Peter Chérif, le présumé commanditaire de l’attentat de Charlie Hebdo et possible mentor des frères Kouachi, a témoigné vendredi 23 Octobre, en visioconférence depuis la prison où il est incarcéré. Comme il ne voulait pas s’y plier mais qu’il y a été obligé, il a prévenu avant de « venir » qu’il ne parlerait pas. Arrêté fin 2018 à Djibouti, Peter Chérif sera jugé dans un procès disjoint. Il a donc été cité ici en tant que témoin, comme le lui a rappelé le Président pour l’inciter à parler.
Malgré son silence têtu, Peter Chérif a dit beaucoup de choses lors de son « audition », davantage peut-être que la plupart des témoins qui ont parlé. Il s’est adressé à des gens, pas forcément à nous. On ne sait s’il s’est aussi adressé aux accusés qui le regardent comme nous depuis leur box, mais son silence et le peu de mots qu’il a prononcés avaient « une adresse » car il sait que sa performance sera commentée dans les médias.
La Diva au Coran
Peter Chérif a le sens de la mise en scène : Après s’être fait attendre tout au long de la journée comme le font les divas, il apparaît enfin à 17:30 en visio-conférence. Pull gris, bras croisés, le regard fixe. Un petit livre est posé sur ses genoux. Sur son pull est écrit de manière visible le mot ICON.
Dès que commence son audition Peter Chérif récite la Fatiha, la première sourate qui ouvre le Coran, avec un bon accent arabe. Contrairement à Amédy Coulibaly qui peinait à lire dans sa vidéo-testament les quelques phrases en arabe de son discours, Peter Chérif maîtrise la langue du Coran. Puis il lance : Ce témoignage est le seul que je veux apporter aujourd’hui. Il prend soin de préciser qu’il parle du Dieu qu’ont révélé Abraham, Moïse, Jésus, et Mohammed, le dernier des Prophètes. Il explique : Dieu est une réalité scientifique. C’est une pensée réfléchie. Je me base sur des preuves.
Puis il confie qu’il a « essayé d’être français », qu’il a voyagé dans plusieurs pays qu’il énumère et qu’à chaque fois « il a réagi comme un français ». « On m’a forcé à venir ici pour une affaire pour laquelle je n’ai rien à voir. Je ne suis pas un criminel, je n’appelle pas au crime. Mais j’appelle tous les hommes à ouvrir les yeux sur la réalité de Dieu. C’est la seule chose que je vais vous dire aujourd’hui. A partir de maintenant je ne réponds plus à aucune question. »
Il se mure dans un silence consternant, ouvre son petit livre, vraisemblablement un Coran et commence à lire. Le Président continue à lui poser des questions et il fait comme s’il n’entendait pas. Lorsque Maître Casubolo lui demande si Dammartin-en-Goëlle « ça lui dit quelque chose » et pourquoi les frères Kouachi ont choisi l’imprimerie de cette ville le 09 Janvier pour se cacher et finir leurs jours ? Cette ville où Peter Chérif avait passé trois mois dans l’auto-école qui jouxte l’imprimerie pour passer un permis poids-lourd et où il a rencontré plusieurs fois l’un des frères Kouachi. Le témoin muet ne répond toujours pas.
Essai de décryptage de la mise en scène de Peter Charif
Pour décrypter sa mise en scène, il faut rappeler que Fatiha signifie en arabe « ouverture » et que c’est la Sourate d’ouverture du Coran qu’on lit avant d’entamer une lecture du livre saint. Peter Chérif signifie donc que ce petit livre posé sur ses genoux et qu’on ne discerne pas est bel et bien le Coran. La Chahada, autre prière et profession de foi, en arabe veut dire témoignage. Peter Chérif sait que les médias vont « relayer » sa performance. Il fait passer le message à ceux qui le comprennent et l’écoutent que le seul témoignage valide ici est la Chahada. Il ne peut témoigner que du tawhid, l’unicité de Dieu. Tout autre témoignage n’a donc aucune valeur. Il délivre donc le message qu’il ne reconnaît pas cette Cour de Justice et que les témoignages qui y sont donnés n’ont aucune valeur. Pour lui et ceux qui croient en lui. Quand on sait que la plupart des témoins depuis le début du procès ont menti ou n’ont pas répondu aux questions, cela laisse songeur.
Peter Chérif tient le Coran sur ses genoux. Certes il a le droit de lire le Coran où bon lui semble, mais comme il est en visioconférence depuis sa prison, cela signifie qu’il est au Tribunal. Il sait qu’il est au Tribunal et que le livre de référence de ce lieu de la Justice est le Code civil. Peter Chérif remplace sciemment le Code civil par le Coran, le livre dont est tiré la Charia (Rappelons que la Charia est un ensemble législatif). Il délivre donc le message que seule la Charia est l’ensemble législatif valide à ses yeux. Il explique aussi qu’il a essayé d’être français, donc que toute tentative d’appartenance nationale est vouée à l’échec.
Depuis qu’il est en prison, Peter Chérif affirme qu’il est un repenti : « Les attentats ça m’a dégouté. Vous m’auriez interrogé en 2014, je vous aurais traité de Koufar », avait-il dit lors de sa garde à vue. Lorsque le Président, après avoir lu ses déclarations de gardes à vue où il désavoue les attentats, lui demande s’il confirme les propos transcrits dans ses dépositions, (ce qu’il demande à tous les témoins), Peter Chérif ne répond que par son silence. Il aurait pu acquiescer d’un signe de tête Il se contente de continuer à lire le Coran.
Saint Peter et son Icon
Le plus obscur de son message est ce mot « Icon » sur lequel beaucoup doivent se pencher en ce moment. Il utilise la calligraphie pour signifier l’icône : Pas la représentation, mais le mot comme les calligraphies de Allah ou Mohamed signifient Allah ou le Prophète sans avoir besoin de les représenter.
Mais le champ lexical du mot Icône est plutôt chrétien. Même s’il y a eu des représentations picturales de Mohammed en Iran et dans le monde Chiite, il n’y a pas à proprement parler d’icônes dans la religion musulmane. Il y a le Prophète qu’on n’aurait pas le droit de représenter, (le contraire donc d’une icône), le Madhi, l’imam caché dans le Chiisme, le Calife chez les sunnites, mais il n’y a pas d’icône comme on en trouve chez les Chrétiens Orthodoxes où elle a une fonction quasi magique.
Peter Chérif se prend t-il lui même pour une icône contemporaine du malaise musulman ? Du combat musulman ? Se veut-il un objet de vénération pour ses fidèles, une sorte de « Saint Peter » ? Ou veut-il rappeler que, parce qu’il est filmé, il n’est qu’une image et qu’il n’est donc pas vraiment là, « ici et maintenant » au tribunal ? Ou bien « Saint Peter » veut-il délivrer le message que l’icône- image en grec- a sa place dans la tradition musulmane ?
A l’image de ce procès, on ne le saura jamais. Peter Chérif continue ce qui a été mis en place depuis son commencement : donner des informations contradictoires, embrouiller l’esprit, désorienter. C’est peut-être d’ailleurs une marque de la perversité d’envoyer toujours des messages contradictoires à Autrui pour avoir un ascendant sur lui. Pour ma part, et même si les véhémentes protestations du monde musulman de ces derniers jours incitent à penser le contraire, je préfère essayer de croire que Peter Chérif dit que tout vient d’un malentendu, d’une méconnaissance des textes, qu’il n’y a pas d’interdiction à représenter le Prophète.
Car comme l’explique Malek Chebel: « Ni le Coran ni aucun autre texte fondateur de l’Islam ne formule explicitement cette interdiction. En réalité, c’est l’usage qui a fait que toute image de Mahomet est effectivement devenue prohibée.«
Et voilà que soudain on entend quelqu’un pleurer. Peut-être est-ce Peter Chérif … à moins qu’il ne soit juste enrhumé.
© Karin Albou
Karin Albou, auteur et réalisatrice, a écrit et réalisé dès 2002, à un moment où personne n’avait pressenti l’ampleur des actes antisémites qui allaient frapper la France, » La petite Jérusalem« , qui sortira en salles en 2005 et raconte… Sarcelles. Elle a également écrit et réalisé « Le chant des mariées » qui se situe pendant l’Occupation nazie de la Tunisie.
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