Djaïli Amadou Amal a reçu le Prix Goncourt des Lycéens 2020 pour Les Impatientes.
C’était une surprise pour beaucoup de retrouver ce deuxième roman d’une autrice peul camerounaise dans la dernière liste du prix Goncourt des Lycéens 2020, un prix coorganisé par la Fnac et le ministère de l’Education nationale, sous le haut patronage de l’Académie Goncourt. Et pourtant : après deux mois de lecture, de rencontres virtuelles et de délibérations, les 2000 lycéens issus de 56 établissements dans toute la France ont récompensé ce mercredi 2 décembre Djaïli Amadou Amal pour Les Impatientes, publié en France aux éditions Emmanuelle Collas. Les lecteurs inscrits sur Babelio ne s’y étaient d’ailleurs pas trompés, décernant aux Impatientes une note moyenne de 4,36/5 pour 103 notes.
Décrit par ses lecteurs comme “émouvant”, “bouleversant” mais aussi “éprouvant”, ce roman raconte sans fard le destin de trois femmes camerounaises mariées de force, Ramla, Hindou et Safira, qui vont décider de s’affranchir de la pression de leur famille et de la société. Trois impatientes, car la patience est cette vertu dont on les assomme pour supporter les choix injustes de leurs familles. Mais ici la patience est surtout synonyme de soumission, et la vie sous contrôle.
Nous avons eu la chance d’interviewer par téléphone Djaïli Amadou Amal quelques minutes après l’annonce des résultats du Goncourt des Lycéens 2020. Elle nous livre ici son regard sur la polygamie, des détails sur son livre et sur son retentissement en Afrique.
C’est la troisième distinction que vous recevez pour Les Impatientes, après le Prix Orange du livre en Afrique en 2019 et le Prix de la Presse panafricaine au Salon du livre de Paris. Quelles sont vos impressions après l’obtention haut la main du Goncourt des Lycéens 2020, un prix très apprécié des lecteurs francophones ?
Je ressens beaucoup de joie, d’émotion. J’ai aussi l’espoir de lendemains meilleurs pour toutes les femmes. Qu’un lectorat jeune soit sensible à ce livre sur les violences faites aux femmes et la condition des femmes au Sahel, pour moi c’est l’espoir d’un monde meilleur.
Le titre de la première édition du livre était : Munyal, les larmes de la patience (paru chez Proximité en 2019 au Cameroun). Est-ce qu’il y a aussi eu des modifications dans le texte pour sa publication aux éditions Emmanuelle Collas en France ?
Effectivement, on ne peut pas dire que ce soit exactement le même livre parce qu’on l’a édité à nouveau pour le publier en France : on l’a réécrit, retravaillé avec mon éditrice française Emmanuelle Collas. Il y a eu un vrai travail sur la langue, du fait de difficultés de compréhension sur certains termes. On a beaucoup travaillé sur la langue, on a restructuré le roman aussi. Le titre a également été changé pour être plus direct et court ; Emmanuelle m’a fait comprendre que le titre d’origine était assez pessimiste alors que je décris des femmes qui essaient de s’en sortir, donc nous avons eu envie d’un titre plus dynamique, qui porte plus d’espoir.
Dans votre livre, la patience est synonyme de soumission. Et ces trois femmes vont briser ce cycle de la patience, comme le précise le titre. Pourquoi avoir choisi d’aborder la polygamie à travers le regard de trois femmes ?
Je voulais dès le départ parler de différentes violences faites aux femmes, ce qui aurait été plus difficile avec une seule héroïne. Et puis je n’aime pas écrire de manière linéaire, je préfère donner la parole à plusieurs personnes, ou en racontant plusieurs époques. J’aime jouer avec le temps, l’alternance de personnages.
En ce qui concerne la polygamie, c’était bien d’avoir les regards des deux épouses : Ramla et Safira ne sont pas là pour les mêmes raisons, ne ressentent pas la même chose. Il y a certainement une rivalité dans la polygamie, mais en réalité on ne peut pas prendre parti pour l’une ou l’autre. Ramla n’a pas choisi de rejoindre ce foyer, et de faire concurrence à Safira, la première épouse qui se bat pour maintenir sa place, et même plus pour garder l’amour de son époux.
Votre livre n’est pas un témoignage, mais votre histoire est assez proche de celle de Ramla – vous avez vous aussi été mariée à l’âge de 17 ans à un homme de plus de 50 ans. Comment est-ce qu’on s’empare du réel pour en faire une fiction ?
Chaque auteur met toujours un peu de son histoire dans ses livres. A chaque fois que j’évoquerai le mariage forcé, le viol conjugal ou d’autres formes de violence, ça se rapportera toujours un peu à moi car j’ai vécu ces choses-là, ce que je n’ai jamais caché. Je précise au début du roman que les faits dont il est tiré sont authentiques. Ce n’est pas une autobiographie, mais je me suis inspiré de ma vie, de ma sœur, de mes cousines, de la société tout entière.
Beaucoup de femmes m’écrivent du Mali, du Sénégal, de la Guinée et me disent que cette histoire ressemble à leur histoire. Beaucoup de femmes en Afrique sub-saharienne peuvent se reconnaître dans ce livre ; mais je voulais aller au-delà de ça. Certes l’histoire se passe en Afrique mais elle aurait très bien pu arriver en France. Quand on parle de violences faites aux femmes, cela concerne toutes les femmes – même si ses manifestations peuvent être variées. Hindu est battue dans le roman, Safira vit des violences psychologiques… la même chose se produit en France, finalement.
Vous abordez quelques tabous culturels et religieux dans ce livre, avec une grande franchise. Quels ont été les retours au Cameroun sur celui-ci ? Et ailleurs en Afrique ?
J’ai commencé à publier en 2010, et tous mes romans parlent de la condition des femmes. Au début il y a eu des menaces, surtout qu’il y avait plus d’agressions et d’exactions de Boko Haram dans l’extrême Nord du Cameroun à l’époque. Il y avait aussi de l’incompréhension de la part de personnes qui interprétaient à leur manière la religion. Mais en 10 ans il y a eu un chemin parcouru, un travail fait.
Ce roman là a été très bien accueilli, malgré ses sujets tabous – et notamment le viol, alors qu’il est presque interdit de parler de sexualité dans cette société. Il s’est très bien vendu dans la première version, il a obtenu deux prix, il est coédité dans 10 pays, avec l’alliance des éditeurs indépendants. Je fais beaucoup de sensibilisation auprès des ambassades et des institutions, des parents en milieu rural. Je n’ai pas eu de menaces graves ou de choses vraiment négatives, uniquement de petites agressions verbales.
Depuis que ce livre a été sélectionné dans la liste du Goncourt, j’ai été surprise de voir comment l’Afrique s’est impliquée et a pris conscience de l’importance de ces deux prix (Goncourt et Goncourt des Lycéens), avec des soutiens du Mali, du Sénégal, du Burkina Faso, d’auteurs confirmés ou d’anonymes qui mettaient des vidéos sur les réseaux sociaux. Même des personnes qui ne s’intéressaient pas à la littérature avant. Au Cameroun, le football a une place importante, et j’ai été surnommée “la Lionne Indomptable de la littérature” en référence aux Lions Indomptables, l’équipe nationale de foot.
Qu’est-ce qui manque pour que la situation des femmes change au Cameroun ? Vous pensez que la littérature a ce pouvoir de faire changer les choses ?
Pour moi, la littérature peut changer les choses, car elle permet de mettre sur le devant de la scène des sujets graves. Ce livre parle des violences faites aux femmes, il obtient le Goncourt des Lycéens en France, donc ce sujet va être encore questionné.
En parallèle de mon travail d’écrivain, je dirige une association qui scolarise les petites filles. Nous avons entre 300 et 400 filles dont la scolarisation est totalement prise en charge depuis quelques années. Nous créons des bibliothèques, nous faisons de la sensibilisation au lycée, nous sensibilisons sur le mariage forcé, les violences, le harcèlement… Ce prix nous permet de faire un vrai plaidoyer, et pourquoi pas au niveau institutionnel, pour que la situation puisse évoluer.
Est-ce que vous préparez un nouveau livre ?
Oui, j’ai des projets en cours. Je fais beaucoup d’enquêtes sur le terrain pour mes livres. J’ai une écriture simple mais le travail derrière est conséquent. Je rencontre beaucoup de femmes, discute avec des gens, recueille des témoignages. Et là je prépare effectivement un nouveau livre.
Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?
Il y a Une si longue lettre de Mariama Bâ, qui parle de la condition des femmes et de la polygamie, un livre qui m’avait beaucoup marquée. Mais aussi Seydou Badian avec Sous l’orage, qui m’a fait prendre conscience du mariage précoce et forcé.
Mais le livre qui m’a aussi donné envie d’écrire parce que je l’ai lu quand j’étais au plus mal et qui m’a permis de remonter la pente, que je relis encore, c’est La Dame de Montsalvy de Juliette Benzoni.
Je lis beaucoup de classiques français, africains, et des livres plus récents bien sûr.
Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?
Le livre que je rêverais d’écrire, c’est celui que je n’ai pas encore écrit. Ca me motive pour écrire des livres encore meilleurs !
Les Impatientes. Djaïli Amadou Amal. Editions Emmanuelle Colas
Source: Babelio. 2 décembre 2020
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