Céline Pina. Quand l’Amérique a perdu toute common decency

Ce qui s’est passé hier au capitole a choqué le monde entier et a affaibli la démocratie américaine. Non que l’envahissement de cette institution ait été un coup d’état. Pour cela il eut fallu des moyens, une stratégie, des hommes, des armes et l’intendance qui va avec. On en est bien loin et on voit bien que l’armée n’a pas suivi et n’a surtout même pas eu cette tentation. Tout comme la Cour suprême n’a jamais suivi Trump dans ses délires. Les institutions tiennent et n’ont pas flanché. Bref la démocratie n’a pas été menacée. Pour autant elle a été humiliée.

Ce qui s’est passé est très inquiétant pour la démocratie américaine, s’il suffit de chauffer à blanc une bande d’excités pour que ceux-ci puissent forcer l’entrée du capitole sans sembler rencontrer beaucoup d’opposition. Bien sûr, dans cette affaire la responsabilité de Trump est immense, mais il s’y est aussi totalement déconsidéré. Il n’en reste pas moins que même si lui est en train de sortir de l’équation, la forme de folie qui l’anime aura contribué à abîmer symboliquement la démocratie en mettant à mal quelque chose de crucial : l’idée que le changement de pouvoir, l’alternance est de droit et doit se faire pacifiquement et même selon une forme de concorde à partir du moment où les urnes ont parlé.

Ce n’est plus le cas et si c’était seulement dû à Trump, nous pourrions nous réjouir d’une fin de mandat qui ressemble de plus en plus à une farce grotesque. Mais hélas l’Amérique apparait aujourd’hui comme un pays profondément divisé.

Or les démocrates ne devraient pas réduire la fracture, mais encore contribuer à l’agrandir tant la représentation politique a sombré dans ce qu’elle a de pire et tant les deux camps qui s’affrontent ne veulent rien avoir en commun. Pourtant républicains et démocrates, vu de l’autre côté de l’Atlantique, se ressemblent : le clivage racial est leur grille de lecture du monde, ils déshumanisent ceux qui ne pensent pas comme eux, prêtent les pires intentions à leurs adversaires, et semblent plus alimenter la haine réciproque que chercher la concorde. Certes Biden est un homme d’expérience et possède de la tenue, mais chez les démocrates, comme chez Trump, ce sont les bas de plafond  qui théorisent l’action politique et constituent les militants les plus influents. Le poids de Black Lives Matter comme ses liens avec Nation of Islam ne devraient pas tarder à poser problème comme toute l’hystérie autour de la cancel culture, de l’appropriation culturelle, de la théorie du genre ou des études « décolonisées ». Ajoutez à cela un mépris de classe décomplexé qui amène certains démocrates à traiter une partie de leur population de « déchets blancs » et il y a de quoi faire rapidement un cocktail explosif.

En face la peur du déclassement amène à réveiller un suprématisme blanc qui se nourrit du désespoir et justifie la violence. Dans les deux cas, plus personne n’a de rapport à la vérité, à l’histoire ou au factuel et tout est bon pour nourrir l’animosité d’un camp contre l’autre.

Même si je ne doute pas que l’idéal de Biden soit d’essayer de sortir de la crise vers le haut en essayant de reparler d’aspiration à  l’égalité, je crains que ce à quoi nous allons assister dans cette nouvelle Amérique risque de se cristalliser en une flambée du ressentiment autour des questions de race et à une compétition entre groupes ethniques pour s’assurer d’une meilleure place dans la compétition raciale que les autres. Dans une ambiance où toute « common decency » paraît avoir disparu, les conséquences à terme peuvent être graves. A ce genre de course à l’échalotte, il n’y a jamais d’issue positive.

Trump n’est plus, c’est une bonne nouvelle, mais il n’est pas sûr que l’Amérique soit sauvée pour autant.

Céline Pina, Essayiste et chroniqueuse, a fondé le mouvement Viv(r)e la République.