Michèle Chabelski. Chroniques. 11 janvier

Bon

Lundi

Résumé des épisodes précédents

Au retour de vacances passées à Vittel seule avec les enfants puis à Rimini en famille, Michele découvre des facturettes American Express, témoignant de billets d’avion à destination de Venise.

Nom des passagers : Paul Cohen, Chantal B et ses deux fils..

La goutte d’eau qui fait déborder la piscine déjà pleine..

La suite

La douleur est insoutenable..

Je voudrais qu’on m’achève, là, dans le salon, sur le sol où je me suis écroulée, transpercée par le poignard de la trahison..

Ce simulacre de famille jouissant de la splendeur vénitienne et partageant l’attendrissement de parents devant le bonheur de leurs enfants rieurs exhale un relent méphitique irrespirable..

Il a trahi mes enfants !

Il a trahi nos enfants !

Le dernier bastion qui jugulait la montée de l’anéantissement familial est tombé sous les balles..

Et c’est Paul qui tirait..

Sous l’influence de sa maîtresse qui a jeté ses dernières cartouches dans la bataille..

Ses fils..

Deux beaux petits garçons chez toi mon fils..

Un tir groupé de bonheur..

Mes enfants sacrifiées, piétinées, lacérées, le lambeau résiduel de vie familiale brûlé dans la mitraille , la lumière verte a explosé, broyée par la forfaiture..

Je sens que je vais vomir..

Les larmes m’inondent, je me noie..

Une houle de désespoir.

Je le supplie..

Va-t’en..

Va-t’en s’il te plaît..

Sa vue me carbonise..

On n’explique pas assez aux petites filles que le monde est peuplé de créatures cruelles, que le mal installe parfois ses serres dans le moelleux de la famille qu’il déchire de ses crocs acérés..

Mes enfants bradées sur le marché de la lascivité vénale, les dix ans de combat commun soldés par le triomphe de la scélératesse, le monde n’a plus de sens, les morceaux du puzzle familial ont explosé dans la déflagration, je suis en miettes, il me regarde, exaspéré..

J’irai chercher les filles demain, tu leur annonceras TA décision..

Le bouillon est un peu fade, il est nécessaire d’y ajouter un doigt de culpabilité..

Il prend son sac de voyage, y ajoute quelques affaires, tourne les talons, heureux de ne plus voir ce chiffon posé a terre qu’une femme de ménage a oublié de jeter..

Un leitmotiv qui s’enfonce comme un pal dans mon cœur déchiré : il a troqué ses filles contre des garçons..

[1]Un Pimm’s dans un verre sur lequel vient jouer un rai de soleil de mai, vous dansez la bourrée ? Tu ne peux pas refuser l’invitation d’un Cohen gronde Renée, sa sœur..

Tu veux m’épouser ?

Je veux un enfant, Seigneur, s’il vous plaît, je veux un enfant..S’il vous plaît..

Un beau petit garçon chez toi, mon fils !! Le ´haïm[2] !!

N’oubliez pas, Madame !!

La prise de sang doit être pratiquée boulevard Brune, et une piqûre tous les matins pendant une semaine..

Ne pleure pas ma chérie, nous aurons cet enfant.. Ne pleure pas, je t’en prie..

Allo !

Le plateau de température est élevé..

J’arrive..

L’amour sur ordonnance..

Un test ?

Pour quoi faire ? Je ne supporte plus le décalage horaire, c’est tout..

Grossesse précieuse.

Le cordon ombilical autour du cou du bébé..

Enfant en souffrance..

Elle bleuit..

Ben j’avais l’air d’un Schtroumpf alors ?

Monitoring..

Il faut intervenir, Madame..

Césarienne..

Vite..

Vite..

Mon bébé..

S’il vous plaît Docteur sauvez mon bébé..

Puisque ta maman dort, je serai ton papa et ta maman..

Lena..

Puis Melissa..

La louve s’est battue..

La louve est à terre..

La lumière verte s’est éteinte, mais il faut se redresser, gratter de ses doigts gourds l’éboulis d’une vie, fouiller, creuser, forer, y discerner l’éclat mat d’un confetti d’énergie, l’extraire, l’offrir en ex-voto aux enfants blessées..

Appeler les filles, justifier la voix étranglée, annoncer papa vient vous chercher demain, on a quelque chose à vous dire, téléphoner à Jacques, résumer égoïstement le désastre, ta décision est prise ?

Elle s’est prise toute seule, par-devers moi, ce n’est pas une décision, c’est une grâce sur la tête d’une condamnée, une convulsion de noyée, une larme d’oxygène dans un étouffoir pestilentiel..

Divorce ..

C’est le triomphe du mal ?

Non..

Juste un regard enfin dessillé sur un fruit pourri, inconsommable, une chute sur un réel longtemps nié, une page qui se tourne, un nouveau chapitre qui s’écrit.

Un homme s’en va, désaimé à jamais..

Un autre est là, aimé à tout jamais, qui me tiendra la main pour tutoyer l’éternité..

Ne pas briser l’image du père aimé, ravaler les flots de bile amère qui bouillonnent sur ma langue, attendre les enfants, dans les rafales d’angoisse et de culpabilité qui me tordent les entrailles..

Ne plus pleurer…

Tenter de rassembler ses esprits épars sur les cendres d’un feu éteint..

Expliquer calmement..

Mais bien évidemment il aura fait une partie du travail en ramenant les enfants du Sud où elles achevaient leurs vacances..

Maman méchante..

Maman venimeuse..

Maman agressive..

Maman ingrate..

Papa malheureux

Papa patient

Papa généreux

Papa amoureux

Voilà ..

Les escadrons en ordre de bataille, sabre au clair, le regard fier, la France sera sauvée, la guerre peut commencer..

Ils arrivent le lendemain tous trois, défaits, il les pousse vers moi, vas-y explique leur ce que tu veux.

Jusqu’au bout sans pitié..

Je tente une percée de pédagogie, une compresse d’anesthésie sur une plaie ouverte, voilà je voulais vous dire..

Etes-vous sûrs d’avoir envie de savoir ?

La fin d’une belle histoire maculée par le sexe, l’argent, la lassitude et l’incompréhension..

Oui ?

Vraiment ?

Alors on dit :

Demain ?

Même heure ?

Même endroit ?

Que cette journée signe l’urgence des préparatifs d’une troisième guerre annoncée..

Enfin je veux dire d’un troisième confinement..

Une guerre où l’arme fatale est une seringue..

Je vous embrasse


[1] REM : en un instant ma vie, vient se re-dérouler dans ma tête.

[2] Littéralement en hébreu et en yiddish « à la vie », qu’on pourrait traduire selon les cas, comme une bénédiction « Santé », « Longue vie », et dans notre cas, « Ainsi soit-il »

© Michèle Chabelski

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