Bon
Dimanche
Et les notes?
On en parle, des notes?
Devoir classique : noté sur 10.
Composition trimestrielle : notée sur 20.
La compo étant supposée fédérer toutes les connaissances acquises au cours du trimestre.
Cela supposait une révision rigoureuse, un gros stress, et une note sèche sur le bulletin qui arrivait par courrier, la vache!!
Un carnet mensuel rendait compte du travail fourni pendant le mois, récompensé par un tableau d’honneur.
Ou pas.
Les notes sous la moyenne figuraient en rouge, écrasées avec sadisme par le stylo d’une pionne cruelle…
Les parents avaient ainsi une vision immédiate et globale de la situation.
Du rouge en maths, en physique et en chimie…
J’étais une littéraire, c’était acté.
Conclusion toute personnelle. Non partagée en famille.
T’as qu’à travailler, tonnait maman…
Privée de SLC qui avait remplacé Fillette Jeune Fille.
Et parfois le malheur ajoutait une tache rouge en histoire ou en géographie…
Qu’est ce que tu comprends pas en histoire ?
Elle fait pas le cours en français ?
Si t’écoutais et que t’apprenais tes leçons tu pourrais au moins avoir la moyenne!!
Pourtant j’adorais l’histoire, mais une impasse est si vite arrivée.
Ou une note divisée par deux pour cause de travail en équipe.
Vous avez copié, vous vous êtes mises à deux pour faire le devoir, normal, je partage la note en deux !!
Pas sympa…
Le bulletin arrivait par courrier , impossible à subtiliser…
Assorti de surcroît des timbales honorifiques, encouragements ou félicitations …
Et comble de malchance, il était envoyé juste avant les vacances scolaires.
De quoi pourrir les deux semaines de bonheur espéré…
Des cris, des jérémiades, ma mère, la Russe essuyait parfois une larme en balbutiant Qu’est ce que tu vas devenir, ma pauvre fille...
Privée de:
Sortie
Vacances
Radio
Oh !! Tout doux!!
Les vacances étaient payées, je partais avec une amie, sa mère plaidait ma cause, mais de toute façon je savais que papa ne validerait pas la punition maternelle …
La pauvre fille pliait l’échine, faisait le gros dos jusqu’au couplet final :
Et tu vas aller en pension!!
En pension pour une équation ratée ou une formule chimique de traviole…
Je crois à la justice de mon pays, mais là, c’était un chouïa excessif…
Et plus d’argent de poche.
Tant pis.
J’emprunterais.
Je me souviens juste d’un bulletin arraché dieu sait comment des griffes maternelles.
Tranquillement déchiré en petits morceaux.
Cachés dans la partie inférieure d’un cabas acheté en gros, qui possédait un double fond accessible par une fermeture éclair …
Retour de vacances d’Italie dans la voiture familiale.
L’Europe n’existait pas encore.
Frontière.
Douaniers.
Qui craignaient qu’on ramenât d’Italie gants et chaussures achetés sur les marchés. Accompagnés de quelques nappes et twin sets aux tons pastel.
Rien à déclarer?
Rien, déclara maman avec le front d’un voyou en cavale sorti d’un film de Verneuil.
Le douanier passe une tête suspicieuse dans la voiture et m’observe.
Le cabas près de moi est une bombe à retardement, s’il me le fait ouvrir, je resterai dans l’Histoire comme une victime expiatoire des méthodes perverses de Victor Hugo…
Mon coeur bat la chamade.
Je ne sais qui je redoute le plus: le douanier ou ma mère…
Circulez, ordonne l’homme brutalement…
Papa démarre…
Je suis sur le point de rendre l’âme.
Enfin, mon âme noire comme l’ébène, qui en voudrait ?
Mais pourquoi ai-je conservé ces morceaux de bulletin trimestriel au lieu de les jeter à la poubelle ?
Peut-être pour atténuer l’intensité de la forfaiture…
Conservés, je pourrais plaider …
Quoi d’ailleurs ?
Le voyage se poursuit…
Maman déclare soudain Faut pas que j’oublie de demander au lycée un duplicata de ton dernier bulletin. Ils ont dû oublier de l’envoyer, je ne l’ai pas reçu...
La crapule en moi se liquéfie…
Badinter n’a pas encore supprimé la peine de mort…
Je suis cuite.
Que ce premier dimanche de confinement préfigure les autres jours qui seront pour certains d’entre nous autant de dimanches.
Librairies fermées…
On va télécharger sur nos liseuses…
Je vous embrasse
© Michèle Chabelski
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