L’assassinat d’un enseignant d’histoire-géographie le 16 octobre pour avoir présenté à ses élèves des dessins de Mahomet survient dans un contexte où des proportions non négligeables de musulmans — et singulièrement les plus jeunes générations — tendent à exprimer des valeurs qui sont en contradiction frontale avec les valeurs libérales de la plupart des autres Français. C’est ce qu’un groupe de chercheurs a pu observer en étudiant, en 2016, les attitudes et valeurs politiques et religieuses de près de 7 000 élèves de seconde, dans 23 lycées publics de 4 académies de métropole.
L’ouvrage issu de cette recherche, La Tentation radicale. Enquête auprès des lycéens, étudie notamment les réactions des lycéens à l’attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo.
Nous avons d’abord interrogé ces lycéens sur leur opinion à propos des auteurs de l’attentat de janvier 2015 :
« Quand tu penses aux auteurs de ces attentats, quelle est ta réaction ? »
Dans leurs réponses, il apparaissait que 17 % des élèves chrétiens et 14 % des élèves sans religion ne condamnaient pas totalement les auteurs de cet attentat, contre 45 % des élèves musulmans.
Nous avons ensuite posé une seconde question, sur le degré d’implication émotionnelle dans la minute de silence organisée en hommage aux victimes:
« A la suite de ces événements, une minute de silence a été organisée dans les écoles. T’es-tu senti(e) concerné(e) ? »
Alors que 17 % des élèves chrétiens ou sans religion déclaraient ne pas s’être sentis concernés par la minute de silence, c’était le cas de 42 % des élèves musulmans.
« La tâche à accomplir pour préserver en France la liberté d’expression, et notamment la liberté de blasphème, est immense. Et seule l’école peut remplir cette mission »
« Ils l’ont bien cherché. Ils ont abusé«
Au cours de la cinquantaine d’entretiens (sans que soit alors demandée l’éventuelle appartenance religieuse) que nous avons menés, l’expression des élèves la plus récurrente à propos des dessinateurs de Charlie Hebdo était qu’ils « l’ont cherché« , « l’ont un peu cherché« , « l’ont bien cherché« , « ont provoqué » ou « ont abusé« .
De fait, ces élèves condamnent moralement la publication des dessins de Mahomet comme une forme d’irrespect, un « manque de respect » envers la religion musulmane, mais aussi envers les croyants, leur identité et leur sensibilité. Dans cette optique, critiquer la religion ou se montrer irrévérencieux à son égard « c’est comme si on s’attaquait à nous. A notre personnalité ». « Juger une religion », nous disait un élève, « c’est comme se moquer du physique de quelqu’un en fait ». Un autre élève déclarait ainsi : « J’aime pas les gens qui se moquent de la religion. Les humoristes. C’est même pas des hommes. C’est rien. »
Dans un pays libre, les dogmes religieux n’engagent que ceux qui y croient
La tâche à accomplir pour préserver en France la liberté d’expression, et notamment la liberté de blasphème, est immense. Et seule l’école peut remplir cette mission. Il faut donc que les professeurs soient ardemment soutenus, par l’institution scolaire mais aussi par le corps social tout entier. Dans un pays libre, les dogmes religieux n’engagent que ceux qui y croient.
Sociologue-démographe, Jean-François Mignot est chercheur associé au GEMASS, Groupe d’Étude des Méthodes de l’Analyse Sociologique de la Sorbonne, et au CNRS.
Lacune de cette « étude » : l’absence de la simple question principale qui aurait pu se formuler ainsi :
« Croyez-vous que la mort des journalistes de Charlie-Hebdo et de Samuel Paty était une juste punition pour avoir blasphémé ? ».
Ce serait autre chose avec probablement d’autres résultats.
Car en l’état, l’étude porte sur des opinions et, comme on nous le répète sans cesse, l’opinion est libre.
On a le devoir d’obéir aux lois de la République même si on n’est pas d’accord (éventuellement par peur du gendarme ; c’est légitime).
MAIS soyons prudents sur les termes et ne tombons pas dans le piège sémantique : on n’a PAS le devoir de les « respecter ». Nuance.
On a le droit de les contester ; auquel cas on se conforme aux lois ET on milite pour leur amendement (voire leur abrogation…). Cela s’appelle la démocratie.
Exemples moins chargé par l’émotion :
-Des redevables de l’ISF considérait toujours cet impôt comme contre-productif voire stupide et militait pour son abrogation. Ils ne le « respectaient » certainement pas. N’empêche qu’ils payaient (par « peur du gendarme » ? Oui. Ouvertement.)
-Des conducteurs de Porsche considèrent les limitations de vitesses légales actuelles comme contre-productives voire stupides et militent pour leur amendement. Ils ne le « respectent » certainement pas. N’empêche qu’ils obéissent (par « peur du gendarme » ? Oui. Ouvertement.)
Que la notion française actuelle de laïcité et ses interprétations pratiques en matière, entre autres, du droit de la presse soit contestée est légitime.
S’attaquer physiquement à ceux qui la soutiennent est criminel.
C’est LA question. Cette « étude » rate l’occasion de la poser.