Marco Koskas. Ecrivain gratuit

Il y a encore 10 ans, ça ne se faisait vraiment pas. Un écrivain ne faisait pas sa pub ouvertement sur les réseaux sociaux. La modestie était de mise, même si secrètement, on guettait les articles consacrés à son nouvel opus, on attendait impatiemment d’être invité à telle et telle émission.

Il y avait des attachées de presse pour vanter vos mérites et organiser le battage autour de vous, tandis que vous demeuriez sur votre Aventin, mi-indifférent mi-absent, en tous cas au-dessus de la mêlée.

Vous passiez bien quelques coups de fil pour savoir si untel ou untel avait reçu et lu votre ouvrage, mais il fallait rester discret. Rester sur son quant-à-soi.

Facebook a changé ce code de conduite, et cette modestie apparente n’est plus de mise. Aujourd’hui, même mes copains-écrivains les plus puritains se jettent à l’eau. On tombe ainsi à tous les coins de Facebook sur de l’auto-promo de romancier, comme si au fond l’acte d’écrire s’était tellement banalisé que ça ne vaut plus la peine de rester sur son quant à soi.

Des gens qui écrivent il y en a aujourd’hui plus que de gens qui lisent. Une foire d’empoigne a lieu sous nos yeux entre ces parutions par milliers, et vous aurez compris que je ne m’exclus pas du nombre. Bien au contraire, c’est ma propre expérience qui me dicte cette réflexion.

Etait-ce mieux avant ou maintenant ? Comme toujours, il y a du mieux et du moins bien dans chaque époque. Pour moi, les réseaux sociaux ont été une chance inespérée de continuer à exister comme écrivain, au moment où les éditeurs et la critique m’avaient enterré vivant. J’ai pu ainsi publier des dizaines de chroniques que je n’aurais même pas pris la peine d’écrire auparavant, parce que j’aurais eu à me coltiner les avis, les opinions et jugements des professionnels de la lecture, leurs fines bouches et leur regard détourné.

Peu à peu, en dix ans de Facebook, j’ai réussi à réformer et briser la condamnation à mort que la profession avait prononcée contre moi. J’ai également quitté la France, et j’ai émigré en Israël, renouvelant ainsi mon inspiration. Mystère et prestige.

Mais pour autant, je persiste à penser que Facebook annonce la fin des écrivains. Je le pense parce qu’aujourd’hui, rien n’est plus simple que d’être « ami « avec un écrivain sur Facebook. Cette notion d’ami virtuel est en train d’avoir raison du mystère et du prestige dont jouissait jusque là l’écrivain. Comme le selfie avec une star permet de faire croire qu’on est intime de cette star; de la même façon que WathsApp est une compagnie de téléphone qui vaut des milliards en bourse alors qu’elle est entièrement gratuite pour les usagers, l’écrivain doit se résigner à ce que les lecteurs ( et surtout ses « amis « de Facebook) aient un accès gratuit à sa prose.

A croire que rien ne vaut plus d’être acheté. Et payé. La gratuité a eu raison des auteurs-compositeurs de chansons via You Tube, et toutes les productions de l’esprit deviendront peu à peu gratuites sur les réseaux.

La pandémie ayant fermé théâtres et musées, seules les crèmes de beauté et les Louboutin resteront payants…


Son Balace Bounel, publié chez Ramsay, reçut en 1979 le Prix du Premier Roman. Marco Koskas, pensionnaire de la Villa Médicis de 1980 à 1982, est l’auteur de la biographie du Docteur Schweitzer ( 1992 chez Lattès ), mais également de nombreux romans. Si on lui doit l’adaptation du Roi des Schnorrers d’Israël Zangwill, créé au Festival d’Avignon en 1995, Si on a lu et aimé Mon coeur de père, publié chez Fayard en 2012, Ivresse du reproche, et son Bande de Français, retenu en 2018 pour la première sélection du très prestigieux prix Renaudot, faisant dire au chroniqueur du Point que Marco Koskas écrivait comme un « combattant du style », « un guerrier tartare » au service d’un « récit alerte, violent, désordonné, où on entend cette musique de plus en plus rare dans la littérature contemporaine étouffée: la respiration de l’auteur« , il faut aujourd’hui lire Aline Pour qu’Elle Revienne, décrit comme un « polar lyrique et déjanté » et que TJ vous présentera très bientôt.

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3 Comments

  1. Résumé parfait de la situation.
    Même constat à propos du journalisme, quand on observe qui se proclame  » journaliste « … Exemple, un Taha Bouhafs. Un smartphone, un partage de clichés sur les réseaux sociaux, et voilà le nouveau journalisme !

  2. Aujourd’hui, il suffit d’avoir un téléphone portable pour se proclamer photographe, un pinceau pour peindre, savoir jouer de la musique pour se dire musicien, comme s’il suffisait d’avoir un stylo bille pour être écrivain, mais on oublie où sont passés le regard, la pensée, l’inspiration, l’inventivité qui ne s’achètent pas et surtout le travail qui font qu’un artiste est ce qu’il est et pourquoi il ou elle peut être admiré(e). S’il on compare avec le 19ème siècle, seuls quelques peintres ( surtout les impressionnistes) sortaient du lot et pourtant il y avait plus de 25000 peintres dits « pompiers »et tombés complètement dans l’oubli.

  3. Non, ce n’est pas comparable avec le 19eme, âge d’or du roman. Les peintres pompiers ont eu aussi leur heure de gloire, Bouguereau par exemple, que l’on redécouvre aujourd’hui. Non, le vrai problème, est que la proximité fictive que créent les réseaux sociaux entre l’artiste et le public, entre l’écrivain et ses possibles lecteurs, dévalue sans doute le prix de sa création. On ne veut plus payer ce qui est devenu proche. Le reseau lui-même étant gratuit, pourquoi ceux qui le peuplent devraient-ils être payés? se dit le consommateur  »ami » avec telle ou telle célébrité.

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