Pour
Cadeau de lumière
Il était une fois
C’est bien possible
Et même certain
Mais nous sommes ici
Au présent
En plein cœur
De la vie contemporaine
Il y a donc
Ici et maintenant
Une pauvre petite grand-mère
Pauvre ?
Je ne dis pas qu’elle vit dans une misérable
Cabane d’infortune
Cachée dans la forêt,
Comme une sorcière
Pauvre, cette grand-mère
De la ville moderne,
Car confrontée trop souvent
Et comme par hasard à la saison des fêtes
A des problèmes de cashflow
Impossibles à régler définitivement,
Elle est plus exactement
Et en ce moment-même dans la dèche
Nous voici arrivés à la saison
Des extravagances
Le luxe exposé à tous les étalages
Des guirlandes scintillantes zigzaguant
Au-dessus de la tête des rues commerçantes
Dans les foyers le sapin répand
Son parfum enivrant
Chargé de rêves de monts enneigés
Avec à ses pieds la promesse de
CADEAUX
Elle évolue dans ce décor
La pauvre petite grand-mère
Elle aussi la tête pleine d’images
Seulement ses images à elle
Sont différentes
Et ses poches
Alors que tout appelle aux achats fantastiques,
Sont plutôt vides
En raison, ce serait utile de le savoir
De son métier
Elle est philosophe
Qui plus est
Philosophe free-lance
Et franchement ce n’est pas rentable
Surtout
Surtout
Quand on est philosophe
Pour enfants !
Dans un vrai conte d’il était une fois
Cette bonne petite grand’mère trouverait
Quelque part à mi-chemin de l’histoire
Une poule aux œufs d’or
Une vache au lait de champagne
Une pierre précieuse
Un magnétoscope magique…
N’y pensons pas
elle s’en va de par les rues animées
A la recherche de modestes cadeaux de Hanouka,
Un petit cadeau chaque soir pour chaque petit-enfant
Faisons le calcul
8 x 8 = 64
Un petit cadeau pas minable
Mettons 64 x 50 Frs = 3.200 Frs
Sans compter les soufganiot à 15 Frs pièce
Si l’on veut les meilleurs
Banco ! le cœur y est mais le portefeuille ne suit pas
Qu’est-ce qu’on fait quand on est philosophe ?
On n’écrit pas de chèque sans provision
On ne vend pas ses bijoux artisanaux
On ne se fait pas embaucher comme vendeuse
Dans une boutique English spoken here
On réfléchit !
Et puis on fonce :
La grand’mère ferme ses livres
Ferme toutes les applications
De son ordinateur
Enfile son gros manteau
Et s’en va tel un fantassin
Faire les magasins
Elle erre dans les rayons
S’arrête ci et là, tête baissée dos voûté
Tourne et retourne de simples objets
Cherchant comment leur faire exprimer
L’amour débordant qu’elle ressent
Pour ses petits-enfants
Elle reste plantée ainsi
Pendant de longues minutes étirées
A soupeser un petit ceci ou cela
En se demandant où le placer
Dans l’une de ces chambres d’enfants de nos jours
Bourrées jusqu’au plafond
Des plastiqueries
Au point de faire dire
Par tous concernés
Ça suffit les jouets
Et pourtant comment nier le plaisir
De donner ?
Mais enfin comment nier le danger
De cette pauvre abondance?
Dans un magasin de bon marché exotique
Elle trouve de beaux articles
A des prix dérisoires
Qu’elle embarque
Avec un brin de mauvaise conscience :
Quelles petites mains les ont fabriquées
Au lieu d’aller à l’école ?
Quels prisonniers les ont façonnés,
Punis pour avoir osé
S’opposer aux tyrans ?
Dans la rue des Rosiers
Elle refait un stock
De minces bougies tutti frutti torsadées
Confectionnées à Jérusalem,
Celles-là mêmes qui ont éclairé
Les Hanouka de son enfance
Elle fait provision de pommes de terre
A râper (à la main: elle n’a pas de robot)
Et transformer en délicieuses latkes
Mais rien ne pourra faire oublier
Que tout autour une autre fête
Se prépare
Grandiose
Omniprésente
Séduisante
La pauvre petite grand-mère
Voit en flashback ces immigrés démodés
Venus d’Europe se réfugier
Dans la vie confortable américaine
Rescapés
Des catastrophes qu’elle
Ne savait pas encore mesurer
Aujourd’hui
Immigrée elle-même
Elle passe dans les allées des magasins du quartier
Faisant la cueillette des objets simples
C des noix dans la forêt
Tantôt confiante tantôt doutant d’elle-même
Que vont-il penser, les enfants ?
Que ce sont des cadeaux misérables
Pour marquer une fête minable ?
Et que la grand-mère philosophe
Ferait mieux de trouver
Du travail correctement rémunéré
Et laisser tomber ces vieilles coutumes
Qu’elle ne sait qu’à moitié respecter ?
Huit jours de Hanouka
Chaque soir on rajoute une bougie
Une, deux, trois, quatre
Chaque soir l’idée se fait plus claire
Gagne du terrain
Se glisse entre les dessins animés à la télévision
Et les devoirs d’écoliers
Cinq, six, sept, huit
La flamme se dresse, lance vers le haut
Sa chaude lumière captivante
Après l’allumage, le petit cadeau
Un brin décevant
Un soir, deux, trois,
Et puis, merveille
Le cadeau devient plus petit encore
Plus léger
Jusqu’à s’effacer
Et laisser paraître
Dans toute sa splendeur
La pensée
Qu’il enveloppait
Quatre, cinq
Bougies allumées
On éteint les lampes électriques
Afin de mieux voir la flamme étirée
La parole aussi devient douce, sincère
Six, sept, huit
On prend des forces pour la vie à venir
On puise des forces
Dans le cœur l’un de l’autre
La grand’mère qui ne se laisse pas abattre
Les petits-enfants qui grandissent droits et bons
La flamme du shamash, bougie centrale
Qui allume les autres
Un, deux, trois, quatre, cinq,
Six, sept, huit
La flamme de la grand’mère qui éclaire
Les enfants qui lui donnent
De la lumière
© Poller Nidra
Ecrivaine et journaliste américaine, Nidra Poller vit à Paris. Elle est traductrice notamment de Levinas, et correspondante de plusieurs publications et de sites Web d’information en langue anglaise comme National Review, FrontPage Magazine
Le Monde du 10 et du 11/12 a fait 2 articles (dont un assez long) sur la reconnaissance réciproque d’Israël et du Maroc
Ils ont fini par avoir honte de leur silence !