« Il faut en finir avec ces bêtes immondes, avec ces barbares des temps obscurs, ces porteurs de ténèbres, oublier les serments pleins d’orgueil et de morgue qu’ils ont réussi à nous extorquer au sortir de ces années de guerre. La lumière n’est pas avec eux et les lendemains ne chantent jamais que pour les hommes libres. »
Le serment des barbares, Boualem Sansal
La langue est monstrueuse. Parce que prise au piège de l’univocité. La façon dont nous nivelons les mots sans poids ni mesure est épouvantable. Je constate qu’à force de mesures et de juxtapositions obscènes dans une forme de naïveté, nous pulvérisons notre inventivité et de notre capacité à construire autre chose que ce que nous sommes déjà.
D’un côté avec une désinvolture et un laisser-aller terribles, des individus, des groupes politiques, des journaux et des organisations subsidiées par l’Etat pervertissent les éléments du langage, la grammaire de la représentation qui participent à nos tentatives de nous emparer de nouveau des mots et des corps et apprendre aux mots et aux corps une autre façon de se comporter. Aujourd’hui, plus personne ne s’offusque, en Belgique, qu’un conseil municipal puisse voter le vœu que les fonctionnaires territoriaux puissent exhiber leur religion comme un trophée en habillant leurs cheveux du voile qui mettra définitivement à la poubelle la sacro-sainte neutralité du serviteur public ; plus personne ne crie au scandale lorsqu’un professeur d’université, et pas de n’importe quelle université, prend position à visage découvert sous couvert justement de recherches anthropologiques, pour les porteuses des mantilles islamiques ; plus personne n’est scandalisé lorsqu’une journaliste écrit que le voile est juste un bout de tissu, pas plus important que la fameuse perruque, suivant mon regard ; plus personne ne s’étrangle lorsque cette même journaliste indique qu’avant de publier son papier, elle a pris ses précautions en faisant lire le papier par une personne connue dans les milieux les plus conservateurs de l’islam, une voilée justement ; plus personne n’est blessé dans sa dignité lorsqu’on sait qu’une organisation subventionnée par l’Etat belge et donc vivant sur les impôts des citoyens belges, le Centre d’Action Laïque le mal nommé, se permet de licencier une de ses directrices non pour une faute dans la mission qui lui est confiée, mais pour son militantisme… laïque , plus personne n’est froissé de savoir qu’un article de votre serviteur était programmé par La Libre, là aussi la mal nommée, qu’un lien lui a été adressé pour retrouver le texte publié et que dix minutes plus tard, un mail lui est adressé lui indiquant que son papier ne paraitra pas parce qu’il s’était pris sur Facebook à un défenseur acharné de l’islam politique… Nous pourrions continuer longtemps comme ça ! La Belgique est en passe de devenir un califat, ou du moins une possession du califat. Ni les partis politiques, à part le Mouvement Réformateur, ni les syndicats, ni les universités, ni les journaux ne réagissent face à cette mainmise d’une idéologie qui est rejetée dans sa propre aire naturelle et qui vient s’exhiber dans la capitale de l’Europe.
Voilà ! Ce qui se dit, ce qui se formule et s’énonce dans un langage simple, commun et quelconque ne trouve plus de pertinence et rend compte de notre pauvreté pour compter ce qui nous dépasse. Il faut ruser pour que le dire puisse se faire et passer sans heurt. Et pendant ce temps, c’est l’inquiétude et l’appréhension qui nous envahissent, secrètement, comme une gangrène, comme le pire des cancers.
Je ne sais pas comment on cesse d’avoir peur de dire
Je ne sais pas comment on cesse d’avoir peur de dire. Je n’ai pas le mode d’emploi. Je ne veux pas vivre avec cette angoisse. Je ne la connais pas. Je ne connais pas le sentiment de peur pour moi, mais je connais celui des autres. Je ne veux pas faire l’effort de le comprendre. Je veux continuer de soutenir que toutes les opinions ne se valent pas, tout simplement parce que toutes les morts ne se valent pas. On n’égorge pas pour une caricature. Si on est choqué par un dessin, ce n’est vraiment pas mon problème, c’est le problème de celui qui le regarde. Mon problème à moi, c’est que la liberté d’expression et de tout dire est une des valeurs cardinales de notre République. Toutes les luttes ne se valent pas. Combattre pour imposer les Lumières va dans le sens de l’Histoire. Tenter d’imposer une idéologie sectaire constitue une agression contre la nation récipiendaire. Cela pour la France.
Pour la Belgique, aujourd’hui, à Bruxelles, à cause des activistes de l’islam politique et de leurs complices, parler haut et fort constitue un risque calculé. Peut-être faudra-t-il revenir aux murmures, aux chuchotements, aux petites voix, aux petits sons inintelligibles. La prévision de l’éruption d’un volcan est une science exigeante. Le volcan commence à se manifester par des vibrations infimes, des contorsions imperceptibles, les gaz qu’il laisse s’échapper comme de frêles poussières ne s’enchaînent pas. Tout cela arrive par à-coups.
A Bruxelles surtout, mais comme partout ailleurs, il convient que la vigilance soit de mise. Pour ma part, je n’exciserai pas ma parole de militant laïque ! Je resterai debout et continuerai, quoi qu’il m’en coûte d’afficher mon amour de la République et de porter haut encore et encore, avec acharnement et persévérance, le polyptique Liberté, Egalité, Fraternité auquel je rajouterai en bon républicain celui de Laïcité.
© Kamel Bencheikh
Kamel Bencheikh est écrivain et a publié notamment » Prelude a L’Espoir, Poèmes« , anthologie de la poésie algérienne de langue française, et poètes algériens d’expression française.
Chroniqueur au Matin d’Algérie ou à Causeur, il avait raconté, en 2019, comment sa fille s’était vue interdire de monter dans un bus pour « délit de jupe ».
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