Michèle Chabelski. Suite, et presque « fin ». Chroniques. 10/1

10 Janvier

Bon

Dimanche

Résumé des épisodes précédents

Michèle a fêté le cinquantième anniversaire de Paul en réunissant autour de lui ceux qui l’aimaient, ceux qui l’admiraient, ceux qui l’assistaient, ceux qui le servaient…

La reconquête est un flop.

Il ne rêvait que d’une nuit d’amour dans les bras de sa belle.

Michèle part en vacances une petite semaine en juillet au Club Med à Vittel avec ses enfants.

Paul ne peut les accompagner, car il est surchargé de travail…

Pendant que tu feras du vélo avec les enfants, moi je bosserai pour vous…

Elles partent rejoindre des amis et leurs enfants.

La famille passe le mois d’août ensemble en Italie, d’où Paul fugue pour gagner Monte-Carlo où il fanfaronne au casino …

Retour à Paris, bronzés et exhalant l’odeur d’ail et de basilic frais qui signe les gourmandises de la Péninsule …

Paul repart instantanément en voyage d’affaires assez bref…

Michele commence à ouvrir le courrier amoncelé sur le bureau…

La suite

Les vacances ont été assez calmes…

J’ai retenu les chiens qui aboyaient, les chevaux qui se cabraient, sa fuite a été pardonnée – disons oubliée…

L’Adriatique et les rigatoni ont des vertus apaisantes ignorées de bien des médecins…

La plage de sable fin et le ressac de la mer réjouissent les yeux et les oreilles des estivants, le personnel de l’hôtel qui ressemble à un château d’opérette est aux petits soins…

Un maître d’hôtel pousse cérémonieusement un chariot plein de fruits qu’il vient proposer en fin de repas . Le choix établi, il coupe, tranche, émince, détaille la pêche ou le brugnon d’un long coutelas aiguisé qu’il manie avec l’agilité d’un samouraï pratiquant le naginatajutsu [1]….

Le jeu consiste à ouvrir les paris sur l’hypothèse d’une embardée…

Les repas partagés avec les amis bruissent de conversations émaillées de rires parfois tonitruants, Mitterrand a été réélu, l’ombre des chars soviétiques s’est éloignée, les affaires prospèrent, la vie pourrait être belle…

Entre piscine et trattorias, entre marchés et gelaterias, le temps passe vite dans les rires partagés avec les enfants aux couleurs de brugnon mûr, en humant l’odeur de tomates mijotées et d’herbes fraîches, en écoutant le bruit des claquettes qui crépitent sur le gravier qui mène à la plage…

Les filles arborent fièrement des sandales qui clignotent quand elles marchent, leurs cheveux blondis de soleil illuminent leur visage aux reflets noisette, les fils de nos amis, doux et calmes, partagent leurs jeux dans une allégresse qui signera le prodrome [2] d’une amitié qui ne se démentira jamais…

Les nuits sont placides et silencieuses, malgré l’environnement propre à des retrouvailles luxurieuses, Paul est harassé, le pauvre, sa prostration[3] nocturne témoigne de ses efforts constants pour m’octroyer une vie de princesse…

La princesse ne rechignerait pas à consentir à des hommages nocturnes, la mer n’hydrate pas les papillons qui se lyophilisent, Jacques est loin, et on a vu souvent rejaillir le feu d’un ancien volcan qu’on croyait trop vieux…

Le volcan reste éteint…

On a beau villégiaturer en Italie, l’Etna n’entrera pas en éruption cette année-là…

Va pour les nuits paisibles…

Les journées sont trépidantes, mes amis s’inquiètent du surcroît de responsabilités et de tâches qui pèsent sur les épaules de Paul même au cœur de l’été, je les rassure, il répond toujours présent aux appels alarmistes avec un professionnalisme qui apaise ses inquiétudes et sa conscience…

Et Monte-Carlo est un lieu bien choisi pour y régler les sursauts du monde des affaires…

Ca, je ne le dis pas, car il est ici question d’affaires un peu personnelles, dont il tient à conserver le caractère secret …

C’est vrai, quoi, laisser entendre qu’un célèbre chef d’entreprise, ou même un ministre – fût-il mitterrandien, ou pourquoi pas le conseiller privé d’un chef d’Etat le convoque en urgence, reste du domaine chuchoté avec un clin d’œil entendu…

Je te dis que ça…

Les amis n’en demandent pas plus, ils comprennent l’urgence du départ et la grandeur qui préside a cet appareillage précipité…

Une glace à la stracciatella et un tour sur la catapulte installée au village d’à-côté consoleront les filles …

Puis il revient, décline l’offre du marchandage obligé sur les marchés italiens où on se ravitaille en gants et en nappes brodées, les vacances se terminent, les safrans patinés et les vieux roses terre de sienne des maisons italiennes se diluent dans le coffret aux souvenirs qu’on referme en regagnant Paris…

Une enveloppe blanche sur la pile de courrier…

Je la déchire…

Des facturettes American Express glissent…

Quatre billets d’avion pour Venise…

Paul, la maîtresse et ses deux fils…

Ses deux fils !!

La fille a dû rester ave son père…

Ses deux fils!!

Il vaut mieux que tu partes seule à Vittel avec les enfants, je ne peux pas vous accompagner, j’ai trop de travail…

Une dague tranchante me transperce le corps…

Tromper sa femme est un sport relativement répandu…

Mais tromper ses enfants et jouir des rires des enfants d’une autre, partager leurs jeux dans une bulle de tendresse familiale qui prive les miennes de la présence de leur père, m’émiette le cœur et les tripes, me vidant des larmes longtemps endiguées, dans une cataracte torrentielle qui me jette au sol, anéantie…

C’est terminé.

La messe est dite…

S’il ment aussi effrontément à ses enfants, s’il joue la dichotomie familiale autant que sensuelle avant une séparation officielle, l’écrin factice ou nous avions serti une apparente concorde domestique explose dans une déflagration qui m’aveuglera de désespoir…

La loupiote verte s’est finalement éteinte, l’éclat aveuglant de la réalité me blesse les yeux, m’aspire dans une défaillance qui arrache la dernière illusion, le terrain des opérations est jonché de cadavres, c’est terminé…

Il arrivera quelques minutes plus tard, portant un sac de voyage luxueusement griffé, je lui tends les facturettes et le supplie de partir pour me permettre de retrouver le souffle dont j’aurai besoin pour élever mes enfants…

Je ne peux plus le regarder…

Il m’informe qu’il me faut trouver un appartement, que celui-ci ne nous appartient pas, qu’il reviendra le lendemain avertir les enfants de MA décision qu’il est loin d’approuver, que je peux encore changer d’avis…

La louve blessée gronde, il tourne les talons…

Il aura encore des choses à dire le lendemain, et les jours suivants…

Il nous reste encore quelques rendez-vous, un seul peut-être, c’est vous qui me direz…

En attendant, si je propose :

Même heure ?

Même endroit ?

Vous viendrez?

Que cette journée qui signe l’angoisse de ce virus mutant apporte une consolation dans l’espoir du vaccin salvateur…

Oui…

Mais quand?

La peur au ventre encore et toujours.

Je vous embrasse

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[1] Le naginatajutsu est un art martial japonais. On y étudie le maniement de la naginata, une hallebarde traditionnelle. Dans l’histoire du Japon, le maniement de la naginata a été associé aux femmes et, de nos jours au Japon, le naginatajutsu est davantage pratiqué par des femmes que des hommes

[2] Ce qui annonce un évènement.

[3] État d’abattement physique et psychologique extrême, de faiblesse et d’inactivité totale

© Michèle Chabelski

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