Aujourd’hui je pense à mon père. Et notamment à deux dialogues entre nous. Les relations entre nous ne furent pas des plus faciles. Néanmoins, par deux fois, je n’ai pu faire autrement que de l’entendre.
La première fois constitua pour moi une bonne occasion d’apprendre à me la boucler. Je devais avoir vers les quinze ans et, comme d’habitude aux alentours de cet âge, étais animé par une rébellion dont le côté artificiel et de pacotille prévalait souvent, des certitudes en cascade, et certainement, mais je ne m’en rendais pas compte, une attitude parfois franchement déplaisante dans le but de convaincre, sans grand succès je l’avoue… Nous devions être donc vers 1977-1978. Et, à l’occasion de je ne sais quelle manifestation réprimée « de manière excessive », je comparais cette répression à celle en vigueur sous l’occupation, voire au nazisme. Il sursauta, me regarda fixement, et me demanda d’un ton glacial que je ne lui connaissais pas : « Ah bon ? Tu as connu l’occupation et le nazisme ? » Bien entendu, je fus dérouté par la question et l’intonation de la voix. Et que répondre ? Etant né le 8 décembre 1961, répondre « oui » m’eût amené à être obligé de prouver ma présence à cette époque dans une vie antérieure. Dans le genre « facile à établir », il y a mieux… Donc la réponse la plus intelligente qui me vint à l’esprit fut de bredouiller un plus que lamentable « Euh… » On a fait plus fulgurant… La question fut reposée d’un ton plus fort et plus glacial à la fois. « Tu n’as pas répondu. TU AS CONNU L’OCCUPATION ET LE NAZISME ? » Que répondre, malgré les œillères dont la révolte adolescente équipe celles et ceux qui en sont atteints, sinon un timide « Non »… La conclusion ne tarda pas, et claqua comme une gifle : « TU N’Y ETAIS PAS. ALORS TAIS-TOI !! » Et là que répondre ? Rien. Et même moins que rien, quand la personne qui m’intimait cet ordre avait dirigé un réseau de résistance opérant en Ile-de-France, et dépendant du SOE, donc des anglais, cumulait les décorations. L’une d’entre elles le rendait particulièrement fier : il était Officier de l’Ordre de l’empire britannique. Une seule solution : se la boucler. Et piteusement.
Quelques années plus tard, le dialogue n’était pas facile. Quand nous parlions, je lui posais pas mal de questions sur cette période. Impossible de ne pas lui demander ce qu’il pensait de Pétain. Et là, mais pas à mon encontre, j’ai retrouvé le même ton et la même expression que quelques années auparavant : « Pour moi, Pétain n’est pas responsable ». Et face à mon expression interloquée, il poursuivit en détachant les syllabes : « C’EST LE RE-SPON-SA-BLE NU-ME-RO UN !!! » rugit-il. Je découvris à cet instant la colère et même la rage à l’encontre de celui dont certains pensent qu’il avait « limité les dégâts, voire même sauvé la France ». Il m’expliqua que l’intéressé avait entraîné des personnes de valeur dans l’antre du diable au nom de son prestige, son aura, son charisme de « vainqueur de Verdun ». Il me raconta avoir dialogué avec des personnes devenues des collabos notoires qui lui ont dit « C’est par fidélité au maréchal » et dont certains ont été fusillés. Selon lui, sans Pétain et son prestige, rien n’aurait été possible. Ce prestige, ce charisme, il les a corrompus, dévoyés…
Il raconta ne pas avoir entendu l’appel du 18 juin de De Gaulle (au demeurant, presque personne ne l’avait entendu), mais avoir entendu en direct celui de Pétain du 17 : « C’est le cœur serré… cesser tout combat… etc… » et la rage ressentie alors, la même que celle qu’il exprimait devant moi.
C’est cette rage et cet écœurement qui l’ont amené à rentrer en Résistance vers 1941.
S’agissant de ce père, je suis fier de tout ce qu’il a accompli pendant et après la guerre, (et obligé d’admettre qu’il avait des failles dans sa vie de famille, mais c’est une autre histoire).
Je ne m’étais plus risqué à opérer la moindre comparaison avec le nazisme, s’agissant de notre environnement politique, jusqu’à ce qu’il y ait matière à exception : le djihadisme islamiste qui fonctionne selon le même mode. Et qui est pourvu de son lot de collabos…
Quant à Pétain, je suis comme mon père. Je n’arrive pas à lui trouver la moindre excuse ni la moindre circonstance atténuante. Il est bel et bien LE RE-SPON-SA-BLE NU-ME-RO UN.
© Frédéric Picard
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