Depuis une poignée de jours, c’est Festival. Festival d’allusions crapuleuses au “commerce que feraient les Juifs” (et de qui donc voudriez-vous qu’ils parlassent dites-moi), au “commerce donc que feraient les Juifs” avec « leur » Shoah, leur « Trésor de guerre », leur « sans dot » de Molière.
En réalité, dans ce grand théâtre jamais interrompu où chaque jour déverse son fiel ( Ô, juste un soupçon, une allusion ) d’antisémitisme, où vous saisit à la gorge plus souvent qu’à son tour le Point Godwin, faisant que, même étreint d’un je ne sais quoi de définitivement nauséeux, souvent vous laissez faire, sans plus réagir, lassé, dégoûté, saisi d’un mépris certain, mais en rien résigné et en rien vaincu, dans ce grand théâtre abject donc, il est néanmoins des “Jours de Festival”, des heures grandioses, des étonnements insoupçonnés, des doutes brutalement devenus certitudes, Je parle de ces jours où l’Un, donnant le La, ouvre la boite de Pandore, exhortant ainsi les autres à se laisser aller à ce qui semble être leur obsession, mais qu’ils aimeraient tant nous vendre comme… une obsession … toute juive, mieux encore : comme un “privilège juif”.
Marlène Schiappa sur Radio J
Le festival antisémite commença ainsi : Alors que Marlène Schiappa au micro d’Ilana Ferhadian sur Radio J parla ce dimanche une heure durant de l’actualité dans son entièreté, elle fut interrogée en toute fin d’interview sur l’avenir de l’Observatoire de la laïcité, -avenir que chacun savait-, et confirma qu’il serait remplacé par un probable jumeau, et que, petite faveur misérable consentie aux associations laïques, le duo de très mauvais équilibristes Bianco-Cadène serait démis de ses fonctions “mais à la fin de leur contrat”.
La chose eût pu, eût dû être un non-événement, au vu du reste de l’interview.
Cette pauvre Isabelle Kersimon
Seulement voilà : D’aucuns furent éminemment “choqués”, que dis-je, “révulsés” qu’une telle annonce eût pu être faite sur un media juif, “utilisé” par une Marlène Schiappa décidément plus retorse qu’on aurait cru: Il n’y a pas à aller se réjouir d’utiliser une radio juive […] C’est même carrément honteux, s’époumona l’inénarrable Isabelle Kersimon, alors qu’un de ses amis renchérissait : Il faut quand même le faire: c’est sur une radio religieuse communautaire que Marlène Schiappa choisit d’annoncer [… la mort de l’excellent Observatoire de la laïcité.
Nous n’aurons pas la petitesse de rappeler combien ladite Isabelle Kersimon fut heureuse, lorsque Le Point la remercia, de publier … dans TJ, media juif s’il en est… Et choisirons un autre temps pour nous questionner sur ce que devra décidément, encore et encore, signifier aux yeux de certains le fait de “s’exprimer sur un media juif”, tant il est à désespérer qu’un jour la chose fût perçue comme un non-événement…
Entrée en scène de Gérard Boyadjian
Mon historiette n’est point finie : Dans la foulée, fit un explicite et désormais clair coming out en matière de griefs envers les Juifs dans leur ensemble le sieur Gérard Boyadjian, auquel j’eus jadis le plaisir fort naïf d’offrir Tribune ici-même, ( 2 ou 3 fois en 2020 quand même ), et le faisant … avec le coeur, concernant son travail de réalisateur, que celui-là concernât la sphère intime ou un projet éminemment politique, puisque notre homme s’était à raison saisi de ce qu’il est convenu de nommer Le Djihad judiciaire, qu’il le fit concomitamment au procès Georges Bensoussan, et que de surcroît il le fit fort bien. Notre artiste me paraissait donc un “Homme de bien”, doublé d’un arménien touché à raison par le drame de son peuple. J’eus même la faiblesse de penser un temps que cela nous avait rapprochés: Ne m’étais-je pas, ici même, retrouvée à parler de peuples-frères et à me désoler récemment que l’Etat hébreu commerçât et vendît ses drones aux forces azerbaïdjanaises…
“Arménie”, le documentaire de Michel Onfray
Entre temps, Michel Onfray était revenu de là où peu de journalistes font l’effort d’aller voir, et livra Arménie, un choc des civilisations, ce documentaire subtil et poignant dans lequel, laissant à témoigner images désolantes d’écoles en feu, vieillards en larmes, et paroles d’arméniens : Regardez. Vous ne pouviez pas dire Nous ne savions pas, commente en Off la voix d’Onfray, qui démonte ces media du monde entier qui n’ont honteusement que faire de ce conflit, occupés qu’ils étaient par des sujets d’importance autre. Et le philosophe de conclure, à précisément 2h39 minutes du film, fustigeant cette fois les media français, de France Inter à Libé en passant par Le Monde, ces idéologues de gauche[1], gangrénés par cet islamo-gauchisme, ces NPA, LFI, LO, ce PS qui courait après cette gauche-là, tous ces pleutres donc qui feignaient d’ignorer le génocide arménien, de peur de passer pour des suppôts de Marine Le Pen, Onfray qui dénonçait le silence de la presse française et son fonctionnement, son aveuglement à voir les choses qui se répétaient, son obsession à préférer l’idéal au réel : Plus jamais ça, Plus jamais ça, disent-ils en permanence, Ils parlent de la Shoah tout le temps, ils parlent d’Hitler tout le temps, ils parlent des camps de la mort tout le temps ces gens-là, […] tous ces gens-là instrumentalisent la shoah, attention ça risque d’arriver avec MLP et quand ça arrive réellement avec Erdogan, ils ne voient rien, c’est l’aveuglement total, ils fantasment sur une Shoah qui reviendrait pendant qu’ils ne voient pas le massacre des arméniens qui a lieu.
Lorsque la malhonnêteté intellectuelle se fait insigne
C’est alors que, se livrant à une petitesse de laquelle je ne le soupçonnais pas, Gérard Boyadjian se délecta à nous livrer avec une malhonnêteté confondante l’extrait ci-dessus cité mais défait de son contexte, donnant à interpréter ce Ils comme l’ensemble du peuple juif, lequel, on ne l’entend que trop, commercerait sur ce qui fut, est, et restera son histoire, – n’en déplaise aux Gérard Boyadjian-, ce que Lanzmann appelait en secret La Chose, ne trouvant pas de mot pour dire l’indicible, et que Shoah, terme récurrent dans la Bible et signifiant l’anéantissement, fut choisi par des rabbins pour désigner la Chose, Shoah devenant dès lors un nom propre intraduisible , le seul qui évoquât, en les supplantant, holocauste, génocide ou Solution finale. Ce dont toujours Claude Lanzmann, dans son allocution au Mémorial de la Shoah[2], parla en évoquant L’immensité de l’assassinat, les sobres murs des noms des 80 000 déportés de notre pays, le Mémorial de la Déportation des Juifs de France
Erigé par Serge Klarsfeld qui publia dans cet épais volume non paginé les listes ronéotypées des déportés de chaque convoi : Nommer, c’est ressusciter, en donnant la seule sépulture possible, nous rappela-t-il alors, évoquant les pierres tombales de ces carrés juifs qui ne recouvrirent ni cercueil ni ossements : une photographie légendée d’un nom suivi de la mention Mort à Auschwitz et puis d’une date.
Claude Lanzmann qui parla encore d’une attaque radicale et sans précédent contre le nom juif, qui nous redit comment Goering, dans un souci de désindividualisation qui devait déboucher sur l’extermination de masse, imposa aux Juifs et Juives d’Allemagne l’adjonction d’un prénom supplémentaire, le même pour tous, Israël pour eux et Sarah pour elles.
Claude Lanzmann enfin évoqua la diabolique entreprise de dé-nomination, ce meurtre des noms qu’un indélébile numéro tatoué sur l’avant-bras avait remplacé à jamais, ce numéro qui suscitait en lui l’irrépressible envie d’y poser ses lèvres, en gage de piété et respect infinis, Claude Lanzmann qui assimila la Chose au funeste projet de l’absence de toute trace, ce non-lieu du crime : le crime parfait a été accompli : il n’a pas eu lieu.
Perdre son âme
Mais Gérard Boyadjian perdit son âme, s’il en avait une, glosant avec ses amis sur ce “privilège juif”, utilisant sans vergogne des propos “justes” de Michel Onfray, les domestiquant sans honte en les sortant de leur contexte, et demandant que, dès lors, on allât plus loin et surtout plus fort, par réciprocité morale et équité républicaine, et qu’il fût décidé que, le génocide juif ne constituant pas la seule infâmie ayant bouleversé notre planète, “nous lui assimilions désormais toutes les autres catastrophes”, qu’il lista dans un improbable inventaire à la Prévert, ratissant large, très large, se mêlant lyriquement d’oser comparer des réalités odieuses et des processus d’élimination incomparables.
Au lieu que de se demander Qui instrumentalisait la Shoah, au lieu que de s’interroger sur la possibilité d’établir une hiérarchie des génocides, Gérard Boyadjian a-t-il préféré s’acoquiner avec l’abject…
[1] Mention à Valérie Toranian, Franz Olivier Giesbert, Tesson, et encore Ruffin et Quatennens de LFI, lesquels se saisirent avec force du drame arménien pour tenter d’alerter le monde
[2] 9 octobre 2005
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