En plein reconfinement, au mois de novembre et face à ces temps jugés pénibles et trop incertains, le psychiatre Christophe André délivre quelques conseils…
Christophe André est l’un des principaux spécialistes français de la pleine conscience et de la méditation. Auteur de best-sellers sur le bonheur, il propose aussi depuis cette année plusieurs programmes de méditation sur l’application Petit Bambou. Son dernier livre, Abécédaire de la sagesse (L’Iconoclaste, Allary Editions, 338 p., 19,90 euros), qu’il a coécrit avec le moine Matthieu Ricard et le philosophe Alexandre Jollien, offre des « repères pour cheminer en ces temps incertains et nous aider à vivre mieux ».
En cette période où les projets personnels et professionnels sont incertains, comment faire pour aborder sereinement l’avenir et ne pas se laisser guider par la peur ?
Il y a en effet beaucoup d’incertitudes en ce moment, mais c’est toujours le cas dans une vie humaine. Peut-être qu’en temps « normal » il y en a autant mais que nous ne les voyons pas : nous pensons que tous nos projets aboutiront, que la logique sera respectée, le mérite récompensé, etc.
Beaucoup de nos certitudes sont illusoires. Cette période nous oblige à faire le ménage dans nos illusions, ce qui peut être une bonne chose. Face à l’incertitude, réfléchir à ce qui dépend de nous : nous maintenir en forme, mentale et physique, renforcer les liens avec nos proches, cultiver ce qui nous fait du bien de manière plus régulière qu’en temps « normal », apprendre de nouveaux savoirs, de nouvelles compétences…
Cela peut sembler de toutes petites choses par rapport à la taille de la crise à affronter, mais ces petites choses nous soutiennent moralement et nous rapprochent d’un but, même si nous ne savons pas clairement lequel – l’incertitude, encore…
Pourquoi faudrait-il s’accrocher à l’instant présent si celui-ci n’est pas radieux ?
Se tourner vers l’instant présent, comme le recommande la méditation de pleine conscience, ce n’est pas fuir le réel mais aller à sa rencontre. Cela nous permet de voir les belles choses, les raisons de se réjouir et d’espérer – il y en a toujours, où que l’on soit, même si parfois il faut chercher et ouvrir grand les yeux.
Cela nous permet, face aux aspects plus douloureux, de les observer tels qu’ils sont et non tels que nous avons tendance à les voir, en les dramatisant, les amplifiant, les déformant… Si je suis malade, l’instant présent c’est à la fois les souffrances du corps – et seulement elles, pas mes anticipations sur ce qu’elles vont peut-être devenir (ça, ce n’est plus le présent mais le futur, plus le réel mais le virtuel) –, et c’est aussi le ciel bleu par la fenêtre, mes proches qui m’aiment, les soignants qui font de leur mieux…
Quelles routines simples pourraient structurer une journée durant cette période de confinement, qui puissent également être proposées à des adolescents ?
Les routines et les rituels sont un bon moyen de ne pas devenir dingue pendant le confinement. Sinon, on traîne, on traîne ; on se fait aspirer par des activités, ou des inactivités, qui ne sont pas forcément les plus épanouissantes, utiles ou enrichissantes ; et à la fin de la journée, on se sent nul, vide, triste, tantôt énervé, tantôt fatigué, tantôt les deux.
Ces routines doivent avoir du sens. Vous pouvez par exemple établir avec vos ados la liste des choses à faire dans une journée idéale : un peu de gym ou de méditation, un peu de boulot, un peu de loisirs, un peu d’activités familiales partagées (jeux de société, courses, cuisine, ménage), un peu d’altruisme (appeler papi, mamie, la tante un peu casse-pieds, l’oncle un peu réac, etc.). Puis établir des horaires et s’y tenir, quoi qu’il arrive. En prenant soin de respecter le « principe de Premack » : faire précéder les activités faciles et agréables par une activité plus difficile et moins agréable (en apparence au moins), par exemple les temps d’écran après le ménage de la chambre et d’une pièce commune…
Bon, je sais bien que je parle d’un monde idéal ; mais les idéaux peuvent nous aider à nous rapprocher d’un truc un peu plus vivable.
Quelles seront les conséquences pour les enfants et leurs apprentissages ? Comment s’adapter à cette restriction d’interaction physique ? Comment leur insuffler de la joie ?
C’est compliqué pour nos enfants. Mais ils sont incroyables, même si ça les gêne beaucoup, ils s’adaptent de manière étonnante, gardent (pour la plupart d’entre eux) leur joie de vivre. Et ils nous montrent ce que sont l’intelligence de vie et la résilience. Pour autant, ce n’est pas une raison pour accepter que cela dure. Les apprentissages risquent tout de même d’être perturbés, surtout pour les enfants qui n’ont pas un environnement familial capable de leur redonner un peu de ce que l’école ne peut plus leur apporter en ce moment.
S’il y a de prochaines pandémies (c’est possible, hélas), je fais partie de ceux qui pensent que la priorité sera de protéger l’avenir de nos enfants, et non de complètement le détruire pour offrir quelques années de plus aux anciens, dont je suis. En attendant, je sais que les enseignants font de leur mieux, et je pense aussi que pour les enfants, sortir de chez eux, être à l’école, apprendre et rire avec leurs camarades de classe, est le meilleur moyen pour ne pas être marqués durablement par cette sale période.
Doit-on absolument s’abstenir de pensées transitoires négatives, de moments d’anxiété, en particulier si on a soi-même un tempérament pessimiste ?
Les pensées ne nous demandent pas notre avis et arrivent à notre conscience d’elles-mêmes. Notre choix consiste non pas à les avoir ou pas, mais à les suivre ou à les examiner pour décider qu’en faire.
Les « pensées transitoires négatives », c’est une appellation très belle et très juste. Nous les faisons durer en les ressassant et en les ruminant. Mais mieux vaudrait plutôt les écouter, voir ce qu’elles disent de juste et de fondé, agir en conséquence, s’il y a lieu, puis revenir à notre vie, de notre mieux. Il y a un proverbe chinois qui dit cela mieux que je ne viens de le faire : « Tu ne peux pas empêcher les oiseaux de voler au-dessus de ta tête, mais tu peux les empêcher de faire un nid dans tes cheveux. » Remplaçons « oiseaux » par « pensées » et mettons-nous au boulot. Et puis, c’est agréable parfois de regarder voler certains oiseaux, comme il est agréable de voir passer dans notre cerveau certaines « pensées transitoires positives ». Mais elles font moins de bruit que les négatives.
Comment arriver à prendre du temps pour soi quand on croule sous le travail, alors même qu’on en ressent le besoin ?
Il y a quelques trucs que j’ai fini par comprendre de la vie, à force d’aider mes patients anxieux et perfectionnistes, et à force de m’observer moi-même. Voici le principal : ça ne vous arrivera jamais, je dis bien jamais, de pouvoir vous dire un jour : « Là, c’est cool, j’ai fini tout ce qu’il y avait à faire, je vais pouvoir me détendre un peu. »
On a toujours des choses à faire, des choses plus urgentes que s’occuper de nous : travailler, ranger, s’occuper des autres… C’est le problème de ce qui est urgent et de ce qui est important. Urgent : le boulot, le ménage, les courses, les formalités administratives, les trucs à réparer, les coups de fil à passer… Important : me détendre, marcher dans la nature, faire du sport, rire avec mes amis, faire ce que j’aime… Si je néglige ce qui est urgent, j’ai des petits ennuis, mais si je néglige ce qui est important, ma vie n’a plus de sens. Alors, je choisis quoi ?
Attention aux fausses urgences, attention à notre perfectionnisme et notre désir de contrôle, et attention à ne pas nous négliger et nous oublier. Parce que, si nous tombons malades, qui va les faire, les trucs urgents ? Prenez soin de vous !
Votre dernière lecture pour se ressourcer à nous partager ?
En ces temps tristounets (mais passionnants), je vous recommanderais tous les livres de Christian Bobin, l’auteur qui me réconforte le plus, en tout temps. Par exemple, le récit de son enfance : Prisonnier au berceau (où il fait son portrait en enfant autoconfiné dans ses rêves et son univers).
Source: Le Monde. 11 novembre 2020
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