Le Moyen-Orient est aujourd’hui un espace de violences religieuses au sein duquel les groupes dominants imposent, par la loi comme par la puissance du contrôle social, des situations de monopole des pratiques et des dogmes religieux. Ce constat est surprenant pour qui connaît l’histoire de la Méditerranée, histoire de conflits, certes, mais in fine de constante coexistence entre des groupes d’appartenance religieuse différente. L’article présente divers moments de cette coexistence et montre, en s’appuyant sur les recherches en histoire des religions comme en philologie, l’importance des emprunts successifs et des proximités entre les trois grands monothéismes au cœur des affrontements religieux du présent.
Plan
- 1 Alain Roussillon, Fatima-Zahra Zryouil, Être femme en Égypte, au Maroc et en Jordanie, Montreuil, A (…)
1. Nous sommes aujourd’hui amenés à nous demander comment vivre dans la convivance tout en étant interpellés par le défi permanent aux droits de l’homme et de la femme, qui est la réalité dans plusieurs pays proche-orientaux et nord-africains, d’un statut civique inférieur des non musulmans vis-à-vis de leurs compatriotes musulmans et des femmes musulmanes par rapport à leurs homologues masculins. Beaucoup d’analyses récentes font de la condition faite aux femmes un marqueur crucial des usages sociaux faits du religieux. On peut reprendre les mots des chercheurs Alain Roussillon et Fatima-Zahra Zryouil : « Depuis la deuxième moitié du 19e siècle, la question féminine apparaît comme un enjeu central des recompositions historiques et du devenir des sociétés que l’on peut s’accorder à désigner comme “musulmanes” ou “arabo-musulmanes”1 ». Ce déni d’égalité trouve sa légitimité pour ceux qui le revendiquent avec la violence que l’on sait aujourd’hui dans le Coran dont les théologiens médiévaux ont tiré une législation discriminatoire, la charia.
- 2 Mohamed Ali Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, (…)
- 3 Hélène Sallon, L’État islamique de Mossoul. Histoire d’une entreprise totalitaire, Paris, La Découv (…)
2.Pourtant la coexistence religieuse, fruit d’une longue histoire, est la réalité du monde : le judaïsme compte environ 14 millions de fidèles, le christianisme 2 milliards, l’islam 1,5 milliard. Plus que d’autres espaces, le Proche-Orient est caractérisé par une histoire faite des entremêlements de longue date de ces trois monothéismes. Pour autant, leurs fidèles n’y vivent pas en monde clos. Les juifs ont créé récemment un État au Proche-Orient, en 1948, mais c’est aux États-Unis que les fidèles du judaïsme sont les plus puissants politiquement. Les chrétiens d’Orient se réfèrent pour une partie d’entre eux à l’autorité du Vatican, petit territoire de la Botte italienne, d’autres à des patriarcats qui se trouvent en Europe ; les musulmans considèrent toujours La Mecque comme centre spirituel, mais si leurs empires, omeyyade (650-750), abbasside (750-1256) et ottoman (1453-1919)se trouvaient au Proche-Orient, les Arabes ne constituent plus que 20 % des musulmans, et les populations du Pakistan et de l’Indonésie ont à elles seules un nombre équivalent de fidèles ; en fait, c’est en Afghanistan, donc hors monde méditerranéen, que les groupes de « takfiristes2 », ce courant qui appelle à la violence contre les impies et les musulmans d’autres obédiences considérés comme apostats, se sont formés à partir de 1980. Ce sont eux qui ont fait imploser l’Irak et la Syrie et multiplient les attentats en Occident3. La recomposition actuelle des États de cette région se dessine dans les épreuves subies par les citoyens minoritaires au cours des bouleversements actuels.
3. Rappelons brièvement l’histoire des empires du Proche-Orient, arabe et ottoman, dans lesquels la minorité chrétienne a joué un rôle important lors de la création des nouveaux États arabes issus de l’Empire ottoman et où, peu à peu, l’absence de démocratie, le non-respect des minorités, l’instrumentalisation politique de la religion dominante, sont devenues les seules règles de gouvernance. Pour autant, tout au long des quinze siècles de coexistence, les relations intercommunautaires et interreligieuses ont perduré, entretenues par des intellectuels et des esprits libéraux, dont le rôle doit être souligné. Aussi, il est devenu nécessaire de revenir sur l’histoire pour comprendre la dimension conjoncturelle de l’exacerbation des haines du 21e siècle.
A lire sur le lien :
http://journals.openedition.org/chrhc/14178
https://doi.org/10.4000/chrhc.14178
Référence papier
Christian Lochon, « Les chrétiens dans l’Orient : l’apport de l’histoire des religions à la coexistence religieuse en Méditerranée », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 145 | 2020, 81-99.
Référence électronique
Christian Lochon, « Les chrétiens dans l’Orient : l’apport de l’histoire des religions à la coexistence religieuse en Méditerranée », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 145 | 2020, mis en ligne le 01 août 2020, consulté le 24 novembre 2020.
Ancien attaché culturel, Christian Lochon est membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer
Entrées d’index
Mots-clés:
religion, violence, islam, christianisme, pratiques religieuses, foi, coexistence
Keywords:
religion, violence, Méditerranean, Middle East, islam, christianism, religious practices, faith, coexistence
Géographie:
Source: Cahiers d’Histoire
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