Arnaud, “un simple soignant”, répond à Nicolas Bedos

“Salut Nico… Bedos….Salut à toi ainsi qu’à tous ceux qui, comme toi, appellent à la « désobéissance civile »…

Alors déjà pardonne mon irrévérence en utilisant le tutoiement mais puisque nous parlons de désobéissance, tu accepteras bien volontiers que je ne respecte pas, tout comme toi, les règles qui conditionnent la vie en société.

Vous êtes nombreux depuis quelques mois, je ne saurais vous quantifier, à vous offusquer des règles que vous considérez comme « liberticides ». Il y a même des manifestations 🤦🏻‍♂️

Déjà sur ce premier point je dois t’avouer que j’ai un peu de mal à comprendre ce qui est « liberticide ». De porter un masque ? De se laver les mains ? D’éviter de contaminer son prochain ?

Quelque chose de liberticide aurait été, par exemple, d’empêcher de sortir ton texte qui commence par « Arrêtez tout, les masques, le confinement »…

Pour nous, soignants, je dois avouer qu’il y a quelque chose d’inaudible… car comme le dit Gilles Pialoux, professeur des Universités, praticien Hospitalier et chef de service de l’unité des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon (APHP), « Quand le masque est décrit comme liberticide, pour nous les soignants il y a quelque chose d’inaudible. La ventilation artificielle pendant 26 jours, c’est très liberticide ».

Mais allez ne jouons pas sur les maux, pardon sur les mots, de tous ces pauvres petits qui braillent parce qu’ils ne peuvent pas faire la « teuf » comme ils voudraient …

Je voudrais, si tu me le permets, commencer par te dire que nous, les professionnels de santé, nous savons mieux que quiconque la valeur et le goût de la vie ! Oui, parce que quand tu précises que la vie est une parenthèse trop courte pour se goûter à reculons, toi tu te contentes d’en parler. NOUS, on le vit ! On le vit chaque jour dans nos unités de soins. Dans et en dehors de nos hôpitaux.

On le vit quand on accompagne cette mère de famille qui crève d’une leucémie foudroyante.

On le vit quand ce gosse restera sur le bitume encore chaud d’un soir d’été après voir perdu le contrôle de son scooter.

On le vit quand cette gamine vient le crâne fracassé alors que sa mère était trop bourrée pour la protéger de sa chute dans les escaliers.

On le vit quand ce jeune père de famille ne reverra pas sa famille parce qu’il perdra la vie au volant de sa voiture en voulant éviter un bande de « branleurs fous du volant ».

On le vit lorsque l’on doit annoncer à cette future épouse, à 3 jours de son mariage, qu’elle ne pourra plus jamais dire oui à son « chéri » qui succombera d’une rupture d’anévrisme.

On le vit quand une famille, venue en vacances dans le sud, est décimée dans un accident de voiture avec des mômes de 3, 6 et 9 piges !

On le vit tout simplement parce que l’on connaît , bien mieux que toi, la valeur de LA VIE !

Alors tu vois, c’est un peu pour ça que l’on veut éviter à tout prix d’avoir à choisir ! D’avoir à choisir “qui” nous devrons soigner ou “qui” restera sur le carreau. Parce que quand nous aurons à choisir et quand nous aurons à l’annoncer, toi, très probablement, tu seras « vautré » (et je ne t’en veux pas) dans ton canapé du quartier des « bobos » parisiens du Marais. Parce que notre quotidien est déjà difficile pour ne pas en rajouter avec ce foutu Covid-19.

Alors de grâce, rien que pour ça,tu aurais pu t’abstenir … Tu aurais aussi pu t’abstenir parce nous, les soignants, nous sommes les premiers à aller au restaurant afin de partager avec les collègues une bonne côte de bœuf, un bon plat de sushis après une garde harassante de métiers qui relèvent plus du sacerdoce qu’autre chose…

Nous sommes aussi les premiers à aller dans les bars ou les discothèques se défouler pour tenter d’exhorter certains de nos démons accumulés à force de côtoyer la mort, la douleur, la peine et les larmes de nos patients, des familles, des proches…

Nous sommes les premiers à vouloir aller dans nos salles de sport ou nos stades pour y faire du CrossFit, du basket, du volley, du tennis pour tenter de garder un peu la forme alors que nous avons une hygiène de vie pourrie avec ces jours, ces nuits, ces week-ends, ces fériés passés au job à manger quand on a le temps et ce qu’on a sous la main et à se perfuser à la caféine et souvent à la nicotine …

Nous sommes les premiers à vouloir profiter d’une bonne toile, d’un bon concert, d’une bonne pièce de théâtre pour tenter de libérer nos esprits des scènes pas toujours « fun » que nous vivons …

Nous sommes les premiers à avoir le cœur arraché de limiter ou refuser l’accès à nos hôpitaux aux proches des personnes isolées souffrantes et parfois, comme ton papa, mourantes.

Mais ça c’est nous qui devons l’annoncer. Mais pas toi.

Nous sommes les premiers à être très loin de la zone grise dont tu parles. Je crois qu’au contraire nous tentons d’illuminer notre quotidien au boulot, en sortant, bien souvent, des blagues graveleuses et avoir un humour, tiens, à la Bedos…

Nous sommes les premiers à tenter de mettre un peu de couleurs dans le gris quotidien de nos patients, de nos résidents.

Nous sommes les premiers à souffrir du port du masque, tu sais, celui que tu demandes de ne pas porter alors qu’on en crève ! Ça tu t’en tapes peut-être mais nous, les soignants c’est un peu la double peine. On porte le masque au boulot pendant 12h, mais on le porte aussi quand on va faire nos courses, lorsqu’on accompagne les gosses a l’école ou lorsqu’on va faire une séance de shopping.

Alors tu vois, nous sommes les premiers à ne plus pouvoir profiter pleinement de nos rares moments de liberté et nos rares sas de décompression qui apportent de la couleur dans nos cœurs pour pouvoir bien soigner !

Et pourtant, nous continuons à retourner au « job » même lorsque l’on constate que des personnes comme toi nous font la « nique ». Oui, nous aussi, on aimerait tant retrouver une vie « normale »… et dire que les épidémies saisonnières arrivent…

Autant je peux pardonner à la personne lambda qui s’exprime sur les réseaux sociaux mais dont le message, comme le mien d’ailleurs, sera lu par une poignée de personnes, autant je ne peux pas pardonner à des personnes comme toi, comme Fabrice, comme Jean Marie et d’autres encore. Je ne peux pas pardonner parce que vous êtes des personnages publics. Qu’on vous aime ou pas, votre voix compte. Elle ne compte pas pour votre capacité à comprendre un phénomène (le Covid 19) qui vous dépasse très largement, et c’est bien normal, même les plus éminents spécialistes du domaine sont dépassés. Non, elle compte uniquement parce que c’est vous qui le dites. Le fond, les gens s’en cognent ! Mais si Bedos l’a dit, si Luchini l’a dit, si Bigard l’a dit…

Probablement as-tu voulu faire la nique à nos gouvernants mais c’est loupé … C’est nous qui sommes au charbon ! Tu sais, ceux qui étaient applaudis il y a encore quelques mois … Tu sais, ceux qui allaient à la mine lorsque la peur s’emparait de la population….Tu sais ceux qui assuraient le convoi des milliers de malades intubés transférés par trains (une première historique – photo en PJ 😉 et promis c’est pas de la fiction, c’était bien en France), par avions, ambulances ou encore par hélicoptères. Tu sais ceux qui essayaient de soigner ces milliers de malades, dans des hôpitaux de campagne dressés à la hâte, sans qu’aucuns traitements ne marchent vraiment… Tu sais, ceux qui n’ont pas arrêté d’alerter sur l’inévitable seconde vague et que nous ne pourrions de nouveau s’offrir ce luxe, à la fois sur le plan économique et sur le plan sanitaire… et qu’il suffisait de respecter les règles…

Je ne sais pas qui a raison, qui a tort… et je dois t’avouer que je m’en moque… Ce que je sais en revanche, c’est que les personnes avec qui je bosse sont usées. De notre valeureuse ASH à nos directeurs en passant par les infirmiers, les médecins, les secrétaires, les sages-femmes, les personnels techniques et administratifs… Elles sont usées parce que nous devons constamment nous adapter à un virus que nous ne connaissons pas. Nous devons constamment adapter nos organisations aux fluctuations de l’épidémie. Nous devons constamment faire preuve de résilience… oui, de résilience …

Je ne sais pas non plus qui détient la vérité sur ce virus. Mais tout comme toi (il faut que tu en prennes conscience) cela dépasse très largement mon champs de compétences et encore plus du tiens !

Alors, dans le doute, je laisse cela au sachant. Tiens, comme dit un de mes meilleurs amis, laisserais-tu à un passager d’un vol long courrier le manche de l’avion alors même qu’il n’a jamais piloté simplement parce que nous sommes en zone de turbulences ? Permets moi d’en douter… Pourtant, comme en Médecine, comme en sciences, les vols peuvent être turbulents, mais nous n’avons d’autres choix que de faire confiance aux pilotes …

C’est ce qu’on appelle la zone d’incertitudes… et face à un virus que l’on ne connaît que depuis quelques mois c’est d’autant plus vrai…

C’est donc ce que je t’invite, modestement, à faire… et d’emporter avec toi l’ensemble des complotistes et autres personnes qui se de découvrent une passion subite pour la médecine et la science… C’est un peu comme à chaque coupe du monde de foot, subitement il y a 60 millions de sélectionneurs qui savent mieux que les autres…

Dans son canapé, c’est facile de commenter … (et dire qu’il y a quelques semaines de cela, ils criaient au scandale car ils n’avaient pas de masques et que nous étions en rupture de la fameuse solution hydro-alcoolique… Va comprendre Charles… non Nicolas… )

Tiens, je te renvois à la formidable intervention d’Etienne Klein, philosophe des sciences et directeur de recherche au CEA qui définit un terme plus que jamais d’actualité, l’Ultracrepidarianisme : « Les gens parlent au-delà de ce qu’ils savent avec une assurance proportionnelle à leur incompétence. Or, Pour savoir qu’on est incompétent, il faut être compétent ».

Tout comme Luchini et Bigard, vous êtes nettement meilleurs dans ce qui est votre job : faire rire. Pour le reste, de grâce, abstenez-vous ! Nous n’avons pas besoin de cela …

Alors continues à mettre de la couleur dans nos cœurs et pour le reste fais comme si nous étions en zone de turbulences, fais confiance aux professionnels de santé comme lorsque tu fais confiance aux pilotes de l’avion… Car, au final, nous sommes tous dans le même… avion… et de la couleur dans nos cœurs, nous les soignants, nous en avons bien besoin…”

Arnaud G. Un simple soignant…

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3 Comments

  1. Absolument vrai ; mais un peu longuet…

    Pour compléter le tableau, comment ne pas insérer ces inepties de Nicolas Bedos dans le contexte général des saltimbanques qui s’arrogent le droit de nous dire le bien et le mal ?
    Dans des domaines où ils ne disposent d’aucune compétence particulière ?
    Qu’ils connaissent souvent moins que mon dernier chauffeur Uber ou la concierge de ma cousine de Limoges, ceux qui n’ont jamais le droit de s’exprimer dans les médias ?
    Pratiquant le mélange des genres, profitant de leur renommée hors sujet pour nous asséner leur arrogance ?

    Notons que N. Bedos a de qui tenir. Déjà son regretté père, il faut hélas le dire, nous infligeait ses convictions idéologiques sous prétexte d’humour.
    Paix à son âme.

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