Charles Yisroel Goldszlagier. Dans « L’Aube » du 25 novembre 1938

De toute la presse, c’est assurément L’AUBE, quotidien d’inspiration démocrate-chrétienne, qui non seulement prend vigoureusement position contre les pogroms d’Allemagne, mais fait aussi campagne contre l’antisémitisme en France.

« Les Français naissent libres et égaux en droits ». Tout le temps que la France n’aura pas répudié cette phrase inscrite en tête de la Déclaration des droits de l’homme, on voudrait bien savoir comment l’Etat pourrait établir la discrimination entre un Juif et un « aryen ». Question de religion ? Mais l’Etat français ignore théoriquement les différences de confessions entre les hommes. La croyance et le culte étant affaire privée, sur quoi ceux qui osent penser au numerus clausus se baseront-ils ?

L’Etat ignore si un de ses citoyens fréquente la synagogue, tout comme il est inapte à connaître, par ailleurs, des vœux par lesquels tel autre citoyen s’engage envers Dieu…

Quant à la « race », va-t-on examiner la forme du nez, la ligne des sourcils, le nombre des globules du sang ? Il faut bien croire que les signes distinctifs de « la race » sémite ne se révèlent pas si aisément, même à l’investigation de l’observateur averti, puisque, pour décider qu’un homme est aryen ou non, on a fait rechercher en Allemagne si ses quatre grands-parents étaient baptisés. Voit-on l’Etat français laïque nous demander l’acte de baptême de nos grand’ mères ?

P.-L. Falaize rappelait voici quelques jours que Stanislas de Clermont-Tonnerre, président de l’assemblée législative, s’était signalé par deux rapports, l’un pour l’émancipation des Juifs, l’autre pour l’émancipation des hommes de couleur. De même qu’ils ont été à l’avant-garde de ce progrès humain, les démocrates de France se proposent, pour défendre cette cause, de rester au besoin le dernier carré.

Nous n’oublions certes pas que la Déclaration des droits de l’homme n’est que l’adaptation pâlie de principes chrétiens coupés de leurs attaches métaphysiques. Au delà de son texte, nous nous rattachons à une réalité plus grande. Pour répondre à M. Charles Maurras, M. de Kérillis rappelle des faits qui tendent à prouver que les rois de France n’ont pas pratiqué une politique antisémite. Ces arguments dans un sens ou dans l’autre nous paraissent peu probants. Il est certain qu’au cours de tant de siècles, on pourrait invoquer de nombreux épisodes qui confirmeraient ou contrediraient les deux thèses en présence. On nous citera de certain côté le bonnet d’infamie, le ghetto, tel massacre de Juifs.

Les raisons de cette attitude n’étaient pas toutes fort élégantes. On sait que l’Eglise interdisant le prêt à intérêt, le commerce de l’argent devenait par la force des choses l’affaire des Juifs qui y réussissaient comme ils réussissent généralement dans tout ce qu ils font. Beaucoup pratiquaient l’usure, devançant en cela les chrétiens plus tard, exercèrent le même métier.

Il était parfois plus facile de se débarrasser de son créancier que de le rembourser même à un taux raisonnable…

Tout n’a pas été louable dans notre histoire, loin de là. C’est une singulière façon de comprendre le patriotisme que de prétendre perpétuer des erreurs sous prétexte de se rattacher à la tradition. Même aux périodes les plus nobles du Moyen âge, nous dit-on, il est arrivé que des chrétiens maltraitent des Juifs. Nous ne pouvons que regretter de trouver ici leur christianisme en défaut. Est-il donc interdit d’espérer que, vivant mieux leur foi, la mettant plus intimement d’accord avec leur conduite, les chrétiens, eux aussi, réaliseront un progrès moral dans ce sens ?

Il faut se souvenir que, au temps où la foule traitait les Juifs en ennemis, le Pape prenait leur défense. Si, en particulier, le pays d’Avignon compte tant de synagogues, si de nombreux Juifs français portent dans leur état civil le nom des petites villes du Comtat, la protection pontificale est à l’origine de ces faits. Continuant la tradition, immuable, celle-là, puisqu’elle répond aux exigences mêmes de la foi chrétienne, le Pape de Rome actuellement régnant s’est élevé à plusieurs reprises avec la plus grande force contre l’antisémitisme. Un chrétien digne de ce nom ne saurait plus élever un cri discordant en opposition à cette grande voix.

Comment donc d’ailleurs des hommes qui croient aux forces spirituelles peuvent-ils oublier tout ce qu’ils doivent à Israël ? Comment des hommes qui se réclament du Christ osent-ils outrager un peuple dont le Christ est né, héritier d’une loi que le Christ n’est pas venu détruire, mais accomplir? Comment ne seraient-ils pas confondus de respect devant cet éternel errant qui, dans la misère-même, son exil et sa dispersion, demeure le témoin des divines promesses ? Ne sentent-ils pas que si le monde hait Israël, c’est bien plus encore que pour des raisons claires, parce que ce persécuté demeure, malgré lui souvent, porteur d’un message surnaturel ? Et si leur mauvaise conscience veut prendre pour excuse le déicide dont il s’est rendu coupable, qu’ils ne prétendent pas mieux savoir que le Christ qui, sur la croix, a pardonné à tous ses bourreaux…

De quelque côté qu’on envisage le problème, tous ceux qui, malgré la diversité de leurs conceptions religieuses ou philosophiques, professent le respect de la personne humaine,  doivent se garder de l’antisémitisme comme d’un mal rongeur.

Mais je n’ignore pas qu’il faut le plus souvent lutter contre des individus ou des groupes qui ne se réclament d’aucune foi, et sur quels principes s’appuyer pour persuader ceux qui n’ont pas de principes ? Heureusement le cœur reste, malgré tout, l’apanage d’un plus grand nombre que le bon sens. On trouve en tout être humain Ce sentiment élémentaire qu’est la pitié.

Essayez d’éveiller l’imagination des plus endurcis. Montrez-leur ce que peut être la vie d’une femme qui, depuis des jours, n’a pas reçu de nouvelles de son mari et qui ne sait même pas où il se trouve ; d’une maman qui ne peut rien acheter pour nourrir son petit : d’un être quel qu’il soit, qui voit bafouer ses vieux parents, poursuivre ses enfants de railleries et d’insultes : ils sont Juifs.

Et ce ne sont même pas là des riches d’hier contre lesquels un vil sentiment de rancune envieuse peut pousser à dire : Chacun son tour, c’est bien fait... Il s’agit le plus souvent de pauvres gens qui n’ont aucune accointance avec les milieux financiers… Une Juive roumaine, je crois l’avoir déjà raconté, évoquait devant moi le jour où, en un village de son pays, elle et sa mère, blotties dans les bras l’une de l’autre, attendaient au fond d’une cave la fin du pogrom…

SI, au récit de telles scènes, nous sommes capables de rester indifférents, si nous ne prenons pas la résolution de tout faire pour éviter la propagation d’un pareil mal et au contraire nourrissons eh nous des sentiments complices, je dis que nous sommes inférieurs aux bêtes fauves qui ont du moins la chance d’être irresponsables.

© Charles Yisroel Goldszlagier

Charles Yisroel Goldszlagier est le fondateur du groupe Yiddish Pour Tous

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