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*