Un documentaire aux relents complotistes, de 2h40, réalisé par Pierre Barberias , est disponible en ligne depuis le 11 novembre dernier. Il entend dévoiler « la face cachée de l’épidémie de Covid« .. en l’occurence, l’idée que le Covid 19 aurait été créé par les élites mondiales, selon un plan concerté, pour exterminer et ou asservir une bonne partie de la population mondiale, jugée obsolète.
Le virus serait sorti de l’institut Pasteur, transformé ainsi en arme bactériologique…
Ce qui interpelle, c’est son immense succès. Visionné sur internet et propagé des millions de fois…
Il a été lancé comme un blockbuster, appelé à un gros succès populaire, avec ici un financement participatif sur plusieurs plateformes…
Procédons à une mise en perspective. Ce documentaire s’inscrit dans le droit fil du premier blockbuster d’internet, le film » Loose change« , lancé en 2005 ( en même temps que Youtube)… un film complotiste sur la destruction des tours jumelles du 11septembre 2001, devenu lui aussi une référence mondiale…
A partir de là a émergé une nouvelle ère du complotisme devenu un phénomène culturel de masse: désormais, sans budget, sans intermédiaires, l’on pouvait toucher une audience internationale. Quelle aubaine pour les marchands de peur!
Depuis, la complosphère a réalisé un véritable travail de sape, et n’a cessé de progresser. A tel point qu’ actuellement , 65 pour 100 des Français confessent croire à au moins une théorie conspirationniste, parmi les innombrables qui circulent sur internet.
Et nous voici donc téléportés vers ce nouveau blockbuster, » Hold-up« , ( sous entendu, privation de nos droits, libertés, choix..)… mais bien plus encore, le film allant bien plus loin…
Comment se présente ce film? Dans une longue première partie, très habilement, il fait l’inventaire assez juste des controverses ( légitimes) ayant présidé à la mauvaise gestion ( bien réelle) du Covid par le gouvernement Français.
Avec des éléments de vérité , qui font sens ( par ex, les masques d’abord dits » inutiles », puis » obligatoires »… etc…) Mais avec, aussi, de nombreux raccourcis, approximations , qui jalonnent cette partie…
Et puis, subrepticement, dans une sulfureuse deuxième partie, il va glisser , déborder sur tout autre chose, à savoir la dénonciation d’une vaste conspiration mondiale, menée notamment par Jacques Attali, Bill Gates et d’autres…
Ainsi, la méthode inductive nous fait peu ou prou adhérer à la première partie, rendant plus difficile notre rétractation vis à vis de la conclusion délirante de la deuxième partie…
Fort habilement aussi, le film va mettre en scène certaines personnalités crédibles, qui font autorité. Par exemple, l’ancien ministre de la santé Douste Blazy, interviewé. ( Ayant pris conscience ensuite d’avoir été manipulé, il s’est désolidarisé du documentaire)…
A côté , figurent aussi des personnes connues de la complosphère francophone, mais présentées comme des » lanceurs d’alerte« . Par exemple, Silvano Trotta, Violaine Guérin, la sociologue Monique Pinçon Charlot… sous le feu des critiques, cette dernière persiste piteusement sur sa ligne » d’une volonté d’extermination des pauvres ( les dominés) par les riches ( les dominants)… Reconnaissons-lui, toutefois, le mérite de reconnaître que ses mots d' » holocauste » , de « génocide » étaient » un peu forts »( sic!).
Que penser de ce documentaire? Il ne peut être assimilé à une enquête sérieuse, rigoureuse, scientifique. Il est typique d’une construction paranoïaque classique. Il utilise la technique du millefeuille argumentatif, avec des arguments partant dans tous les sens… Ce qui nécessite un travail de démontage de plusieurs jours!!!
Plusieurs remarques s’imposent.
En premier lieu, il n’y a pas de débats contradictoires dans ce film. Ainsi, une trentaine de fausses informations recensées ne sont pas démenties. Des fausses informations mêlées à des faits véridiques. un mélange de vrai et de faux est en effet bien plus toxique que du faux pur…
Deuxième observation. Ce film joue davantage sur les émotions négatives du spectateur ( sa peur) qu’il ne sollicite sa réflexion sur des faits concrets. Ainsi, Il y a une petite musique entêtante, très angoissante . Il est parsemé d’effets d’images susceptibles d’accroître l’inquiétude. C’est bien connu, les images sont plus prés du coeur que de l’intelligence… On est dans un pathos absolu… On est dans un effet « waouh »!!!!
Troisième remarque. Les procédés rhétoriques manipulatoires y sont légion. Par exemple, la concaténation ( une façon particulière d’enchaîner les idées , de relier des faits entre eux sans que n’existent des liens clairs et logiques entre ceux-ci). Par exemple, la technique de « l’empoisonnement du puits » : on discrédite à priori toute personne susceptible d’apporter une contradiction sur les propos contenus dans le film… par dessus-tout, il y a une scandaleuse inversion de la charge de la preuve . Ce serait au spectateur non convaincu par la pertinence des thèses véhiculées par le film d’apporter la preuve contraire de l’inexistence d’un complot!!!!
En conclusion, ce film est bien un film aux relents conspirationnistes, conformément à la définition qu’en fit pour la première fois Karl Poper, en 1945. Un événement ( le Covid, ici) causé par une action concertée et secrète d’un groupe de puissants ( et non causé par une forme de déterminisme historique… ou par le hasard).
Avec une explication monocausale, donc simpliste ( et non une pluricausalité, induite par une démarche historique, scientifique ).
Le diagnostic étant établi, se pose la question du traitement.
Que faire face à un tel film qui dit à ceux qui le prennent pour vrai ce qu’ils veulent entendre? Ce qu’il ne faut pas faire, c’est l’interdire! En effet, si l’on cache ce film qui prétend « que l’on nous cache tout », nous ne ferions qu’accréditer ce qu’il dit. Nous le ferions prospérer…
Soyons clairs… Il n’y a hélas rien à faire vis à vis de ceux qui y croient déjà. Leur schéma de pensée trop rigide ne leur permettra pas de s’ouvrir à une autre manière de penser.
Avec un tel schéma de ces » perdus », ne subsiste plus que le » chéma », ( la prière juive des morts)…
Mais vis à vis des autres, qui doutent, il faut ouvrir un espace de discussion, sans les prendre pour des sots. Il faut pratiquer avec eux le » débunking » (c’est à dire la démystification).
Ce film est aisément réfutable…
Réfutons donc des points sensibles bien ciblés…
Mettons en exergue la part importante d’imaginaire, de fantasmagorie contenue dans le film.
Surtout, renvoyons le réalisateur à la charge de la preuve qui lui incombe exclusivement!!!
Recommandons la lecture d’un magnifique film d’Orson Wells, » F for fake« , qui exhibe les modalités de fabrication d’une fiction semblant réaliste… Invitons-les à relire Descartes, le philosophe des Lumières, le maître de la clarté. Dans son » Discours de la méthode », il évoque le bon sens, la raison, la faculté de distinguer le vrai du faux.
Et puis, usons de cette arme suprême qu’est la dérision . Citons certaines personnes hurluberlues qui saluent ce film. Par exemple, le rappeur Booba, ou une starlette de la téléréalité, Kim Glow, qui se répandent en propos ridicules, se situant dans un Ailleurs ( un ailleurs non identifié , un avni).. » Regardez qui y croit? Voulez-vous vraiment rejoindre la cohorte de ces illuminés »???
Concluons avec eux que le vrai Hold-up ne se situe pas dans un soi-disant complot mondial que le film prétend dénoncer: le film lui-même est un hold-up . Il entend pénétrer dans nos cerveaux par effraction, prendre le contrôle de nos facultés de penser, de nos émotions, de nos peurs…
Leur dire que la vraie liberté de penser, à laquelle ils se disent tellement attachés, est justement de ne pas succomber à ce hold-up!!!
Et enfin, si après avoir usé de tels trésors d’énergie, des gugus à la nuque raide , n’ayant pas la lumière à tous les étages, persistaient à y croire, tentons un ultime recours: En désespoir de cause, dites-leur » qu’il faut toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot« .
En effet, la connerie est courante ( ils l’illustrent à merveille)… alors que le complot, lui, exige un esprit rare!!!
© Erick Lebahr
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