Dans la course effrénée pour trouver un vaccin contre le nouveau coronavirus, les essais cliniques sont fondamentaux. Pour valider l’efficacité du produit et écarter d’éventuels effets secondaires graves, il faut des dizaines de milliers de personnes prêtes à jouer les cobayes. La correspondante de l’AFP à Miami, Leila Macor, en fait partie. Leila a participé aux essais de phase 3 de Moderna, la société de biotechnologie américaine qui a annoncé lundi 16 novembre que son vaccin expérimental contre le Covid-19 était efficace à presque 95%.
Miami – Parmi les milliers de personnes emportées par la maladie de Covid-19 au Chili, en juillet, il y avait un sculpteur italo-vénézuélien, de 92 ans. Il est parti en quelques jours, dans sa maison de retraite de Santiago. C’était mon père, Aldo Macor. Il est décédé trois semaines avant le début des essais cliniques lancés par Pfizer et Moderna. Il est parti seul, comme meurent les gens qui succombent à ce virus. Si seul que dans son délire, il était convaincu qu’il avait été enlevé.
Pendant que mes frères, ma mère et moi essayions de faire face à la perte, je devais affronter une autre réalité: Miami, et l’Etat de Floride en général, étaient devenus de nouveaux épicentres du virus qui avait tué mon père. Et mon travail, c’était aussi de couvrir cette histoire et les autres morts.
De par mon métier, qui m’exposait davantage, mon profil intéressait les chercheurs. Et l’idée de participer à mon niveau à la lutte contre cette plaie qui tuait les nôtres et bouleversait nos vies était suffisamment cathartique pour que j’essaie. J’en parlai à des amis et des proches. Tous m’aidèrent à conclure que le risque d’un potentiel effet indésirable d’un vaccin pour une asthmatique comme moi serait moindre que le risque d’attraper la maladie de Covid-19.
Deux jours après avoir écrit un reportage pour l’AFP sur le début des essais cliniques de phase 3 en Floride, je frappai de nouveau à la porte du centre, mais cette fois comme objet d’étude.
Les Research Centers of America à Hollywood (au nord de Miami), participaient aux essais de Pfizer et de Moderna. Un jour l’un, un jour l’autre. J’y suis allée un mardi: ce fut Moderna. En parallèle, des dizaines d’autres centres dans le pays recrutaient eux aussi des volontaires. N’importe qui pouvait se porter candidat, à condition d’être davantage exposé au risque de contamination que la moyenne de la population: le personnel sanitaire, les chauffeurs de taxi et les journalistes étaient notamment sur la liste.
On m’a mis un autocollant avec mon nom dessus et on m’a emmenée dans un cabinet de consultation, où on m’a expliqué ce que je lirais plus tard dans un document de 22 pages: deux doses allaient m’être administrées et je recevrais 2.400 dollars sur les deux ans qu’allait durer l’essai.
On m’a dit à quels effets secondaires je devais m’attendre: douleur autour du point d’injection, fièvre, frissons. Nous étions 30.000 volontaires, divisés en deux groupes: une moitié recevrait le vaccin, l’autre un placebo.
« Même nous, nous ne savons pas lequel est lequel », m’a dit l’infirmière quand j’ai essayé de savoir si j’allais recevoir un placebo. Seul le laboratoire Moderna le saura au moment de l’analyse des données. « Et si je me fais tester pour les anticorps? », ai-je demandé. Cela ne donnera pas nécessairement de résultat correct, a-t-elle répondu. « L’incertitude va me tuer! », me suis-je exclamée.
L’infirmière a alors levé les yeux, me disant très sérieusement: « Les placebos sont aussi importants que les vaccins. Impossible de faire l’essai sans le groupe témoin. Vous êtes en train d’aider l’humanité, quel que soit » votre groupe. Je me suis sentie coupable d’en faire une obsession, et j’ai arrêté de poser la question.
J’ai aussi eu droit à des prises de sang: de quoi remplir six ou huit éprouvettes, j’ai perdu le compte. Et j’ai du passer un test de grossesse. Mes interlocuteurs ont été très fermes sur la prise nécessaire de contraceptifs: « On ne connaît pas encore l’effet du vaccin sur le foetus », m’a-t-on répété.
Puis deux personnes sont venues avec le vaccin dans une glacière. Ou le placebo, donc. Elles ont ri quand je leur ai demandé de me laisser prendre une photo de l’injection. Ce qui pour moi était un moment historique n’était pour elles qu’un mardi ordinaire.
Ce ne fut pas douloureux. On m’a ensuite emmenée dans une salle d’attente et gardée sous observation pendant une demi-heure. Trois ou quatre bénévoles regardaient leur téléphone. Une infirmière cubaine portait une cape, la cape rouge de Superman.
« Pourquoi la cape? », lui ai-je demandé. « Parce qu’ici nous sommes tous des héros, ma chérie », m’a-t-elle dit. On m’a offert plusieurs autocollants, un t-shirt et un masque, tous portant le message « Covid Warriors » (Guerriers du Covid) et un dessin montrant un super-héros combattant le virus. J’ai ensuite du télécharger une application conçue pour l’étude, où je dois à l’occasion renseigner ma température et mes symptômes.
Une fois à la maison, le point d’injection me faisait un peu mal. M’avait-on bel et bien administré le vaccin? J’ai passé les trois jours qui ont suivi à surfer sur internet pour tenter de savoir si une injection de sérum physiologique (dont est fait le placebo) pouvait provoquer de la douleur. Sans trouver de réponse claire.
La seconde dose me fut administrée un mois plus tard, mi-septembre. La douleur était plus vive et pendant deux jours le point d’injection resta chaud et enflammé.
J’ai depuis couvert deux meetings de Donald Trump. J’ai voulu par exemple interviewer, dans un endroit fermé, des partisans du président sortant niant la gravité du coronavirus. Ils ne portaient pas de masque et ne respectaient pas la distance de sécurité.
J’ai également assisté à un meeting du milliardaire à Tampa. J’ai dû retirer mon masque pour pouvoir « connecter » avec les gens et qu’ils me parlent sincèrement. Je dois avouer que cela m’a rendue un peu nerveuse, sachant leur position sur la maladie et la probabilité, qu’ils soient, de ce fait, contaminés. Cela m’a attristée aussi: beaucoup de partisans de Trump participant à ce meeting étaient âgés. Un homme asthmatique de 70 ans m’a dit: « Cela vaut le coup de prendre le risque d’être contaminé si c’est pour voir mon président ».
Participer à l’essai clinique a été pour moi une manière de faire mon travail de deuil. Pour mon père et pour le monde fou que le virus nous laissait. Aussi petite qu’elle soit, c’était la seule arme que je pouvais brandir.
© Leila Macor
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