Je suis en colère après Finki qu’envers et contre tout, j’ai toujours défendu, mais lundi soir, il a demandé de façon insinuante et insistante à Pujadas si le très jeune homme, le bébé adolescent violé deux années durant par son beau-père, Olivier Duhamel, n’aurait pas été un peu consentant ? D’ailleurs, au point où l’on en est, « pourquoi parler d’enfant, c’est d’un adolescent qu’il s’agit », tient-il à préciser !
Je ne vois pas ce que Finki place sous ce mot pour le brandir comme arme absolue, c’est au moins la 2ème fois.
Impossible d’être victime parce qu’adolescent ? Coupable parce qu’adolescent ?
Suite à quoi, certes il s’est fait virer de LCI, ce que je déplore car je continue d’aimer l’entendre passer l’actualité sous son scalpel, l’un des mieux acérés de France, mais selon toute apparence Lui ne comprend encore pas pourquoi. Il s’énerve, veut porter plainte…
Alors que moi, grâce à ça, grâce à son inconvenance et sa persévérance dans l’erreur, je viens enfin de comprendre ce qui le fait systématiquement pencher du mauvais côté quand il s’agit d’affaire de mœurs comme on disait à la Brigade du même nom.
Le monde se divise en deux, ceux qui, de près ou de loin, ont été confronté à l’inceste, à l’abus de pouvoir, au sexe imposé par tous les moyens possibles, y compris au nom de l’amour ou de l’apparence du consentement. Ceux-là savent qu’aucun être en état de dépendance ne peut résister à l’emprise, qu’elle soit de parentèle, d’économie, d’ascendant moral, psychique ou physique, genre 70 kilos contre 20 ou 30…
Certains de ceux que ça révulse sont passés par là, d’autres ont simplement réfléchi, visualisé ou accompagné.
Puis il y a les autres, ceux que jadis je croyais être réunis sous l’appellation de « Beaufs », ceux-là généralement s’exclament un peu trop fort, en apprenant un inceste, « Non, mais quelle horreur ! Comment est-ce possible ? Je ne peux pas comprendre pareils monstres… »
Ce sont principalement les hommes qui s’écrient de la sorte, faisant grand bruit autour de leur impossibilité à comprendre, ce que l’on peut traduire par un « Entendez à quel point ça m’est étranger, à quel point je suis totalement incapable d’agir de la sorte puisque je ne le conçois même pas ».
De ceux-là, je me suis toujours défiée. Après tout, on a tous été des enfants, ce qui nous rend aisé à comprendre comment des adultes peuvent en toute impunité abuser de leur pouvoir. Tout enfant n’a-t-il pas été peu ou prou victime de ce genre de choses ? Il suffit de se le remémorer et de transposer. Et ceux qui ne le peuvent pas, en général se refusent à toute identification. Ni au bourreau (On a tous, en toute injustice, un jour ou l’autre crié trop fort sur son enfant, et l’on ne s’en est peut-être pas tous repentis ? ) ; Ni davantage s’identifier à la victime puisqu’ils refusent de la reconnaître telle, et qu’ils ont besoin de lui attribuer la faute.
N’oubliez pas : la jeune fille droguée et sodomisée par Polanski avait tout de même 13 ans ! A cet âge on n’est plus une enfant, mais une adolescente ! En prime si elle se trouvait seule chez le cinéaste, elle était fatalement une allumeuse. Quant à Mila, Dieu qu’elle parle mal, vraiment elle exagère ! Sans rien dire des proies de Matzneff : Toutes ou presque sont vénales, il les a achetées, c’est leur métier et donc les risque du… Vanessa Springora ? Mais enfin il en était amoureux…Ne parlons pas de Frédéric Mitterrand puisque comme vous pouvez le remarquer, personne n’en parle jamais ! Or il a tout dit dans ses livres, « au-delà de 14 ans, c’est dégoutant ! » Adèle Haenel ne l’a-t-elle pas bien cherché ? Ne venait-elle pas, elle aussi, de son plein gré chez son abuseur de metteur en scène ?
L’âge comme excuse ? Oh, il y a des filles très matures à cet âge, a précisé notre philosophe académicien. Pourquoi n’était-elle pas à l’école ? Elle faisait déjà du cinéma !
Quant au tout dernier drame concernant les enfants Kouchner-Pisier-Duhamel… C’est encore une histoire d’adolescent, et puis l’autrice n’est même pas la personne concernée !
Oui mais un inceste au sein d’une famille ne touche pas seulement l’enfant abusé. La terreur où vont vivre tous les autres les handicape tous, c’est une fratrie brisée.
Ça aussi, je peux l’expliquer à Finki, mais ce que je voudrais vraiment qu’il entende, c’est l’impossibilité de se révolter, de résister à qui vous aime autant qu’un père, grand-père, beau-père, oncle… Vous êtes généralement sa préférée, et il vous explique comme à une grande personne, favorisée par son amour d’élection, qu’il ne faut pas faire de peine aux autres, que « s’ils apprenaient tout ce qu’on fait ensemble, tout le plaisir qu’on éprouve dès qu’on est tous les deux, ta mère aussi le prendrait mal, bien sûr. Autant ne pas lui faire de peine, ne nous suffit-il pas d’être heureux en secret » ?
Quel enfant résiste à ces mots ou à d’autres, équivalents, comme le fameux « C’est pour ton bien » ou « C’est par amour« , etc ?
Bien sûr je ne parle pas ici des menaces ni du forçage qui, en règle générale, brouille la mémoire immédiate et engendre une amnésie plus ou moins longue, mais toujours salutaire puisque c’est elle qui permet aux victimes de vivre, de survivre, dissociés certes, mais vivants.
Je parle du choix prétendument amoureux d’un adulte ayant autorité sur un esprit toujours dépendant. De ce premier grand amour partagé envers cet adulte responsable de nous, garant de notre survie et de notre sécurité. On ne dénonce pas sur l’instant la main qui vous nourrit et vous caresse, on l’aime, on la chérit, on la respecte cette main qui, elle, fouille dans les replis de notre corps, et creuse un abime en notre âme.
Finki ne comprend visiblement rien à cet amour de dépendance, cet amour sous la suggestion de l’adulte, du père magnifique, admiré, adoré… C’est aussi cela qui engendre la honte chez les victimes, c’est qu’elles aiment leur agresseur, elles les adorent, elles sont sûres de ne pouvoir vivre sans eux ! Les enfants restent à vie des enfants pour leurs parents, et même, une fois adultes, sitôt qu’ils passent plus de huit jours chez eux, on les voit régresser tels les petits qu’ils ne cesseront jamais d’être dans leurs yeux.
De la honte à la culpabilité, il n’y a qu’un pas, nombre d’entre nous, les victimes, l’ont franchi pour parvenir à s’en sortir.
Christiane Rochefort, la géniale autrice de La Porte du Fond, seul roman digne de ce nom sur l’inceste, a commencé 25 ans plus tôt par un roman sous pseudonyme où c’est elle qui séduit, non son père, trop dangereux, mais son beau-père. Plus de 50 ans s’écouleront avant qu’elle ose la vérité, avant que la vérité lui revienne en boomerang et qu’elle était bel et bien l’agressée, la victime, et d’un viol et d’un chantage. Elle a dû attendre la mort de sa mère avec qui elle avait beau être fâchée, elle ne se sentait pas de la tuer ; comme son géniteur l’en avait menacée si jamais elle lui apprenait ce qu’il lui faisait dans la chambre du fond.
D’où ma stupéfaction quand j’ai entendu Alain Finfielkraut chez Pujadas demander si le jumeau de Camille Kouchner n’aurait pas été consentant.
Chacun de nous cède à tout quand c’est la personne qu’il préfère au monde qui le lui demande, lui impose, lui propose, et peu importe la forme que ça prend, cette personne-là qu’on chérit sans arrière-pensée ne peut nous vouloir du mal.
En réalité je n’arrive pas à comprendre ce que Finki ne comprend pas dans cette atroce configuration. Faut-il avoir soi-même expérimenté ces agressions pour les concevoir ? Non, j’ai été entourée, consolée et même consolidée par des gens dont l’enfance ne souffrait pas de ce genre de drame. Ils savaient entendre et même expliquer les différentes phases du processus qui va de l’agression à la culpabilité des victimes.
Au point que j’en viens à me demander c’est si ces magnifiques intellectuels, ces machines parfaitement huilées pour analyser et expliquer le monde sont outillés pour l’empathie ? Ne sont-ils pas anesthésiés dès lors qu’il s’agit de problème qui n’entre par dans leur champ d’étude.
Pour comprendre, pour témoigner de l’empathie il faut simplement « se mettre à la place de », s’excentrer de soi-même, de son ego et de ses préoccupations pour s’imaginer, se projeter dans la place du bourreau et surtout dans celle de l’incesté.
Je crois finalement qu’il ne manque à notre grande intelligentsia que la simple capacité de s’oublier, et alors d’imaginer ce qui arrive à ceux qui ne sont pas comme eux. Privilégiés. Nantis. Aimés et respectés.
Et j’en suis désolée, car j’ai vraiment besoin des analyses de Finkielkraut sur notre monde. Désolée et terriblement triste.
© Sophie Chauveau
Sophie Chauveau est écrivain
Bravo Sophie !!! Tout est dit et parfaitement analysé. Entièrement d’accord…moi aussi j’étais un fan de Finkie jusqu’au soir de sa prestation sur LCI.
Tout est dit et bien dit, bravo Sophie Chauveau!
Merci pour cet article. Une explication psychologique très compétente de l’inceste que l’on retrouve dans les livres de psychologie, si on se donne la peine de vouloir s’éclairer. Ce que Finki aurait dû apprendre avan de se prononcer sur ce sujet. Sinon, venir en parler avec une telle ignorance, c’est très pénible.
Finkielkraut a commis une double faute, plus qu’une erreur de langage.
La première consistant à négliger le fait qu’O. Duhamel à forcé, selon la sœur de la victime, son beau-fils à une relation sexuelle pouvant être considérée comme un inceste du deuxième degré (ce n’est pas son fils direct). Là, il y a transgression d’un tabou universel qu’on retrouve d’une part dans les Lois Noachides (considérées comme antérieures à la Torah et à la Halakhah qui est le code des Lois juives (pour ceux à qui ça parle et Finkielkraut devrait en savoir quelque chose, même s’il se dit laïc) dans sa quatrième interdiction des « délits sexuels », et que l’on retrouve dans les Dix commandements de la Torah dans son septième interdit. On aurait tort de considérer que cet interdit ne concernerait que les Juifs ou d’autres religions monothéistes, l’anthropologue Claude Levy-Strauss avait démontré que cet interdit se retrouve dans toutes les sociétés humaines.
Par ailleurs, même s’il n’y avait eu « que » ce problème d’inceste, A. Finkielkraut a sous-estimé qu’il vit en France où la loi est claire sur ces questions et que ses explications à dormir debout peuvent être entendus comme une justification par des pédophiles en embuscade exerçant leurs perversions dans certains pays du Maghreb ou en Asie. Dans ce cas là, il aurait dû demander conseil à Frédéric Mitterrand, à Jack Lang, G. Gabriel Matzneff, P. Bergé n’est plus de ce monde qui était un expert dans ce domaine et tant d’autres dont il faudrait dresser une longue liste.
Elisabeth Levy qui soutient les yeux fermés son pote Finkielkraut de manière virulente dans Causeur, s’égare aussi en passant sous silence la question de l’inceste et tente de le faire passer pour « un coupable de substitution idéal ». A. Finkielkraut est surtout responsable de ses propres égarements verbeux : pourquoi dire les choses simplement et de manière univoque quand on peut les dire de manière alambiquée et ambigüe.
Il faut avoir lu « Le nouveau désordre amoureux », coécrit avec P. Bruckner et publié en 1977 dans Coll. Points, pour y trouver une filiation dans l’argumentation d’Alain Finkielkraut.
Dans le contexte de ces années « déconstructivistes » et d’abolition de la notion de perversion, l’ouvrage était passé en douce. C’est de là que tous les interdits sautaient et certains s’en chargeaient, car les verrous ne ça sautent pas tout seul.
Relire ce livre aujourd’hui vaut le détour pour comprendre où nous en sommes aujourd’hui question mœurs, dérives et perversions et comprendre la trouble argumentation de Finkielkraut sur LCI.
Par exemple, page 338 de l’ouvrage cité on peut lire : « Mais qui nous dit qu’il n’y aura pas, un jour prochain, un film tendre et cochon, un film enfin métissé, racontant les amours d’un pédéraste et d’une saphienne, déployant une orgie merveilleuse sans athlète d’exception, ou des vieillards copuleront avec des enfants, où d’exquises rombières seront les gigolotes de jeunes éphèbes blonds, où des Arabes toucheront une femme blanche. TOUT EST A FAIRE POUR FUSILLER UN A UN NOS REFUS. TOUT EST AFFAIRE DE RUSE, D’OPPORTUNISME, DE COMPROMISSION POUR ENTRER DANS LA PLACE ET RETOURNER CONTRE LA SEGREGATION SEXUELLE LES GRANDS MOYENS SPECTACULAIRES SUR LESQUELS REPOSE SON POUVOIR. »
Tout le livre est de la même veine, au point qu’on ne sait pas ou plus trop si c’est du lard ou du cochon.
Dans sa défense, A. Finkielkraut confond « consentement » et « soumission librement consentie » lorsqu’un individu, jeune, encore immature affectivement et psychiquement est pris dans une relation d’emprise avec un adulte pervers.
Des cas comme celui là concernant des jeunes filles ou des jeunes garçons à peine pubères, j’en ai rencontrés des dizaines en milieu éducatif où j’ai exercé pendants des années. Des jeunes devenu(e)s anorexiques, d’autres suicidaires, ne sachant plus qui ils sont dans leur identité trainant leur souffrance de jeunes abusés par des salauds d’adultes et leurs complices !
C’est ce dont A. Finkielkraut ne paraît toujours pas, apparemment, depuis l’ouvrage cité, convaincu et c’est ce qui transparaît dans son argumentation, sauf à verser dans un relativisme qui nous a conduits là où en sommes, dans un bordel généralisé.
Plus qu’une balle dans le pied, A. Finkielkraut s’est tiré une rafale.
C’est bien dommage pour lui capable de davantage de pertinence.
Merci d’avoir exprimé tellement clairement et avec autant de vécu ce que je ressens … avec une profonde douleur déception et immense colère
J’ai le sentiment d’être trahie par un ami et éducateur ( puisque je l’écoutais avec joie et reconnaissance dans l’intimité de ma voiture) Oui très en colère parce que tellement choquée déçue et triste
J’ai perdu mon ami mon prof mon repère Je suis en deuil : car mourir est ne plus être vu entendu puis disparu de la mémoire de ce qui t’aimaient
En ce qui me concerne Il est mort brutalement à la fin de son interview Je ne m’attendais pas à ce que cet homme puisse penser une telle horreur..
Limpide et nécessaire, Sophie.
Le bistouri de Finki a coupé l’artère fémorale ( pour ne pad dire mémorable…)
Ou alors c’est peut-être un agresseur lui-même qui cherche à se disculper en défendant l’autre…