Tribune Juive

Sarah Cattan. Samuel Paty et les Professeurs face à une hiérarchie indigne

Alors que l’attentat de Nice et les autres tentatives procèdent d’évidence de l’attentat contre Samuel Paty, qui en est la matrice, mes collègues et amis Professeurs de la circonscription du Centre-Val-de-Loire ont reçu via leur boite mail un document interne confondant de lâcheté et hélas signé de Katia Béguin, Rectrice de la région académique, également pour leur grand malheur Rectrice de l’Académie d’Orléans-Tours, et encore … Chancelière des universités.

Ce Haut-fonctionnaire, qui encadre pour l’Éducation nationale toute la région, a osé. Osé envoyer le samedi 17 octobre 2020, au lendemain-même de la décapitation de Samuel Paty au pied de son collège, dans la rue, à l’ensemble des enseignants de sa circonscription administrative le mail interne ci-joint dans son entièreté.

Un tel document coupe court à nos questionnements pour savoir si Samuel Paty avait été soutenu par sa hiérarchie ou si, comme il se dit de plus en plus, il avait été au contraire consciencieusement, odieusement lâché. Ce document démontre que oui, le Professeur avait été quasiment sermonné par sa hiérarchie, un inspecteur d’Académie étant venu le recadrer, et la Rectrice de l’académie de Versailles s’apprêtant à remettre au pas le professeur. Histoire d’en finir avec ces manières trop suspectes de soulever des vagues : Heureusement, me dit ce collègue, la Rectrice aura pu compter sur le dévouement du terrorisme islamiste pour la décharger de cette dernière corvée.

Comment dorment-ils aujourd’hui, ceux-là ? Ceux de la hiérarchie qui lâchèrent et lâcheront encore demain les hussards noirs envoyés prendre des coups en première ligne. Le mail interne envoyé à ses ouailles au lendemain de l’ignominie par la Rectrice Katia Béguin vient démontrer l’innommable : il n’est que de lire ce qui y est écrit pour que saute aux yeux, révélée par ce qui n’y est pas dit, la pleutrerie confondante d’une partie de l’Institution.

Ecrit avec une plume de vierge effarouchée, écrit avec tout l’artifice nécessaire pour dire sans dire, écrit comme du bout des lèvres, écrit tel un communiqué visant à mettre au pas ces troupes au cas où il leur prendrait l’idée saugrenue d’aller se cabrer, le document interne réussit l’exploit saisissant, que dis-je, la prouesse, de ne rien dire de l’évènement qui avait motivé son envoi.

Pire : pour décrire la réaction face à l’indicible, elle évoque la stupéfaction, face à des enseignants et une France sidérés, bouleversés, traumatisés, béants d’horreur.

Elle parle d’indignation, au lieu que de dire la douleur, l’effroi et la révolte. Elle a rédigé à l’adresse d’une communauté éducative meurtrie une note de service. Sans âme. Sans bravoure. Sans Hauteur. Une coquille vide révoltante.

Lisez. La rectrice se distingue, que dis-je, se vautre de par son obstination à refuser à nommer le mal et donc à caractériser ne serait-ce qu’un minimum les faits.

Lisez. Relisez. Dans ce lipogramme éliminant tout terme qui risquerait d’effleurer, de près ou de loin, l’islam politique et la violence obscurantiste qui l’accompagne, telle un Georges Perec mettant son art à affronter le défi d’écrire tout un roman sans utiliser la lettre E[1] , notre Katia Béguin a osé cette adresse au corps enseignant sans jamais mentionner les syntagmes terrorisme, islamisme, djihadisme ou obscurantisme, lesquels aujourd’hui pleuvent de partout, la décapitation de notre collègue ayant forcé par son horreur tout un chacun à trouver en soi le RSA du courage.

Katia Béguin ? Elle n’est pas concernée. Sa note de service est un affligeant chef-d’œuvre linguistique fracassant de lâcheté, Je parle de celle qui est parfois doublée d’une idéologie discutable au point d’en devenir ignoble.

Lisez et Songez à la consternation et à la solitude qui auront forcément saisi les collègues de Samuel Paty.

Lisez et comprenez qu’ils se posassent la question de savoir comment Samuel Paty les aura vécus, ces jours qui suivirent ce fameux cours et précédèrent son assassinat.

Lisez et Entendez qu’à ce degré de la hiérarchie, chez une haut-fonctionnaire de cette qualité, ce manquement d’une gravité extrême s’apparente à une faute impardonnable, une prévarication qu’il importe de dénoncer.

Lisez et Rappelez-vous encore des décisions de la Rectrice de Versailles, laquelle avait statué que Samuel Paty ferait l’objet d’un « rappel » des règles de laïcité et de neutralité par un inspecteur d’évaluation de la vie scolaire. Lisez et Dénoncez ce festival de déni, de lâcheté, de mépris, de désaveu, de lâchage des profs in fine. Cet affront insigne fait à Samuel Paty.

Lisez. Et Ne perdez pas que la défaite et la lâcheté nationale commencent avec ce type de billet.

Pour info, ce document, terrible exemple des racines du mal qui démarrent dès le cœur de l’État en refusant de nommer le malheur du monde, est la capture d’écran du mail tombé dans la boîte-mail de l’Académie.

Pour info encore, au vu des mesures de confinement décidées, et ce bien que écoles, collèges et lycées restassent ouverts, on apprend via un Communiqué du Ministère que l’hommage à Samuel Paty sera … réorganisé, que tous les temps d’échanges prévus entre adultes sont annulés et que restera seulement une minute de silence, pas nécessairement préparée avec les élèves. Nombre enseignants trouvent indigne ce choix de réduire le nécessaire temps de réflexion, d’échange, de partage à une simple minute de silence, affaiblissant ainsi l’indispensable travail pédagogique. Ils déclarent que l’hommage à leur collègue doit avoir lieu et qu’ils honoreront dignement la mémoire du Professeur assassiné : Nous ne pouvons pas rentrer, reprendre le chemin de nos établissements scolaires comme si de rien n’était.


[1] Georges Pérec. La Disparition. Gallimard. 1969.

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