Une minute de silence pour rendre hommage, pleurer, méditer à un acte barbare.
Une minute de silence, extraite d’une éternité qui ne nous appartient pas, posée là en simulacre d’une maîtrise de la fugacité du temps…
Une minute de silence toujours choisie, témoignage volontaire, adhésion personnelle.
Évidences, banalités, pour autant…
Voilà ce que la direction m’écrit :
“Le Groupe Machin Chose, sa direction, ses collaborateurs, ses apprenants et son corps professoral s’associeront à la minute de silence du 2 novembre 2020 à 11h00 en mémoire de Samuel Paty.
En pièce-jointe, une note de la direction du Groupe Machin Chose.”
Transformation de la minute de silence en minute de sentence
Le 2 novembre, je ne pourrai refuser la minute de silence sans désobéir.
La direction du Groupe pense-t-elle que certaines parties prenantes refuseraient la minute de silence consacrée à Samuel Paty ? Tout être sensé, sensible, citoyen, “humain” n’aurait-il pas, spontanément, souscrit à ce recueillement ? Pourquoi imposer ce qui va moralement de soi ?
Mon comportement est forgé par la décision hiérarchique qui m’impose sans me suggérer, me livre une empathie sur l’étagère du prêt-à-penser et facile à faire, qui me façonne sans prendre le temps de me sensibiliser pour faire évoluer une éventuelle attitude rétive.
La Direction nous voit-elle comme des enfants, des idiots ou des êtres insensibles au point qu’elle cherche à nous cadrer et à gâcher le plaisir d’une communion en groupe par une communication de Groupe ?
Im-pauser le silence
Alors le 2 novembre, je ferai une minute de silence, le doigt sur la couture de mon uniforme prêté par le groupe avec sa caisse de bonnes intentions, au clairon du management sonnant 11h.
Une minute de silence pour penser à la liberté que m’impose le groupe de devoir faire une minute de silence.
Une minute de silence pendant laquelle je me remémorerai, pour ne jamais les oublier, les tests de Asch, de Milgram, les AIE d’Althusser, l’éthique de Spinoza.
Une minute de silence pendant laquelle je triturerai l’anneau abandonné par Gygès.
Une minute de silence pour méditer avec Sartre que nos décisions nous appartiennent et nous libèrent.
Une minute de silence pendant laquelle je remercierai Samuel Paty de m’avoir permis de me rappeler que le terreau de la liberté est à trouver dans l’homme et dans ses pensées, pas dans la structure managériale et ses pansements.
Pendant cette minute de silence, pour ne pas laisser voir mes larmes de désespoir, je mettrai mon masque sur mes yeux, celui-là même qui me laisse sans voix.
© Serge-Henri Saint-Michel
Serge-Henri Saint-Michel est psychanalyste. www.saint-michel-psy.fr
06 84 99 85 06
Sisyphe était soumis à son supplice, tout comme à la gravitation que vous évoquez. Il était orgueilleux, taquin. Jusqu’à se jouer de Thanatos… Mais cela ne l’empêchait pas de réfléchir, de penser et d’être heureux, comme le précisait Albert Camus, autre intello grégaire à la grandeur duquel je ne saurai parvenir.
Je vous remercie de me dire et d’anticiper ce que je vais faire, n’en sachant rien moi-même 😉
De Sisyphe à décisif, en somme.
De rien, Messire. Vous respecterez donc la minute de silence comme tout ce monde.
Et les autres grégarismes: légion d’honneur, marches blanches, discours, flonflons et Marseillaise à gogo.
Ensuite, on vous laissera tranquille.
Jusqu’à la prochaine fois.
Etonnante, cette réaction violente de Nicolas.
Une volonté de puissance ? Un méchanceté gratuite ?
Un mépris de la réflexion de l’Autre ?
Considérer l’Autre comme un mouton, n’est-ce pas justement dénier son libre arbitre ?
Enfin, je crois qu’une relecture de l’article s’impose, Nicolas. Vous lui prêtez des intentions qu’il n’a pas. Je pense qu’il fait plus ouvrir des pistes qu’affirmer la justesse d’un comportement.
L’haineux est toujours grégaire :))
Je crois qu’il y avait un jeu de mots sur “l’haineux” / laineux et grégaire / mouton. Excellent, Jean-Pierre !
Merci pour cet article à la fois léger et profond, bien écrit et aux belles références pour qui veut les voir.