Comment les islamistes se sont-ils engouffrés sur l’Internet pour l’utiliser à des fins de propagande, de haine et de mort ?
Nous le savons maintenant, le terroriste de Conflans qui a assassiné Samuel Paty était en contact avec un djihadiste russophone en Syrie. La personne en relation avec le meurtrier, localisée grâce à son adresse IP, serait basée à Idlib, considérée comme le dernier grand bastion djihadiste et rebelle dans le nord-ouest de la Syrie.
C’est, à partir des années 1990, que les islamistes lancent l’offensive. Ils veulent imposer leur conception de l’Islam ; prosélytes hors pair, ils battent le pavé des cités où des jeunes sont sensibles à leur discours. C’est ainsi que l’islam que proposent les Salafistes aurait réponse à tout, à condition d’abdiquer tout esprit critique. Mais il faudra attendre 2006 pour que Daech utilise le Net pour y distribuer à l’échelle planétaire une propagande terroriste ainsi que leur propre récit. Ce fait était inédit. Ce qu’expliquent les auteurs d’un rapport sur la communication numérique de Daech : « La capacité de l’État islamique à utiliser Internet marque un écart évident par rapport à la norme d’Al Qaïda. Il existe quatre grands domaines d’innovation en ce qui concerne l’utilisation de l’Internet (par Daech) : la propagande centralisée, la diffusion mondiale des menaces, le développement de nouveaux codes informatiques et de nouvelles applications, les messageries décentralisées » (Quilliam Foundation, « Islamic state : the changing face of modern jihadism », 2014, p. 38.). Mais, cet engagement numérique aurait correspondu aussi à une volonté d’affranchissement face à la chaîne de télévision qatarie Al Jazeera, du temps de Oussama Ben Laden. C’est ainsi qu’avec les réseaux sociaux, le processus d’émancipation des groupes djihadistes fut en marche, afin de maîtriser l’information et leur communication. Mais, comment expliquer autrement cette évolution et l’utilisation massive de l’Internet ? Le réalisateur Abdelasiem El Difraoui répond à cette question. Selon lui, l’émergence des réseaux sociaux les a aidés « à construire une communication très diffuse, très décentralisée. Mais, à côté de ça, ils ont aussi une communication très centralisée. […] Ils ont des unités médias dans chaque district qu’ils administrent ». Et El Difraoui d’expliquer que les publications de Daech comme « Dabiq, ou Dar-Al-Islam par exemple, comme toute leur communication, reprend le symbolisme d’Al-Qaida et des organisations antérieures. Ils l’ont remis au goût du jour, adapté à une jeunesse européenne mais aussi à une jeunesse arabe, donc à une jeunesse de plus en plus globalisée[1]. »
En fait, les divers sites Internet francophones ou arabophones fréquentés également par de jeunes Français offrent un matériau intéressant pour comprendre la problématique. En premier lieu, de nombreux écrits sur les sites islamiques développent des discours anti-occidentaux qui trouvent d’abord leur justification, sous une forme ou sous une autre, dans les textes sacrés. On s’étend longuement sur la corruption de la parole divine (le Coran) par les Juifs et les Chrétiens, qui prêchent par anthropomorphisme, associationnisme et idolâtrie. L’Occident impie est ensuite élevé au rang d’ennemi absolu, puis les diatribes anti-chrétiennes, anti-américaines et antisémites viennent clore le tout. Encore faut-il comprendre pourquoi Internet est devenu le principal pourvoyeur de radicalité ? Pour le sociologue Samir Amghar, ce n’est plus tant dans les mosquées, lieux traditionnels du débat mais aussi du recrutement des djihadistes avant le 11 Septembre 2001, que les jeunes sont approchés. À la question de savoir pourquoi un jeune pourrait être sensible à ce type de discours, Samir Amghar répond : « Ce jeune âgé de 15 à 35 ans, souvent issu de la deuxième ou troisième génération de l’immigration, est mû par un double besoin de rupture : à l’égard de ses parents, dont il considère l’islam routinier, et du fait de sa quête d’identité. Sa revendication d’un islam éclairé comporte une forte dimension protestataire[2] ». Pour ces différentes raisons, le Net est un poste d’observation pour mesurer comment les islamistes se servent de cet outil. Comment ils exploitent les peurs et l’ignorance, comment ils prêchent la haine. Il est aussi un poste d’observation pour voir comment et pourquoi des parents et un prédicateur islamistes fiché S, ont utilisé sciemment les réseaux sociaux pour jeter en pâture un professeur d’histoire–géographie. Ce faisant, ils enclenchaient un processus qui pouvait conduire à l’assassinat de Samuel Paty.
Marc Knobel est historien, il a publié en 2012, l’Internet de la haine, Berg International, 184 pages. Il publie cher Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet.
[1] Abdelasiem El Difraoui, « On donne à Daech une importance médiatique démesurée », larevuedesmedias.ina.fr, consultable sur le Net : https://larevuedesmedias.ina.fr/donne-daech-une-importance-mediatique-demesuree
[2] Le Parisien, 20 septembre 2010, pp. 2-3.
Source: La Règle du Jeu. 28 octobre 2020
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