Mathieu Bock-Côté. Les faux-fuyants sont de retour

Mathieu Bock-Côté. Photo de Jean-Christophe Marmara

Une semaine après l’attentat islamiste qui a frappé Samuel Paty, le parti du déni ne chôme pas et les mécanismes habituels de neutralisation symbolique se sont réenclenchés.

Pendant quelques jours, on a voulu y croire. Qu’il s’agirait de l’attentat sanglant de trop. Que la décapitation de Samuel Paty marquerait définitivement les consciences. Qu’on ne chercherait plus à relativiser le danger de l’islamisme. Qu’on serait intraitable non seulement envers les terroristes, mais aussi envers la cinquième colonne qui les soutient. L’illusion n’aura pas duré. Le parti du déni ne chôme pas, n’a même pas été capable de se garder une petite gêne, et s’est remis à mettre en garde contre la récupération de l’événement par « l’extrême droite », dont il ne faudrait pas faire le jeu. L’esprit collabo a de l’avenir. Pour certains, la trahison est un métier. Un métier subventionné.

En moins d’une semaine, les mécanismes habituels de neutralisation symbolique se sont réenclenchés, comme si une grande partie du dispositif politico-médiatique avait pour fonction inconsciente de détourner la signification des événements historiques, en empêchant les hommes de savoir ce qui leur arrive. Si la théorie du déséquilibré peine à revenir à l’avant-scène, et si celle du loup solitaire est en panne, le régime diversitaire fait tout pour transformer l’islamisme en manifestation parmi d’autres de « l’intolérance » et de « la haine » – telle est sa nouvelle esquive pour ne pas nommer clairement la guerre qu’il mène contre la France. Ainsi, on en a entendu expliquer que la question du blasphème ne concernerait pas exclusivement l’islam, mais aussi d’autres religions, notamment l’évangélisme et le catholicisme.

On se demande si un tel propos témoigne de la persistance d’un surmoi anticlérical aussi bête qu’anachronique ou d’une simple lâcheté.

La deuxième option semble la plus crédible. De même, la tentation est forte d’inscrire la question de l’islamisme dans celle, plus vaste, du « séparatisme », en y adjoignant celle du « suprémacisme blanc », ce qui confirme l’américanisation mentale d’une société qui plaque une grille de lecture étrangère sur sa réalité, et en vient même à s’inventer des problèmes imaginaires pour ne pas assumer ceux qu’elle rencontre réellement. 

On en a ainsi trouvé pour expliquer que la lutte contre le séparatisme impliquerait d’abord la dissolution du groupe Génération identitaire comme si les jeunes gens survoltés de cette association, quoi qu’on pense de leur engagement, étaient à ranger dans la même catégorie que les islamistes.

En d’autres mots, si on ne cherche plus à expliquer l’offensive islamiste à la manière d’une réponse malheureuse mais inévitable à l’exclusion sociale des musulmans, on demeure incapable de le penser dans une perspective civilisationnelle.

La philosophie politique peut nous éclairer. La modernité semble incapable de résister à la tentation de la désincarnation, et traduit toujours la diversité du monde dans des termes exagérément généraux. Elle condamne les peuples à s’identifier à des abstractions comme la « démocratie » et la « République », comme s’il fallait confondre le substrat historique d’une nation avec le régime politique qu’elle se donne, et peine à caractériser la figure de l’ennemi, comme on le voit dans la dénonciation du «terrorisme», en oubliant que ce dernier n’est qu’un moyen, monstrueux, certes, au service d’une idéologie qui n’est pas indéterminée.

Les islamistes profitent de cette réduction de la France aux « droits de l’homme », d’autant qu’ils ont su les instrumentaliser pour faire avancer leurs revendications ethnoreligieuses. On le voit quand c’est en leur nom qu’ils justifient la présence du voile intégral dans l’espace public.

À travers cela, on a l’impression qu’ils sont nombreux à ne pas voir les contradictions dans lesquelles ils s’empêtrent. On répète beaucoup, ces derniers jours, que la France ne devait en rien céder dans sa défense de la liberté d’expression. Cette affirmation est paradoxale quand on garde en mémoire la multiplication des procès politiques voire au pénal contre ceux qui ont risqué la mort sociale, et souvent, la mort tout court, pour dénoncer l’islamisme qui frappe aujourd’hui. On ne peut pas être Charlie seulement avec les idées qui nous plaisent ou qui s’expriment dans le langage prescrit à France Inter.

La France n’est pas menacée par le séparatisme islamiste mais par un islamisme conquérant, qui dispose désormais, grâce à l’immigration massive, d’une base sociale, qu’il travaille à radicaliser. Il ne s’agit plus seulement de défendre la « République », la laïcité ou l’universalisme mais un peuple historique qui a le droit de conserver ses mœurs et sa culture. Les tensions entre l’islam et la civilisation européenne s’étalent sur plusieurs siècles, et se sont transposées aujourd’hui au cœur de cette dernière. La France ne pourra pas mener la guerre contre l’islamisme sans rompre avec le gouvernement des juges qui condamne aujourd’hui l’État à l’impuissance et permet au cartel islamo-progressiste de prospérer à l’abri du droit.

Sociologue, Enseignant à l’Université de Montréal, Mathieu Bock-Côté est essayiste. Dans L’empire du politiquement correct, paru en 2019, il passe au crible les critères de la respectabilité politique.

Source: Le Figaro. 24 octobre 2020

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