Ma période préférée de l’année, non pas seulement parce que c’est mon anniversaire, mais surtout parce que c’est véritablement le moment où l’on touche le fond du fond du trou, le moment le plus noir de l’année, le jour le plus court, la nuit la plus noire, le “minuit de l’histoire” comme dit Neher, et qu’au même moment, se moment où l’on coule, où l’on se noie totalement au fond des ténèbres les plus noires, c’est là que nos pieds touchent le sol et dans un instinct de survie suffocant, dans un dernier sursaut de vie, quand l’eau noire et glacée envahie déjà nos poumons, nos pieds poussent alors de toute leur force pour remonter.
Je le sens dans ma chair ce moment le plus noir, je sens ces ténèbres et ce froid envahir mon corps et mon âme et, au milieu de cette tourmente physique et métaphysique, ne voila t-il pas que nous allumons les bougies de Hannouca. Et non pas une petite bougie pour se sentir appartenir à la souffrance du monde mais huit flammes fières d’une hanoukia entière pour relever, rallumer ce monde de pourriture. Du sein de l’enfer quotidien, de l’indifférence de la violence ordinaire, mon âme aspire à changer le brasier des autodafés humains en douce chaleur réconfortante, protectrice et fécondante… “Lis mon livre et puis brûle-le afin d’écrire le tien propre“, écrivait alors André Gide.
Quel symbole que cette hanoukia à Paris, New york, Auschwitz et Jérusalem… La ligne et Le cercle… Le feu d’en bas qui cherche à rallumer le feu d’en haut… Une fête bien étrange, aux allures de contes de fée, de légende inventée… oscillant entre une histoire d’hommes et une histoire de femmes…
Penchons nous une seconde sur l’histoire des Maccabim, imaginez le Matatiaou a Cohen entourés de ses fils valeureux qui sortent du saint des saints, le sanctuaire souillé par les grecs, et vêtus de leurs habits de cohen étincelants, sortant de leur statut de pureté, ils sortent les lames, aiguisent le fer, sillonnent les routes et enjoignent au peuple de se secouer, de se réveiller, de combattre, de réagir avant l’extinction finale… la plus insidieuse de toute, celle qui s’opère doucement, lentement, mais sûrement dans le consensus des compromis, des demi mesures et des renoncements au prix du vivre ensemble…
Je pense grec, je parle grec, la sagesse est reine et nous entoure, pourquoi ne pas accepter telle idole au cœur du temple ? Telle orgie sur le beau tapis et se réchauffer au feu de la menora d’or… si cela nous permet de vivre encore un peu dans l’opulence, encore un peu dans l’illusion que nous sauverons nos peaux en acceptant, oubliant, s’oubliant, et acceptant encore en courbant l’échine… une histoire d’hommes, de sang, de violence, de défi, de compétition, de pouvoir, de vengeance et d’arrogance.
Dans un texte sur le pardon, Neher rapporte la mahloket entre Beth Chamay et Beth Hillel sur l’homme qui a volé la poutre de son voisin pour construire sa maison: Beth Hillel accepte l’option d’une réparation pécuniaire pour dédommager son voisin. Beth Chamay tranche que le pardon ne sera complet et effectif que s’il retire la poutre pour la rendre à son voisin, que le réel pardon passe à travers “l’écroulement de la maison” et que ce n’est que sur les ruines de cette maison écroulée que l’on peut reconstruire sainement.
Dans la majorité des cas, la halaha est comme Beth Hillel mais quand la visée est prophétique, messianique, comme dans le cas, ici, des Maccabims, peut-être que ce n’est que par l’écroulement total de la maison que la pureté pourra rejaillir à nouveau : le temple est souillé et, pour le sauver et sauver l’âme du peuple en péril, les maccabims doivent également se souiller et cette souillure nécessaire les conduira à retrouver la petite fiole d’huile pure…
Pensée dangereuse, à la limite de l’hérésie, située dans l’angoisse et le risque d’une foi brûlante qui est tout sauf un mou catéchisme, dans un pari pour le « alevay che yaamod ! » (Pourvu qu’il tienne !) de Dieu qui prie pour qu’à la 36ème tentative, le monde tienne.
Les Maccabims agissent ici comme Esther. Comme si Dieu n’allait pas intervenir, et ils sortent de leur statut de Cohanim pour cela, sachant que le sang sur leur main leur interdira à tout jamais de retrouver la pureté originelle… Alors que sera cette mystérieuse fiole d’huile si elle n’est pas vraiment ce qu’elle dit être ?
En attendant, on assiste à la victoire d’une minorité sur une majorité, méatim mi yad hazakim, des faibles aux mains des forts, un bon documentaire pour France 2, un remake de Pourim…
Un étrange miracle…
Or voilà qu’à cette victoire toute humaine et toute inespérée, à cette révolte in extremis sous la houlette du grand matatiahou version second temple qui ressemble beaucoup aux histoires de talmud torah qu’on raconte le dimanche matin dans la salle froide pour imprégner les consciences, voilà que s’ajoute un étrange miracle : dans le temple souillé on trouve une petite fiole d’huile d’olive pure et inviolée… et non content de la trouver, on rallume la menorah du temple… et celle-ci brûle 8 jours ! C’est Cendrillon et la citrouille… Pendant la longue nuit d’impureté, le miracle, l’illusion ?, durent 8 jours, temps qu’il faut, nous avait on appris, toujours le dimanche matin pour refaire de l’huile d’olive vierge.
Or voilà que bien plus tard, mon amie la rabbine, première à avoir décroché le diplôme de poseket halaha d’Israël, le mercredi et non plus le dimanche, dans une midracha où les femmes peuvent étudier la guemara, me raconte que ces 8 jours ont été fixés bien plus tard et soulèvent des questions: pourquoi 8 jours et pas plus ou moins ? Et cette histoire d’huile vierge qui ne tient pas, vu que tout était souillé, hommes, bêtes, temple et olives, on pouvait bien allumer quand même avec ce qu’on avait sous la main… surtout si c’était seulement symbolique. D’autant que nos amis les maccabims, tout cohanim qu’ils étaient, étaient complètement souillés eux aussi par le sang des grecs mais aussi par la prise d’un pouvoir qui ne leur revenait pas, qu’ils auraient du remettre à la royauté d’Israël et non s’engager dans une longue période de règne où politique, pouvoir et sacerdoce furent mélangés entre leurs mains, où la mafia des maccabims tenaient en ses mains tous les pouvoirs, chevet et mehokek, législatifs et religieux, et proclamait “Got mit uns !” comme leitmotiv justifiant toutes leurs actions, après leur victoire contre les armées d’Antiochus.
Cela leur fut reproché, comme on a pu reprocher à Esther d’être ensuite restée vivre avec Ahashveroch…
Humains, trop Humains… Les meilleurs d’entre nous ne sont pas parfaits mais peuvent tendre vers l’absolu… Huit jours, comme sept jours de pureté et huit, le jour du mikve, le jour de la renaissance.
Hannouka comme Hannoukat Bayit, l’inauguration du temple, de la maison que l’on fête pendant huit jours avant de pouvoir y entrer.
la petite fiole d’huile de Hanouka contient le Temps
Cela ne vous rappelle rien ? Ce temps que l’on compte entre deux évènements, entre Pessah et Chavouot, ce compte du Omer qui est une élévation dans le temps. La petite fiole d’huile ne contient pas de la pureté, comme on aurait tendance à le croire, l’huile n’est pas celui de la friture mais celui des rouages, la petite fiole d’huile de Hanouka contient le Temps.
C’est l’élément qui permet la réparation, la construction, de transformer la vie en mort et la mort en vie, de faire germer la pourriture et de sortir des fleurs du pire charnier. Le Temps de l’Histoire est l’acteur secret du mythe de Hanouka. Il faut d’ailleurs passer du temps devant la Hanoukia. C’est la mitsva.
L’absolu au sein du relatif
Autre mahloket : la mitsva est t-elle dans la braha ou dans l’acte d’allumer ? Combien de temps minimum faut-il rester devant la hanoukia ? Cette petite fiole d’huile représente la possibilité pour l’éternité divine de prendre forme dans l’histoire humaine en s’insérant dans le destin d’Israël. Mené par une visée messianique, le temple sera reconstruit, le lion jouera avec l’agneau et les peuples viendront proclamer l’unité de Dieu sur la montagne de Sion… si la lampe de l’homme est allumée. Si les gardiens du temple acceptent de se souiller, de se mettre, un temps, au service du peuple, afin de restaurer la royauté divine et non d’asseoir leur propre règne. L’absolu au sein du relatif. Politique prophétique.
L’absolu justement entre dans notre histoire de Hanouka comme un ingrédient spécial… Connaissez-vous la mahloket entre Beth Hillel et Beth Chamay sur le sens de l’allumage des bougies de Hanouka ? Beth Hillel dit qu’il faut les allumer de Un à Huit, Beth Chamay de Huit à Un (en gros, je vous passe les détails).
La halaha est toujours fixée comme Beth Hillel . Beth Hillel voit les hommes au quotidien, dans le particulier de leur souffrance et sa halaha est relative, elle s’attache au ici et maintenant de la condition humaine : allumons de Un à Huit et les hommes verront, hic et nunc, grandir la lumière devant eux, sur la Hannoukia, ils auront réellement l’impression d’ajouter de la lumière… tandis que Beth Chamay voit plus loin: Il voit la fin des temps, on dit que ses décisions seront celles de l’ère messianique et ces huit lumières tendent à l’unité divine, à ne faire plus qu’Une sur le Chandelier, c’est le cheminement du Beth au Aleph, du morcellement de l’exil à l’unité de la rédemption. Yafe. Que voilà de grands mots pour nous justifier l’orgie de beignets de ces huit jours…
Deux versants d’une même histoire : une victoire stratégique et un miracle édifiant
Voilà donc deux versants d’une même histoire : une victoire stratégique et un miracle édifiant. L’un des deux ne suffisait-il pas ? Soit l’intervention divine qui d’un coup de baguette magique sauve le peuple élu comme dans une bonne BD d’Astérix, soit les manœuvres humaines qui réussissent à se sortir tous seuls de l’ornière avec un peu d’ingéniosité… C’est à voir.
Le subconscient de l’histoire de Hanouka est truffé de féminin
Jusque là l’histoire de Hanouka est bien masculine, tout y est érection. On relève la tête, on relève le peuple, on érige à nouveau la ménorah, on dresse des bougies issues d’une mahloket entre érudits… Or il se trouve que le subconscient de l’histoire de Hanouka est truffé de féminin. Les toupies d’abord, ces petites folles emplies de lettres qui tournent sur elles-mêmes… et qui s’ouvrent sur des trésors de chocolat. Plaisanterie de décembre. Commençons par les histoires de Talmud Torah. Hanna et ses 7 fils, le symbole de la foi et de l’abnégation. Le Kidouch Hachem. Le sacrifice suprême au nom de Dieu… “Hanna était une femme très pieuse, elle avait sept fils. Un jour le roi Antiochus les fit tous venir à la cour pour faire un exemple. Il voulait que les juifs se prosternent devant la monumentale statue de Zeus qui jouxtait son trône. Le premier fils refusa de se prosterner. Le roi le fit abattre sur place. Le second refusa de se prosterner. Il fut abattu également. Le troisième idem. Et puis le quatrième, et le cinquième, et le sixième… tous tués sous les yeux de leur mère, Hanna. Arrivé au tour du septième, le petit dernier, le roi décida de ruser. Ramasse-moi ma bague qui vient de tomber devant cette statue, dit-il à l’enfant. Mais l’enfant était malin, il proclama Chema Israel Adochem Elokenou Adochem Ehad et refusa également d’obtempérer. Il fut aussitôt mis à mort. Hanna voyant cela, loua Dieu de lui avoir donné des fils si droits et se jeta par la fenêtre.“
Fin de l’histoire édifiante. Une voix retentit dans le ciel et dit “em a banim smeha” ! La mère des enfants est heureuse, ils ont sanctifié le nom de Dieu, ont préféré se laisser tuer plutôt que de transgresser “léarèg ve lo yaavor“. On n’est alors plus étrangement du côté d’Hillel mais bien dans l’absolu de Chamay, où l’éthique divine est sans compromis, où la mort de Hanna dans un monde sans Dieu est un devoir, où Huit flammes s’éteignent, Hanna et ses sept fils, pour que s’élève la lumière de Hannouka dans l’âme juive.
La foi profonde vient des petites gens, disait le Becht. Le Cohen Gadol combat et Hanna ne plie pas. Revenons alors à la petite fiole d’huile vierge du temple, est-il symbole plus féminin s’il en est ? De ce trésor caché, préservé, de ce réservoir de force et de foi, de ce côté féminin de la shrina, où, comme dans une page de Zeitlin, “la beauté de l’en haut” est personnifiée par la femme, la femme droite et vertueuse d’ici bas.
Voici ce que le compagnon de Buber et de Walter Benjamin écrit en 1910 :
“Et Dieu dit à la femme : tu seras à l’ombre de l’homme, le symbole de son âme, la présence divine sur la terre. A travers toi, dans ta vision, l’homme verra l’au-delà : quintessence de la beauté, grâce, rayon de générosité, muse, extase, don absolu et espérance. (…)“.
De quoi se faire retourner dans leurs tombes toutes les féministes passées et à venir !
Au-delà du cliché, je vous demande cependant d’observer les attributs féminins de cette fiole. C’est le niveau du numéro Huit, d’après le Maharal, le niveau de sainteté, la kedoucha. Soyez saint car je suis saint. Les grecs dans leur puissante sagesse ont presque atteint ce niveau, ils étaient sur l’avant-dernière marche du Bet Hamikdach mais ne pouvaient pas entrer dans le saint des saints, c’est pourquoi la fiole existe et figure dans l’histoire de Hanouka.
Ils avaient pénétré l’âme juive, ils avaient enlevé Chabat, Brit Mila, fête et étude… mais il restait la trace de la trace de Dieu enclose dans cette petite fiole. Le miracle, au-delà de la victoire, est un message à travers le temps, un appel de Dieu personnalisé qui appelle, appelle et appelle, comme une flamme qui guide le papillon égaré dans les ténèbres.
Trève de lyrisme, il me reste encore quelque chose à vous raconter. Le féminin est aussi violent et l’histoire de Hanouka est bien plus cruelle encore que vous ne pourriez l’imaginer. Mon amie la rabbine m’a raconté que la révolte a été poussée par les femmes, les sœurs des cohanims, qui, comme les autres, devaient subir alors un droit de cuissage des seigneurs grecs avant de se marier. La fille de Matatiahou avait été demandée en mariage. Le jour avant la noce, elle se présenta alors nue devant ses frères et son père et leur dit: “Vous savez où je vais ce soir, ne faites pas semblant de ne pas savoir“, et c’est ainsi que naquit la révolte des Maccabims…
Le livre de Judith
Enfin j’ai gardé le meilleur pour la fin, c’est Le Livre de Judith. Texte apocryphe du IIème siècle avant JC. Il raconte la victoire in extremis d’Israël contre l’armée assyrienne de Nabuchodonosor qui avait assiégé la ville de Béthulie grâce à l’intervention de Judit, veuve de Mannassé. Holophernen, général de l’armée d’Assour, assiège Béthulie où se trouvent les hébreux. Le siège est long, la ville manque d’eau, la population est désespérée et on parle de se rendre. C’est alors que se lève Judith, veuve de Mannassé, qui harangue le peuple et déclare qu’elle va ramener la tête d’Holopherne. Vêtue de ses plus beaux atours et de beaux cadeaux, elle sort de la ville avec sa servante et se présente chez l’ennemi. Elle déclare à Holopherne qu’elle a vu sa prochaine victoire et que son Dieu l’a envoyée prier pour le général. Elle demande une tente à l’écart du camp et la permission de sortir chaque nuit pour prier Dieu afin de prévoir la reddition finale de la ville. Séduit, Holopherne accepte. Trois soirs de suite, elle sort du camp pour prier avec sa servante. Le quatrième soir, Holopherne est ivre d’un banquet qu’il donne en l’honneur de sa future victoire et la fait venir dans sa tente. Ils restent seuls. Elle lui fait manger des fromages et boire encore du vin jusqu’à ce qu’il tombe sur sa couche ivre mort. Elle se saisit alors de l’épée d’Holopherne et lui tranche la tête qu’elle enrobe ensuite dans un drap. Comme chaque nuit, elle sort alors du camp avec sa servante et revient en ville avec la tête d’Holopherne. Le lendemain matin, l’armée d’Assour est prise d’effroi en découvrant la tête d’Holopherne suspendue sur les remparts de la ville de Béthulie. Il se retire sous les assauts des Hébreux qui triomphent de leurs ennemis.
L’authenticité de cette histoire est souvent remise en question. Il n’en reste pas moins l’essence. Une femme pure et courageuse a redonné foi au peuple dans un moment de faiblesse et de désespoir total. Une femme qui, dans toute sa douceur et sa pureté soi-disant féminine, n’a pas hésité une seconde à aller se salir les mains, là où les hommes ne réussissaient plus à fonctionner. Elle ne s’est pas arrêtée, ni sur si c’est un homme, ni s’il a des enfants, ni si on pourrait peut-être discuter et arriver à un compromis… Elle lui a tranché la tête. Plaidoyer pour le choix d’une violence parfois nécessaire ? Justification du sale travail ? Il faut bien que quelqu’un le fasse…
Le roi Saul avait eu la faiblesse (ou la trop grande humanité ?) de ne pas tuer le roi Agag des Amalécites… Depuis, Amalec ne cesse de se renforcer. Faudrait-il y voir, comme la gnose ou Philon, une bataille sans merci entre le Bien et le Mal ? Entre l’homme coupable et l’homme victime ? Triste réduction médiatique ô combien actuelle… Neher y voit, comme dans le meurtre de Caïn par Abel, l’histoire d’une tragique confrontation fraternelle où le dialogue reste impossible tant que l’un ne dit pas “Ce qui est à moi est à toi“, où finalement Cain vaut Abel en cela qu’ils sont tous deux voués, destinés à disparaître d’une histoire qui sera écrite par le troisième fils, Shet.
Ouverture vers le renoncement à la morale et à l’éthique en temps de guerre ? Quand les repères sont brouillés, l’absolu deviendrait légitime… Il y a une halaha spécifique en temps de guerre “Chahat a chmad” dans le traité Sanhédrin. Il est permis de transgresser pour sauver sa vie, sauf trois choses pour lesquelles il faut se laisser mourir : l’idolâtrie, les unions sexuelles interdites et le meurtre.
Cette mitsva de donner sa vie plutôt que de transgresser s’adresse à Israël. C’est l’histoire de Hanna et ses sept fils.
Quand au statut de la guerre, il y en a trois : guerre de Mitzva, de Rechout et défensive. C’est la révolte des Maccabims. On a l’obligation de tuer quelqu’un qui vient nous tuer, pour sauver sa vie, de même qu’on a l’obligation de se mettre en péril pour se sortir d’une mort certaine, (Traité Avoda Zara), c’est l’histoire de Judith.
Survivre en leitmotiv
Le tout donne l’histoire de Hannouka dont le leitmotiv est celui de Survivre. Sauver sa vie, sauver son âme. Le titre du nouveau colloque des intellectuels juifs de France à l’ENS… mais qu’y a-t-il encore à sauver quand la maison brûle ? Ne faut-il pas alors en finir une bonne fois, enlever la poutre fautive, détruire soi-même la maison et partir reconstruire ailleurs ?
Une fête de pré-galout, d’exil déjà, qui, finalement, ne sauve pas la maison. Tout est impur. Le temple, sauvé in extremis, sera tout de même détruit un peu plus tard.
Par contre, par delà le temps, c’est l’âme juive cachée dans la petite fiole d’huile que Matatiou souillé tient au creux de sa main tremblante…
C’est Rabbi Yehouda a Nassi qui, au moment de mourir, se demande s’il va devoir rendre des comptes parce qu’il a préféré sauver la Torah à Yavné plutôt que d’essayer de sauver une Jérusalem déjà condamnée.
C’est Jérémie qui avant de partir pour l’exil enjoint le peuple d’acheter les champs et de cacher les contrats dans des jarres de glaise car ils reviendront, et quand ils reviendront, il faudra prouver que la terre est à nous.
Une histoire existentielle. l’éternelle histoire entre le féminin et le masculin
J’y vois là une histoire existentielle. Celle du peuple juif et de son Dieu, celle du peuple et de son âme, celle du peuple et de sa terre : l’éternelle histoire entre le féminin et le masculin.
Je ne veux pas opposer ici une lecture féminine de Hanouka versus une lecture masculine traditionnelle. Ce serait trop facile. Je voudrais au contraire montrer comment la trame mythique de Hanouka se tisse en entremêlant les thèmes et comment l’éternel poème du chir a chirim, l’ascension vers une complétude vers une unité nouvelle où masculin et féminin se complètent et appartiennent aux deux visages de l’homme originel.
Le peuple, fiancée perdue, est fatigué, il ne se relèvera pas, il s’est déjà couché, il ne veut pas se salir les pieds il fait trop froid, la fin est proche, le fiancé ne viendra plus, fermons les yeux et n’entendons pas cette voix qui tape à la porte de l’Histoire.
La voix de la petite fiole
La voix de la petite fiole qui se retrouve dans les mains du Cohen Gadol : c’est le midrach de la lune et du soleil réécrit. Le soleil retrouve la lune diminuée qui pleure et la saisit, la brandit, la soulève, lui permet de monter, de grandir, de se développer dans le respect, la reconnaissance mutuelle et l’acceptation de cette part de lui-même qu’il a failli oublier.
C’est cette “lumière semée pour les justes“, or zaroua la tsadik, que l’on va protéger jusqu’à ce que le vent de l’histoire soit plus clément.
Masculin et féminin en harmonie
Mais ce que l’histoire de Hanouka nous apprend surtout, c’est que la part du féminin qui pleure n’est parfois pas où on l’attend. Ici c’est Judith qui tranche la tête d’Holopherne tandis que Matatiou rallume la Ménorah. Quand la shrina part en exil, quand les repères se trouvent inversés car la présence divine est voilée, le féminin et le masculin, dans l’adversité, doivent s’allier, accepter parfois d’échanger les rôles, reconnaître leurs torts et leurs faiblesses réciproques afin que l’Histoire suive son cours. Le relatif sert alors l’absolu. Il en est la porte d’accès. Il faut serrer les dents ensemble et se tenir la main dans le froid et la nuit. Attendant que passe le Temps tout en écrivant l’Histoire.
C’est cela la politique prophétique qu’il nous faut mener aujourd’hui, avoir assez de courage pour agir, ne pas avoir peur de se salir, et pourtant, rester intègre à l’intérieur, réussir à suivre un idéal moral qui transcende le temps, qui est une construction dans le temps de l’histoire, acceptant la solitude d’Israël dans la tourmente et prenant le risque de se tromper… pour ne pas pleurer ensuite de s’être laissé manipuler par les autres. Garder son âme et reconstruire la maison où pourront y vivre masculin et féminin en harmonie. Deux anges dont les ailes se rejoignent et entre lesquels réside la présence divine…
Alors s’allume la Hanoukia, et la lune et le soleil ont à nouveau la même taille, les sept flammes entourent le chamach et ce n’est qu’une seule lumière, celle du divin en chacun de nous. L’ultime marche du Beth Hamikdach est au centre de l’homme, “et tu la nommeras Sion“, elle est ce mouvement irrépressible de vie qui répond à l’appel de Dieu au moment même de la mort, le baiser. Et sa construction est de chaque instant dans cette réalité prophétique, vieille nouvelle, de la terre d’Israël. Ils sont revenus. Hommes et femmes sur cette terre souillée, avec dans leur mains, cette petite fiole transmise par Mathatiaou a Cohen, et leur alliance, leur reconstruction, ensemble, de la maison, sur cette terre, est la réparation même de la souillure du monde.
Judith, Hanna, Matatiahou, Hillel, Chamay… les voilà qui s’empoignent sur les remparts de la ville pour des règles de vie et qui, au fil du temps, reconstruisent, ré-harmonisent, à force de tentatives, de tâtonnement et de nouveauté, la nouvelle maison, d’où brille toujours la même lumière, celle de l’âme juive.
Hag Sameah à tous! et merci au Rav Elie Kling dont les leçons jamais ne s’effaçent…
Merci à Idith Bartov pour cette nouvelle hevrouta si enrichissante.
Merci à Hanoh Ben Pazi pour sa direction toujours si éclairée.
Et merci à mon mari de supporter tout ça!
© Gaelle Hanna Serero
Gaelle Hanna Serero est chercheuse en pensée juive classique et moderne, enseignante en Talmud, exégèse biblique et philosophie. Ses recherches portent sur le renouveau de l’école de pensée juive de Paris, l’existentialisme Juif, le prophétisme et l’exégèse biblique. Spécialiste de l’oeuvre du penseur André Neher et auteure de André Neher et l’existence juive: le prophétisme au quotidien – BIU, elle donne également un cycle de cours sur le modèle féminin dans la tradition juive.
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