Naëm Bestandji . L’antisémitisme islamiste, un racisme mal connu et décomplexé

Il est des articles qui ne vieillissent pas. Publié le 10 mars 2017 sur son blog, celui de Naëm Bestandji reste fort actuel.

Marwan Muhammad répond à Marine Le Pen

Marwan Muhammad qui donne une leçon d’Histoire à Marine Le Pen, c’est comme si Mac Donald donnait une leçon de gastronomie à Quick.

L’argument du tweet de M. Le Pen ne vole pas très haut, tout comme la réponse de M. Muhammad. Ces déclarations sont tout autant ridicules et manquent tout autant de connaissances historiques l’une que l’autre. D’autant plus que ce dernier ne cesse de comparer l’incomparable : la situation actuelle des (intégristes) musulmans en France à celle des Juifs dans l’Allemagne des années 30 (1), tout en ignorant ici l’antisémitisme historique au sein de l’islamisme. Marwan Muhammad n’a pas plus son « BEP Histoire » que Marine Le Pen.

Cette joute verbale est à l’image des ressemblances et de la complicité qui lient les deux idéologies représentées par ces deux personnes. Deux idéologies qui se positionnent dans un système de valeurs situé à l’extrême droite de l’échiquier politique. L’une est le fer de lance de l’extrême droite traditionnelle, l’autre est le fleuron de la nouvelle extrême droite française. On peut le constater ici par le populisme de leurs déclarations. Mais on l’observe aussi et avant tout par leurs racines historiques et idéologiques, à commencer justement par l’antisémitisme, ainsi que par leurs stratégies actuelles. Leur antisémitisme commun s’explique par leurs lignées idéologiques racistes et totalitaires. Toutefois, l’antisémitisme islamiste, et d’identitaires musulmans de façon plus général, est à la fois moins connu en France et bien plus décomplexé ici comme ailleurs. La stratégie victimaire de l’islamisme pousse ses partenaires d’une frange de la gauche à occulter, voire à minorer et même à nier l’existence de cet antisémitisme à la fois spécifique et dans la continuité de l’antisémitisme occidental.

Les deux extrêmes droites ont en commun une partie de leurs racines antisémites

Si le Front National (FN) ne cesse jamais de nous rappeler les « racines chrétiennes de la France », il oublie toujours de rappeler les racines antisémites de son parti. Dans son désir d’atteindre un degré de respectabilité suffisant, il tente par tous les moyens de mettre son histoire et ses bases idéologiques sous le tapis de notre mémoire. Cela passe par le gommage de son histoire, un lifting marketing, mais aussi, comme on le voit ici, par de multiples diversions en renvoyant par exemple l’antisémitisme vers les islamistes.

Or, depuis ses origines, toutes les tendances de l’extrême droite française sont représentées au FN. D’Édouard Drumont à Jean-Marie Le Pen en passant par Pétain, du fantasme d’un complot juif mondial au négationnisme d’aujourd’hui, l’antisémitisme de l’extrême droite française traditionnelle est pavé de références qui se retrouvent toutes au sein du FN.

François Duprat en est un exemple. Cadre dirigeant du FN dans les années 1970, il était antisémite et négationniste. Il avait diffusé des ouvrages à la gloire du nazisme et des SS, ainsi que la traduction de diverses brochures telles que « Le Mensonge d’Auschwitz » ou « Six Millions de morts, le sont-ils réellement ? ».

Il y a également l’ancien militant des jeunesses hitlériennes et combattant SS, Franz Schönhuber, qui a été un proche des Le Pen. Il avait « siégé à l’Assemblée européenne dans le même groupe que l’actuel président d’honneur du parti et a même écrit sa biographie » (2).

Sans oublier les diverses déclarations de Jean-Marie Le Pen ces 40 dernières années qui illustrent cet héritage antisémite de l’extrême droite traditionnelle.

Mais si Marine Le Pen tente de faire diversion, elle n’a pas vraiment tort sur l’antisémitisme islamiste. Seulement, dans ses déclarations, elle use des mêmes méthodes que Marwan Muhammad. Ces deux extrêmes droites utilisent toujours des faits réels pour broder tout autour des faits qui ne le sont pas et/ou en occulter d’autres. Ce qui leur permet d’apporter des conclusions fausses mais qui servent parfaitement leurs intérêts.

Car si nous connaissons l’histoire antisémite de l’extrême droite traditionnelle, c’est moins le cas pour celle de la nouvelle extrême droite.

Depuis les origines de l’islam, les relations entre Juifs et musulmans ont parfois été houleuses, souvent fraternelles et fructueuses. Les liens sincères et profonds entre les deux communautés le sont encore bien plus qu’on ne le croit. L’excellente encyclopédie de l’ »Histoire des relations entre Juifs et musulmans des origines à nos jours », sous la direction de Abdelwahab Meddeb et Benjamin Stora (3), en retrace l’incroyable richesse sans en écarter les zones d’ombre. Car en terre d’islam, les Juifs n’étaient pas les égaux des musulmans. Mais ces riches relations, aussi imparfaites soient-elles, allaient être bouleversées au 20ème siècle par la conjugaison de trois éléments concomitants, la colonisation, le conflit israélo-palestinien et la naissance de l’islamisme contemporain menant vers une “salafisation” progressive de l’islam.

Si les musulmans ne sont pas antisémites par essence, l’antisémitisme fait partie de l’ADN de l’intégrisme musulman. Une haine des Juifs qui puise ses racines dans leurs interprétations coraniques mais également dans l’antisémitisme européen, inscrit lui aussi dans l’histoire du Front National. Une des bases principales de l’antisémitisme moderne en Europe est un ouvrage écrit en 1898, « Les protocoles des sages de Sion », à l’origine de la légende d’un complot juif mondial. Ainsi, pour les islamistes tout comme les antisémites européens, les Juifs seraient responsables de tous les maux de la terre, des problèmes économiques aux guerres en passant par les famines et autres problèmes du monde.

Si les musulmans ne sont pas antisémites par essence, l’antisémitisme fait partie de l’ADN de l’intégrisme musulman.

Durant la Seconde Guerre Mondiale, des musulmans avaient protégé les Juifs du nazisme. Ce fut le cas au Maroc, pourtant sous protectorat français, dont le roi refusa de les livrer à la France de Vichy. Le monde musulman en général n’a pas montré un grand intérêt à la propagande antisémite allemande, malgré tous les efforts nazis en sa direction. Si de nombreux musulmans souhaitaient la victoire de l’Allemagne, c’était moins par antisémitisme que pour l’espoir d’une libération du joug des colonisations françaises et britanniques. Mais tous les musulmans n’ont pas eu la même attitude. Car si, comme le dit ironiquement Marwan Muhammad pour dédouaner les islamistes de tout antisémitisme, il n’y a pas eu un « mufti Hitler diplômé en charia de l’université de Médine », il y a bien eu le mufti Al-Husseini Grand Mufti de Jérusalem… Il est l’antisémite musulman le plus connu de cette période.

L’antisémitisme virulent d’Amin Al-Husseini, Grand Mufti de Jérusalem

Jusque dans les années 1930, les Égyptiens musulmans et juifs cohabitaient sans heurts. A tel point que la propagande locale antisémite des nazis ne réussissait pas à s’implanter. Amin Al-Husseini et la toute jeune confrérie des Frères musulmans allaient faire évoluer la situation.

Le Grand Mufti était motivé par des raisons nationalistes dans le conflit israélo-palestinien naissant. Mais il était également profondément antisémite. Un antisémitisme nourri par sa perception de l’islam et l’antisémitisme européen. La « juiverie mondiale » lui parlait. Il n’a eu de cesse d’utiliser sa fonction pour islamiser la haine des Juifs en lui donnant un cadre religieux. Il était donc logiquement séduit par le nazisme et Adolf Hitler qu’il eut l’occasion de rencontrer. Il avait beaucoup de respect pour le petit moustachu haineux. Dès janvier 1941, il lui proposa un soutien actif. En 1942, il devint le parrain du tout nouvel Institut Central Islamique de Berlin, créé avec le soutien des nazis. Depuis Berlin, il dirigea la résistance contre les Alliés au Proche-Orient et prêchait la guerre sainte contre les Juifs à la radio allemande. Il tenta de convaincre les musulmans, y compris non arabes, de s’engager militairement avec les allemands. Comme ce 2 novembre 1943 où il s’exprima à la radio internationale allemande à destination du Proche Orient : L’Allemagne combat un ennemi qui est aussi le nôtre. Ayant parfaitement saisi la nature du Juif, elle a décidé d’éliminer définitivement le péril juif pour mettre un terme au mal qu’il inflige au monde entier (4).

Amin Al-Husseini et Adolf HitlerAmin Al-Husseini et Adolf Hitler

Amin Al-Husseini était parfaitement au courant de l’extermination des Juifs qui avait cours. Cette déclaration en est une des preuves. C’est Adolf Eichmann, haut fonctionnaire du Reich et officier SS, qui lui en avait parlé quelques mois auparavant. A cette époque, Eichmann était « administrateur du transport » : il avait la responsabilité de tous les trains qui acheminaient les Juifs vers les camps de la mort en Pologne. Peut-être qu’ils en discutaient parfois, autour d’un thé…

En contrepartie de ses loyaux services, le IIIe Reich lui offrit la belle vie : une jolie maison, une résidence secondaire, ainsi qu’une très généreuse allocation mensuelle.

En 1943, un autre nazi qu’il trouvait sympathique (oui, il aimait bien les nazis, surtout la crème d’entre eux), le chef des SS Heinrich Himmler, lui donna une information agréable à ses oreilles sur la progression de la Solution Finale : à ce jour, nous en avons exterminé environ 3 millions. (5)

Mais il y avait quand même, parfois, des Juifs qui réussissaient à s’échapper. De plus, il apprit aussi que des négociations avaient lieu entre les partenaires de l’Axe, les Britanniques, les Suisses et la Croix-Rouge internationale pour évacuer et mettre des enfants juifs en sécurité en Palestine (6). Et ça, ça ne plaisait pas du tout au Grand Mufti ! Il a alors tout tenté pour les arrêter. Il s’adressa au régime nazi et à plusieurs pays d’Europe centrale. Il écrivit par exemple au ministre des affaires étrangères de Bulgarie le 6 mai 1943 : La plupart des peuples se sont rendus à l’évidence que le péril juif menaçait le monde en général, et les pays abritant des Juifs en particulier. Nous ne pensons pas que la simple émigration des Juifs puisse résoudre ce problème. Car une fois émigrés, ces Juifs seraient libres de se rallier à leurs congénères de par le monde, pour nuire plus gravement encore que par le passé aux pays qu’ils ont quittés. (…) Il serait plus approprié et plus efficace d’empêcher les Juifs de quitter votre pays, et de les expédier dans des régions où ils seraient plus étroitement surveillés, comme la Pologne par exemple. Ce serait une manière d’écarter la menace qu’ils représentent, et une bonne action envers le peuple arabe qui saura se montrer reconnaissant. (7) La Pologne… Là où se trouvent les camps de la mort les plus performants, alimentés par les trains de Eichmann. Ses lettres n’eurent aucun effet. Cela n’enlève rien au fait qu’il les ait envoyées…

En 1943, l’armée allemande se heurtait à la résistance des partisans de Tito en Bosnie. Hitler ordonna la création d’une nouvelle division SS parmi les Bosniaques. Amin Al-Husseini se rendit sur place pour jouer les recruteurs. Plusieurs milliers de musulmans s’engagèrent dans la division de Waffen SS « Handschar ». Dans la foulée, les nazis inventèrent le néologisme de « musulgermain ». Himmler décréta que les musulmans bosniaques étaient à classer parmi les peuples européens de classe supérieure. (8) Le Grand Mufti se chargea de leur formation et recruta des imams pour la division.

Amin Al-Husseini inspectant la division de Waffen SS musulmane "Handschar"Amin Al-Husseini inspectant la division de Waffen SS musulmane « Handschar »

A la défaite, Al-Husseini fut capturé par les français. Considéré comme criminel de guerre, il fut placé en résidence surveillée en région parisienne.

Concernant les tirailleurs, et contrairement à ce que dit Marwan Muhammad, ils ne se sont pas « opposés au génocide au péril de leur vie ». Les soldats « indigènes » ont versé leur sang pour la France, mais pas pour ces raisons. Aucun soldat d’aucune des armées alliées n’avait combattu pour empêcher la Shoah. Tout simplement parce qu’aucun d’entre eux n’était informé de l’existence des camps de concentration et encore moins de l’extermination des Juifs. Seule une poignée des états-majors alliés connaissait l’existence des camps. Et encore, même eux n’avaient pas mesuré l’ampleur de l’horreur. L’information fut connue de tous une fois la guerre terminée.

Ainsi, les tirailleurs, comme tous les autres soldats, avaient combattu pour libérer le pays et annihiler l’ennemi nazi (sans aucune justification religieuse). C’était leurs seules motivations. Ce que dit M. Muhammad est donc faux. En revanche, des musulmans (même s’ils étaient bien moins nombreux que les tirailleurs et que leur rôle a été négligeable) ont bien combattu pour Hitler, fortement soutenus par Amin Al-Husseini qui, avec son entourage, était parfaitement informé du destin des Juifs et agissait au nom de l’islam.

Ces musulmans antisémites qui ont activement collaboré avec l’Allemagne nazie étaient une infime minorité comparée à l’ensemble des musulmans. Mais cette minorité est devenue une référence. Elle a posé les jalons de l’antisémitisme islamiste qui s’est dilué dans le monde musulman jusqu’à aujourd’hui.

La vie « professionnelle » du Grand Mufti était loin d’être finie. Il put s’évader de France et regagner l’Égypte grâce au soutien d’autres islamistes : les Frères musulmans. Leur destin idéologique ne pouvait qu’amener Al-Husseini et la confrérie à travailler ensemble. Dans les années 1930, l’antisémitisme des Frères musulmans allait de pair avec la détestation du colonialisme anglais. Hassan Al-Banna, le co-fondateur de la confrérie, eut logiquement très envie de collaborer avec Al-Husseini dans son obsession d’en découdre avec les Juifs en Palestine. Tariq Ramadan confirme la collaboration entre son grand-père et le Grand Mufti dans un de ses discours consacré à l’éloge de son aïeul (9).

Ces musulmans antisémites qui ont activement collaboré avec l’Allemagne nazie étaient une infime minorité comparée à l’ensemble des musulmans. Mais cette minorité est devenue une référence. Elle a posé les jalons de l’antisémitisme islamiste qui s’est dilué dans le monde musulman jusqu’à aujourd’hui.

Du Grand Mufti aux Frères musulmans

Ils avaient évidemment de nombreux points de convergence, notamment leur rejet absolu de tout ce que représentait l’Occident, à commencer par la mixité et l’égalité des sexes. Une égalité non réelle avec nos yeux d’aujourd’hui, mais trop présente déjà à l’époque aux yeux des islamistes. Et qui serait responsable de cette importation de mœurs dépravées ?… Les Juifs. Al-Husseini l’exprima en ces termes en 1935 : Le cinéma, le théâtre et certains magazines honteux entrent dans nos maisons comme des vipères, qui tuent la moralité et détruisent les fondations de la société. [Les Juifs] ont répandu ici aussi leurs us et coutumes qui s’opposent à notre religion et à tout notre mode de vie. Les jeunes filles juives qui courent en short démoralisent notre jeunesse par leur simple présence. (10) Il rejoint parfaitement les préoccupations de Hassan Al-Banna à propos de la culture et des mœurs que l’on retrouve dans les 50 demandes des Frères musulmans rédigées en 1936. Avec tous ces points communs, le Grand Mufti fut nommé après la guerre « chef des Frères musulmans en Palestine » et adjoint de Hassan Al-Banna. Et ce, malgré son passé nazi et son statut officiel de criminel de guerre. Ce passé et ce statut étaient même une source de fierté pour les islamistes. D’ailleurs, l’Amérique du sud ne fut pas le seul Eldorado des criminels de guerre nazis. Un certain nombre trouvèrent refuge en Égypte (ainsi que dans d’autres pays musulmans de la région).

Dès les années 1930, l’antisémitisme frériste grandissait à mesure de l’augmentation du nombre de réfugiés juifs fuyant l’Allemagne nazie. Je parle bien d’antisémitisme, pas seulement d’anti-sionisme. Entre autre exemple, le journal de la confrérie Al-Nadhir, tenait une rubrique régulière intitulée « La menace juive en Égypte » dans laquelle il publiait les noms et adresses des propriétaires des entreprises juives, ainsi que des journaux prétendument juifs à travers le monde ; tout le mal était attribué au « péril juif ». (11). En 1938 au Caire, lors de la « Conférence parlementaire pour les pays arabes et musulmans » en soutien à la Palestine, les Frères musulmans avaient assuré la distribution de la version arabe de « Mein Kampf » et des « Protocoles des Sages de Sion » (12).

Au début des années 1930, les Égyptiens étaient peu sensibles aux discours antisémites. Grâce au Grand Mufti et aux Frères musulmans, cela changea complètement moins de 20 ans plus tard.

Par la suite, Sayed Qutb, l’un des penseurs fréristes les plus durs mais aussi influents, ne fut pas en reste. Dans au moins deux de ses ouvrages écrits entre 1950 et les années 1960 (« Notre combat contre les Juifs » et « A l’ombre du Coran »), il exprima clairement ce qu’il pensait des Juifs. D’après lui, ils empêcheraient le règne de Dieu. Ses ouvrages font partie des fondements de la pensée islamiste d’aujourd’hui. On y retrouve le côté victimaire que nous connaissons chez les islamistes français, dont le CCIF : les musulmans sont persécutés, personne n’aime les musulmans parce que c’est le peuple supérieur qui a tout compris, etc.

Ses écrits concentrent également toute la rhétorique de l’antisémitisme musulman. Un mélange à la fois d’antisémitisme européen et d’interprétations coraniques. Qutb n’est pas toujours d’accord avec Hitler. Non pas sur l’extermination des Juifs. Non, là il estime plutôt qu’il n’a pas terminé le boulot. Son désaccord porte sur les moyens perfides des Juifs pour dominer le monde. Pour les nazis, ils luttaient en secret pour la fin des Aryens. Pour les islamistes, ils le faisaient pour la fin des musulmans : Depuis les premiers jours de l’islam, le monde musulman a toujours dû affronter des problèmes issus de complots juifs. (…) Leurs intrigues ont continué jusqu’à aujourd’hui, et ils continuent à en ourdir de nouvelles, cultivant leur rancœur, n’hésitant jamais à user de traîtrise pour saper l’autorité de l’islam. (…) Les Juifs ont toujours été les premiers à tirer, dans la guerre qui fait rage de toutes parts contre les défenseurs de la renaissance musulmane dans le monde (13).

C’est pour cela que, à ses yeux, les Juifs sont responsables de tout ce qui leur est personnellement arrivé à travers l’Histoire, des pogroms à la Shoah. C’est cohérent : les Juifs étant responsables de tous les maux de la terre, la Shoah ne peut donc être considérée comme un crime mais au contraire comme une punition. Si on a voulu les exterminer, c’est de leur faute. Dans le monde merveilleux de Sayed Qutb, « non seulement tout ce qui est juif est mal, mais tout ce qui est mal est juif. » Cette pensée glaçante rejoint l’autre obsession de Qutb, le sexe. Comme tous les islamistes, quelle que soit l’époque, il est obsédé par les Juifs et les femmes. Alors quand on peut rassembler les deux, c’est l’orgasme : La doctrine permissive que l’on appelle quelquefois “révolution sexuelle” a été pensée par un Juif (Freud). En vérité, ce sont des Juifs qui soutiennent la plupart des théories maléfiques visant à détruire toutes les valeurs et tout ce qui est sacré pour l’humanité (14).

A partir de là, toute personne, toute politique économique ou diplomatique, toute forme culturelle ne correspondant pas à ce qu’il souhaite sera accusée d’être un agent sioniste. Dans le discours antisémite, le glissement sémantique de « juif » à « sioniste » a été lancé par les islamistes.

Dans le monde merveilleux de Sayed Qutb, « non seulement tout ce qui est juif est mal, mais tout ce qui est mal est juif. »

Nous pourrions espérer que ces « opinions » soient seulement connues de ses fans de l’époque. Cela aurait pu être le cas. Mais son livre « Notre combat contre les Juifs », écrit en 1950, fut largement distribué par l’Arabie Saoudite dans le monde musulman à partir de 1970. Aujourd’hui, l’accusation de « sionisme », une insulte dans la bouche de ces musulmans, est largement répandue.

Les Frères musulmans dans la continuité : la Charte du Hamas et Youssef Al-Qaradawi

Plus proche de nous, la Charte du Hamas rédigée en 1988 (15) affiche sans complexe sa détestation des Juifs inspirée par sa référence absolue, Hassan Al-Banna. Dans son préambule, la charte cite le fondateur des Frères : « Israël existe et continuera à exister jusqu’à ce que l’islam l’abroge comme il a abrogé ce qui l’a précédé ». L’imâm martyr Hasan al-Bannâ -que Dieu lui fasse miséricorde !

Pour être encore plus précis sur sa filiation, le Hamas confirme dans son article 2 qu’il est l’une des ailes des Frères musulmans en Palestine.

Cette charte concentre encore et toujours les deux influences, européenne et religieuse. Elle est l’illustration fidèle de toute la rhétorique antisémite islamiste que nous retrouvons partout dans le monde. L’influence religieuse se retrouve dans son préambule par sa citation de la sourate 3 verset 112 du Coran : Où qu’ils se trouvent, ils sont frappés d’avilissement, à moins d’un secours providentiel d’Allah ou d’un pacte conclu avec les hommes. Ils ont encouru la colère d’Allah, et les voilà frappés de malheur, pour n’avoir pas cru aux signes d’Allah, et assassiné injustement les prophètes, et aussi pour avoir désobéi et transgressé.

L’influence de l’extrême droite européenne se retrouve dans l’article 22 : (…) Grâce à l’argent, [les Juifs] règnent sur les médias mondiaux, les agences d’informations, la presse, les maisons d’édition, les radios, etc. Grâce à l’argent, ils ont fait éclater des révolutions dans différentes régions du monde pour réaliser leurs intérêts et les faire fructifier. Ce sont eux qui étaient derrière la révolution française, la révolution communiste et la plupart des révolutions dont nous avons entendu et entendons parler de-ci de-là. Grâce à l’argent, ils ont créé des organisations secrètes qui étendent leur présence dans toutes les parties du monde pour détruire les sociétés et réaliser les intérêts du sionisme, comme la franc-maçonnerie, les clubs Rotary et Lyons, etc. Ce sont toutes des organisations qui se livrent à l’espionnage et au sabotage. Grâce à l’argent, ils sont parvenus à prendre le contrôle des États colonialistes et ce sont eux qui les ont poussés à coloniser de nombreuses régions pour en exploiter les richesses et y répandre leur corruption.

Nous sommes bien loin de la lutte indépendantiste. C’est donc en raison de tous ces clichés antisémites que le mouvement déclare à travers un hadith dans son article 7 que l’Heure ne viendra pas avant que les musulmans n’aient combattu les Juifs (c’est à dire que les musulmans ne les aient tués). Oui, nous sommes bien loin de la lutte indépendantiste. La cause palestinienne est légitime. Mais étant une branche des Frères musulmans, le Hamas n’est pas un simple mouvement de résistance.

« Grâce à l’argent, [les Juifs] règnent sur les médias mondiaux, les agences d’informations, la presse, les maisons d’édition, les radios, etc. Grâce à l’argent, ils ont fait éclater des révolutions dans différentes régions du monde pour réaliser leurs intérêts et les faire fructifier. »
Charte du Hamas, article 22.

Un autre exemple plus récent encore, celui de Youssef Al-Qaradawi, grand penseur des Frères musulmans encore en vie. Antisémite notoire, il a eu maintes occasions d’exprimer sa « sympathie » envers les Juifs. Comme en janvier 2009 où il déclara sur Al-Jazeera : Tout au long de l’histoire, Allah a imposé [aux Juifs] des personnes qui les puniraient de leur corruption. Le dernier châtiment a été administré par Hitler. (…) C’était un châtiment divin. Si Allah veut, la prochaine fois, ce sera par la main des musulmans. (16) Ce théologien est encensé par l’ensemble de la nouvelle extrême droite française, dont l’UOIF et Tariq Ramadan.

L’Afrique du Nord contaminée par l’antisémitisme

Sous l’influence des islamistes, cet antisémitisme s’est évidemment répandu en Afrique du nord. Le décret Crémieux de 1870, accordant la citoyenneté française aux juifs d’Algérie, marqua le début de la fracture entre Juifs et musulmans du Maghreb. Les conséquences de ce décret facilitèrent la propagande islamiste quelques décennies plus tard. Dès les années 1930, de vives tensions entre Juifs et musulmans d’Afrique du Nord éclatèrent en raison des évènements en Palestine. L’antisionisme commença à glisser dès cette époque vers l’antisémitisme inspiré de l’Europe. La naissance de l’État d’Israël en 1948 puis l’aggravation du conflit dans les années 1960 permirent à la fois aux islamistes, mais aussi aux pouvoirs politiques en place, de mieux l’instrumentaliser. Pour les régimes autoritaires post-indépendance du Maghreb, détourner l’attention vers la misère des Palestiniens était le moyen pour que les peuples se préoccupent moins de la misère chez eux. Ce qui contribue à éviter une déstabilisation des régimes. Cela leur permettait aussi d’apporter une pierre supplémentaire à la construction d’un sentiment panarabe. L’échec du panarabisme a ouvert un boulevard au développement du panislamisme. Pour les islamistes justement, la cause palestinienne est le moyen, non pas d’aider les palestiniens en trouvant une solution au conflit, mais de créer un sentiment d’appartenance à la Oumma en identifiant chaque musulman de la planète aux musulmans de Palestine. Le maintien du conflit, en le confessionnalisant, est donc primordial. Et ça marche. Nombre de musulmans dans le monde sont plus sensibles à ce que vivent les Palestiniens qu’à ce que vivent leurs voisins de palier ou leurs concitoyens non musulmans.

Pour les islamistes, la cause palestinienne est le moyen de créer un sentiment d’appartenance à la Oumma en identifiant chaque musulman de la planète aux musulmans de Palestine.

Les conséquences furent négatives pour les Juifs du Maghreb qui, pour nombre d’entre eux, n’avaient pourtant pas de liens avec ce conflit. Tout ceci engendra un malaise, une discrimination de plus en plus importante, voire une insécurité physique. Résultat : entre 1948 et la fin des années 1960, la quasi-totalité des Juifs vivant dans les pays arabo-musulmans ont émigré, la plupart vers Israël dans un déchirement immense. Nombre de ces Juifs ne se remirent jamais d’avoir quitté leur Maghreb tant aimé. La plupart d’entre eux se considérait comme marocains, algériens ou tunisiens, avant de se considérer comme israéliens. Drôle ironie de l’histoire : en poussant les Juifs à quitter leur pays et donc à émigrer en Israël, les maghrébins musulmans, qui hurlent à l’injustice envers la Palestine aujourd’hui, ont été parmi les contributeurs à l’aggravation de la situation des Palestiniens.

L’absence de Juifs dans les pays musulmans (ils y sont aujourd’hui peu nombreux), la propagande islamiste sur le conflit israélo-palestinien alliée à son instrumentalisation par les régimes autoritaires, ont permis de construire cette image fantasmée et antisémite du Juif depuis quelques décennies. En oubliant même leur histoire commune qui fut longue et riche.

L’héritage antisémite des islamistes en France

La transmission antisémite ne s’est jamais rompue. Une transmission à travers le temps et l’espace, jusqu’en France. Hassan Iquioussen, un prédicateur fanatique de l’UOIF, en est un des transmetteurs. Dans une conférence célèbre dans les milieux islamistes, il développe un discours dans la droite ligne de ses ainés. Cette conférence tenue en avril 2003 était intitulée « La Palestine, histoire d’une injustice » (17) (le terme victimaire « injustice » que l’on retrouve constamment dans tous les discours et de nombreux intitulés des conférences islamistes).
Entouré d’enfants car une bonne part de l’auditoire était venue en famille, on y entend encore et toujours le mélange de l’antisémitisme religieux basé sur des versets du Coran et l’antisémitisme moderne européen de l’extrême droite traditionnelle. Il explique que les Juifs sont ingrats, qu’ils ont tué Jésus et bien d’autres prophètes et que, par conséquent, c’est un peuple qui nécessite d’être rappelé à l’ordre 24h sur 24. Il relate également l’histoire du premier schisme en islam de cette façon : La première dispute qu’il y a eu entre les musulmans, vous savez elle est due à qui ? Elle est due à un Juif yéménite converti à l’Islam hypocritement et qui de l’intérieur va tout faire pour détruire l’islam. Il est dans le même délire avec la Turquie kémaliste : Vous savez, le mouvement des jeunes Turcs, qui a à sa tête Mustafa Kemal Atatürk (…). D’après certains historiens, Mustafa Kemal était un Juif. (…) Car en Turquie, il y avait des Juifs qui se sont convertis à l’Islam hypocritement pour pouvoir accéder aux postes les plus importants et détruire l’islam et les musulmans de l’intérieur.

Sa reconstruction historique va plus loin encore : Et qu’est-ce qu’ils font en Europe ? Ce que je vais vous dire va vous choquer, mais c’est les textes aujourd’hui qui le disent, ils vont être de connivence avec Hitler, les sionistes. Pourquoi ? Pour pousser les Juifs à quitter l’Allemagne. Parce que les Juifs allemands ne voulaient pas quitter l’Allemagne. (…) Alors les sionistes ont dit : « il y a qu’une manière ». Vous savez comment ? Il faut qu’il y ait en Europe quelqu’un qui fasse du mal aux Juifs pour dire aux Juifs « sauvez-vous sinon vous allez voir ce qui va vous arriver. Les Européens vous détestent, ils ne vous aiment pas ». C’est pour ça [que les sionistes] ont créé des groupuscules fanatiques intégristes qui tuaient, qui posaient des bombes, qui ont massacré des musulmans. Ce sont tous des gens qui ont offert leurs services à Hitler. Pourquoi ? Pour justement qu’Hitler tue des Juifs pour utiliser cela pour que les Juifs quittent l’Europe.

On a droit également au profil du Juif type : les Juifs sont des tricheurs, des menteurs car c’est dans leur nature. En revanche, il aime bien le Hamas : Vous savez ce que c’est le Hamas ? C’est la ferveur, c’est l’entrain, la pêche en arabe, ça veut dire les deux en arabe, Hamas. Et là, Ce sont des gens qui vont jusqu’au bout. C’est soit la mort et le paradis, soit la victoire et la libération et nos droits qui reviennent.

Nous ne sommes donc pas étonnés de la conclusion de sa conférence : L’ONU qui reconnaît la création d’un État qui n’a pas lieu d’être. En s’identifiant au drame que vivent effectivement les Palestiniens (« NOS droits qui reviennent »), il y inclut l’ensemble des musulmans du monde, y compris les intégristes, dans une rhétorique victimaire : Aujourd’hui on massacre les musulmans et on les fait passer pour des intégristes, des bourreaux, alors que ce sont eux-mêmes des victimes.

Plusieurs passages de cette conférence reprennent quasiment mot pour mot des propos figurant dans les livres de Sayed Qutb cités plus haut.

« [Les Juifs sont] un peuple qui nécessite d’être rappelé à l’ordre 24h sur 24. »
Hassan Iquioussen, prêcheur Frère musulman

Le CCIF, issu du même courant idéologique frériste, n’ignore pas les positions de Hassan Iquioussen, que ce soit sur les Juifs, les femmes ou les attentats. Cela ne lui pose aucun problème. Ils se retrouvent parfois dans des conférences pour dénoncer « l’islamophobie ». Hassan Iquioussen est même invité par le CCIF dans des conférences qu’il organise, telle que « Islamophobie décomplexée : quel impact sur notre société ? », en 2013 (18). Il y apporte le « point de vue spirituel » et Marwan Muhammad le « point de vue juridique » (sic). Un « point de vue juridique » non pas pour prévenir H. Iquioussen ou toute autre personne de l’illégalité et de l’aspect choquant de tels propos. Absolument pas. Il intervient pour expliquer à quel point la France est raciste et « islamophobe » quand elle s’oppose à leur intégrisme. C’est sûr qu’avec de tels personnages, cela va beaucoup aider les musulmans à lutter contre les discriminations et la peur de l’islam ! Mais le but n’est pas là. Si cela était pour lutter contre les actes et propos antimusulmans, ils ne s’y prendraient évidemment pas comme ça. Le but serait plutôt : « islamisme décomplexé : comment le valider comme étant le véritable islam grâce à l’arme de « l’islamophobie » ».

© Naëm Bestandji

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*