Au téléphone, mardi soir.
« Allo, Papa ? »
« Aï Can, comment vas ? »
« Bien, mais faut que je te raconte un truc. C’est arrivé ce matin… »
« Quoi ? »
« Rien de grave, rassure toi, enfin rien… Ce matin nous sommes rentrés au lycée. Notre prof de français était celui lors de la minute de silence à 11h00. Nous avons vu qu’il n’était pas comme les autres jours, et qu’il était mal à l’aise. Et pendant la minute de silence, il a craqué et il a pleuré parce qu’il connaissait Samuel Paty. Cela nous a tous laissés sans savoir quoi faire, et le silence était total. Il a pleuré en silence, sans le moindre bruit, ni même changer de visage. C’était juste désarmant et personne n’a su quoi dire faire… «
« … Sarouchka ! «
» Quoi Papa ? «
» Il faut absolument le soutenir et mettre des mots là dessus, il ne doit pas se sentir seul. «
» C’est exactement ce m’a dit Nané, mais je ne sais pas comment faire. «
» Trouve un prétexte jeudi pour lui parler en aparté, et dis toi une chose. Ce n’est que parce que quelque chose est clairement dite que cela devient une idée sur laquelle il est possible de « travailler ». On peut penser une chose, confusément et tant que le verbe ne s’en empare pas, il est impossible de savoir quoi penser. Le verbe est le premier et le plus important structurant pour l’esprit qui soit. Dis lui simplement qu’il n’a pas agit de faiblesse, mais seulement d’humanité. Tu vois l’idée ? «
» Oui Papa, c’est vrai, tant que l’on ne met pas de mots sur une chose, c’est comme si nous lui appartienions, sans pouvoir s’en libérer. «
» C’est bien cela, et de l’entendre de l’une de ses élèves lui confirmera qu’il n’est ni seul, ni isolé. »
« Papa ? »
« Aï Can? »
« Je t’aime, j’ai de la chance de pouvoir parler de cela avec toi, j’étais sûre que tu saurais quoi me dire. »
« Moi aussi Sarouchka, et c’est moi qui ai de la chance d’avoir une fille comme toi. »
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