Karin Albou. Procès des attentats de janvier 2015. Rire et pleurer

Ce procès prend parfois une tournure  tragi-comique  et on ne sait plus s’il en faut rire ou en pleurer.

Certains jours, cela ressemble à une farce, avec des personnages hauts en couleurs, au look improbable, au nom imprononçable, à l’imagination débridée, des personnages qui pourraient être drôles s’il n’y avait tous ces morts, ce professeur d’Histoire sauvagement décapité qui nous rappelle à la réalité de l’horreur des attentats. Est-ce la présence de caméras durant ce procès historique qui donne l’impression que certains « font leurs show » ? Ou bien est-ce le propre d’un procès d’être sans cesse dans la représentation? Les avocats et leurs effets de manche, leur rhétorique, leur esprit parfois un peu tordu pour retourner une évidence, leur bagout, leur sens de la comédie. Et puis les accusés qui doivent bien recomposer une réalité  pour prouver leur innocence ?

A y réfléchir, dès les premiers jours du procès, ça prenait déjà une tournure de farce : Situation sanitaire oblige, « le port du masque est obligatoire, y compris à la barre »,  annonça d’emblée Régis De Jorna, le Président :  « Il ne faut pas prendre le risque que la salle d’audience devienne un cluster. » L’enjeu est de taille : le procès, prévu en Mai, avait déjà été renvoyé à cause du confinement. Comme on ne peut garder indéfiniment des détenus en attente de jugement, le procès ne pouvait être davantage repoussé. La présomption d’innocence implique qu’on pourrait être obligé de libérer des accusés -certains sont déjà détenus depuis cinq ans et demi- Ils pourraient fuir, se soustraire à la justice.

Visuellement c’est assez cocasse : Les avocates, avec leur robes noires et leur petite cravate blanche, le visage masqué, finissent par ressembler à ces femmes niqabées dont on ne voit que les yeux, ces corbeaux comme on les appelle de l’autre côté de la Méditerranée … à tel point qu’on finit par se demander si le Corona virus – qui porte quand même le nom d’une marque de bière- ne serait pas un coup monté, non de la Chine mais de l’Arabie Saoudite … Ils doivent bien se marrer là-bas, protégés à l’ombre de leur palais de marbre, les descendants de Ibn Séoud, à nous voir endosser leur costume national  féminin …

Quelques allusions à cette « iconographie wahabite » imposée par la situation sanitaire fusent dans la salle d’audience : Maître  Jean Chevrais (avocat de la Défense) essaye de retirer son masque plusieurs fois et le Président le lui interdit. Enervé, l’avocat lance : « Demain je viendrai en burqua !« . Maître Coutant-Peyre, agacée que les micros soient trop bas, fait remarquer qu’il n’est pas possible pour un avocat de parler ainsi et ironise lorsqu’elle reçoit un micro plus haut  « Au moins on n’est pas obligé de se prosterner devant la Cour pour parler ! …« 

Et malheureusement, tous les jours, le manque de sérieux des témoins vient confirmer  cette tournure ubuesque que prend parfois le procès : Certains témoins ne se présentent pas, sont en fuite et il faut faire un mandat d’amener pour les traîner devant le tribunal. Et là, à la barre, ils clament leur innocence, affirment sans se démonter qu’ils n’avaient pas reçu de convocation. Quant à ceux et celles qui viennent, ils esquivent les questions : Les femmes ont-elles subi des menaces ou jouent-elles sur notre sentiment de culpabilité ? En parlant avec l’une d’elle après son témoignage, elle se dit harcelée par la justice française qui revient sans cesse vers elle pour cette « histoire d’attentats » : « C’est de l’acharnement« , se lamente-t-elle. On a quand même trouvé sa trace ADN sur l’une  des armes de Coulibaly mais elle ne sent aucune obligation morale à collaborer avec la justice … Un autre témoin, douanier, fricotant avec le trafiquant d’armes Claude Hermant, ne cesse de répéter qu’entre lui et le trafiquant, « la seule thématique était le tabac et les stups ».

Sonia M., entendue comme témoin devant la cour d’assises spéciale de Paris, au procès des attentats de janvier 2015, le 23 octobre 2020.  Elisabeth de Pourquery. France Info

Parfois on a même l’impression qu’ils se moquent du Tribunal, ou qu’ils n’accordent aucune importance à cette Cour de Justice. Samir Ladjali, condamné à cinq ans de réclusion pour trafic d’armes dans le volet lillois et qui a déjà purgé sa peine,  déclare : « J’ai voulu acheter une friterie et je me suis retrouvé avec des armes« . La salle éclate de rire.  Il insiste, jusqu’à aujourd’hui, à vouloir nous faire croire qu’il rendait à Claude Hermant (l’armurier Lillois) les armes que ce dernier lui donnait, « en compensation » pour le faire patienter car « les négociations pour la friterie étaient longues« . Il ajoute : « Claude Hermant m’a remis des armes à mon insu ». On se demande comment le Président et les Assesseurs parviennent à garder leurs sérieux et leur patience devant tant d’inepties.

Le supposé commanditaire des attentats « décline l’invitation » à témoigner depuis sa prison

Du coup on  s’étonne à moitié que Peter Chérif, le supposé commanditaire des attentats, refuse de témoigner « en visioconférence » depuis sa prison, comme s’il déclinait une invitation à une lecture de poèmes ou à une tea party … Maître Metzker, avocat des parties civiles, exige qu’on le force à témoigner même s‘il ne dira rien et Maître Chevrais, avocat de la Défense, ajoute : « Ce n’est pas à lui de décider mais à la Cour de Justice ».  On en est là.

Peter Cherif, crâne glabre, assure qu’il n’a « rien à voir » avec la tuerie de Charlie Hebdo et continue de lire le petit livre qu’il tient entre ses mains.  AFP/Benoît Peyrucq

Les auditions quotidiennes des accusés sont tout aussi cocasses : Ils passent leurs temps à essayer d’expliquer pourquoi ils ont menti pendant leurs innombrables gardes à vue, s’emploient à contredire ou à  commenter leurs PV de gardes à vue, si bien  que, perdus dans les différentes versions et commentaires de versions, on a un peu l’impression d’être face à une page du Talmud,  à un commentaire de la Michna, face à un commentaire de la Guemara …

Le « volet belge »

Et puis en terme de farce, il y a le « volet belge »… qui n’est pourtant pas une blague belge mais qui en prend vraiment la tournure. Bien qu’il nous mette en présence de plusieurs clowns,  il est au cœur du procès car la Belgique est le lieu où commence le trafic d’armes,  celles qui ont servi aux attentats.

Cela commence dès le matin avec l’audition de l’un des accusés, Métin Karassular, un Kurde de Charleroi aux yeux écarquillés qui passe son temps à clamer son innocence d’un air effaré. Perdu devant tous les détails qui l’accablent, il raconte bobard sur bobard, change de version à chaque audition, si bien que l’avocate générale lui demande quelle version est la bonne, que croire pour pouvoir le juger. Il s’excuse en répondant qu’il fumait de l’herbe à l’époque de ses gardes à vue, cinq grammes par jour : « C’était de l’amnésia, de l’herbe, et avec ça on oublie tout. »                      

Metin Karasular, accusé d’avoir fourni des armes à Amedy Coulibaly, au procès des attentats de janvier 2015, le 20 octobre. Olivier Dangla

Adepte des jeux, Karassular tenait le café Des Hellènes où se tenaient des parties de jeux clandestins. Ensuite, pour se ranger, il a acheté un garage un peu déglingué, qui n’avait pas vraiment d’existence légale puisque le seul employé qu’il a réussi à embaucher est un faux comptable véreux  … et qu’en trois mois il n’a produit aucune facture et n’a vendu qu’une seule voiture. Un vrai looser … Mais fort heureusement, Amédy Coulibaly est arrivé pour lui vendre une Mini Cooper qu’il a réussi à fourguer à un Grec. Coulibaly était accompagné de Polat, un autre kurde, accusé lui aussi et encourant la perpétuité. Métin Karassular a fait les présentations entre  « le Grec » et « le noir« , (C’est ainsi qu’il appelle Coulibaly ), pour avoir « son petit billet » en tant qu’intermédiaire.

Quand l’avocate Générale lui demande ce que cachait comme activité illégale ce garage, s’il n’y avait pas un petit trafic d’armes derrière, Métin Karassular répond d’un air plaintif : « Je ne sais même pas me servir d’une arme » … C’est vraiment un looser !… La Police a quand même retrouvé en haut d’une armoire de son domicile un papier avec une liste d’armes écrite de la main de Polat mais il ne comprend  pas ce que ce papier faisait en haut de son armoire … Il s’est aussi « cogné »  avec Coulibaly  qui a craché du sang mais  « ce n’était pas une bagarre« , précise-il. Il répond, pris dans une logique qui n’appartient qu’à lui : « Je l’ai frappé parce qu’il avait raison … » Devant notre incompréhension, il s’explique : « C’est vrai que c’est un terroriste mais le Grec lui devait de l’argent … » 

Le « grec », le Mossad, et caetera

C’est alors que le Grec Tsatsis entre en scène : Un homme au nom imprononçable si bien que tout le monde l’appelle « le Grec« . C’est lui qui  a acheté la voiture à Amédy Coulibaly et Ali Réza Polat. Mais, Ô surprise, il n’est pas vraiment Grec, il est israélien,  travaillerait selon l’accusé Karasular pour le Mossad  et aurait même tué Arafat…  La salle explose de rire. C’est vrai qu’il ne manquait plus que le Mossad pour compléter la farce…

Le plus drôle c’est que ce qu’on prend pour un bobard supplémentaire est en fait en partie vrai. « Le Grec » apparaît: C’est un homme au look improbable, habillé d’une grande parka, une sorte de Colombo des Balkans, un air minable, entre le looser et le magouilleur. Il brandit  ses deux passeports : l’un Grec européen et l’autre israélien. Il porte aussi un deuxième nom, Tsadok (« Le Juste » en hébreu) et voyage beaucoup car « il travaille dans le commerce« , c’est-à-dire qu’il revend des voitures à l’origine douteuse vers la Grèce et l’Europe de l’Est. Il commence son témoignage avec un fort accent grec qui rend incompréhensible tout ce qu’il dit, utilisant une syntaxe qui accole des tournures hébraïsantes du type « il a dit lé moi » ou « des chambres dans le garage« , si bien qu’un avocat comprend qu’il y avait dans le garage de Métin Karassular des chambres à coucher où Amédy Coulibaly aurait fait sa prière …  Bref . Un témoignage incompréhensible, encore un grand moment de comédie qui a arraché de nombreux  rires à la salle d’audience.

Lorsque le plus sérieusement du monde le Président lui demande s’il travaille pour le Mossad, le témoin se désigne d’un air humble: « Moi  ?… » C’est vrai qu’il a l’air d’un lamentable pitre, arnaqueur de seconde zone, et que ça paraît plutôt invraisemblable. On espère quand même que le Mossad embauche des gens un peu plus compétents et passe-partout que ce Grec improbable, qui vit de petites arnaques et gros mensonges. Il ajoute: « Mais ma fille en ce moment, elle travaille pour le Mossad … » Finalement Karassular n’a peut-être n’a pas eu d’hallucination auditive à cause de sa consommation d’amnésia lorsque il a entendu le mot « Mossad »…

Le problème est que Tsatsis le Juste, qui  a arnaqué Coulibaly en ne lui payant pas le prix de la vente de la voiture,  revient sur ses dépositions de garde à vue, comme tous les autres témoins. Il avait dit « avoir entendu des kurdes parler d’armes » dans le garage de Karassular et que quelqu’un avait appelé Karassular car « il avait son argent pour les armes ». Il ne connaît plus Michel Catino, l’acolyte de Karassular, (lui aussi inculpé), bien qu’il ait déclaré dans son PV de garde à vue :  « Si Karassular avait des armes, ça venait de Michel Catino« . Il ne se souvient pas avoir dit ça.

Encore un qui a fumé trop d’amnésia …

L’histoire abracadabrante d’un sac d’armes rouillées dont ne voulait pas Coulibaly et qui a fini entre les mains des Frères Kouachi pour le massacre de Charlie Hebdo

Dans le volet ardennais de ce procès, on nage aussi dans une sombre farce avec  l’histoire abracadabrante d’un sac d’armes rouillées dont ne voulait pas Coulibaly et qui a fini dans la Meuse, puis la fuite de deux toxicos dans la forêt ardennaise. Le sac d’armes rouillées serait passé par Grigny où habite l’accusé Polat, (l’autre kurde de l’histoire), Lille, (où résident le trafiquant d’armes Claude Hermant et un autre accusé, Farès,)  puis à Charleville où il a fini planqué sous une baignoire avec de la cocaïne. La jeune femme, propriétaire de l’appartement où se trouve cette baignoire, découvre les armes et des munitions, s’en plaint à son petit copain qui les a amenées et cachées. Là, le vaudeville se mêle à la farce : Paniquée, elle appelle son ex, toxico et aujourd’hui incarcéré, qui rapplique immédiatement pour l’aider à « se débarrasser »  des armes . Comme elle est aussi un peu toxico, elle s’en met au passage un peu dans le nez pour oublier la violence du frère d’un accusé, ( ABAD), qui l’a violée, et elle fuit avec son ex ( et un peu de poudre) dans la forêt où ils campent  pendant plusieurs semaines.

L’intérêt de cette histoire rocambolesque c’est qu’on apprend par cette jeune femme et son ex-toxico que les armes – on s’en doutait un peu-  n’ont pas fini dans la Meuse …

Qu’elles n’étaient pas du tout rouillées mais « qu’elles brillaient, étaient belles ». Lui en a vendu trois (qui ne devaient pas si mal fonctionner puisqu’il a réussi, lui, à les vendre). Il affirme qu’il n’en restait que trois et que toutes les autres avaient disparu avant son arrivée. Ces armes, qui n’ont pas fini dans la Meuse, ont par contre fini entre les mains des Frères Kouachi pour la fusillade de Charlie Hebdo. Et là, ce n’est plus drôle du tout.

Chaque soir, quand l’audience prend fin, et que la nuit tombe, toute à mes réflexions,  repensant à  ces rires que j’ai entendus et partagés – car moi aussi j’ai ri – je réalise qu’ils me restent un peu en travers de la gorge. J’ai honte.

Le sacré et le blasphème

Je me pose la question de la place du rire dans une Cour de justice. A-t-on le droit de rire dans cette Cour pour une affaire de terrorisme ? Et, avec cette farce qu’ils déploient, les accusés et témoins ne nous renvoient-ils pas la monnaie de notre pièce en désacralisant ainsi la Justice … Peut-on rire de tout, même de la Justice ? Et nécessairement je me repose la question du sacré et du blasphème avec laquelle tout a commencé …

Karin Albou, auteur et réalisatrice, a écrit et réalisé dès 2002, à un moment où personne n’avait pressenti l’ampleur des actes antisémites qui allaient frapper la France,  » La petite Jérusalem« , qui sortira en salles en 2005 et raconte… Sarcelles. Elle a également écrit et réalisé « Le chant des mariées » qui se situe pendant l’Occupation nazie de la Tunisie. 

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