Antoine Desjardins. Délinquance : « L’idée qu’on puisse se gouverner et se commander à soi-même est une des bases de l’humanisme »

© Nicolas Guyonnet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Dans cette Tribune écrite avant la décapitation de Samuel Paty, Antoine Desjardins revient sur la question de la délinquance et de la responsabilité individuelle.

Le film Les Misérables, réalisé par Ladj Ly, s’achève sur cette citation de Hugo : « Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs. » Oui, MAIS…

L’interprétation usuelle de cette belle sentence semble connaître un angle mort : Chacun est aussi cultivateur de soi.
Nos parents, nos amis, l’école, la société tout entière, nous cultivent (ou devraient s’y efforcer) au sens quasi agricole du terme et nous sommes dépendants de leur zèle, de leur science, de leur bienveillance, de leur amour, parfois, à le faire.

L’HOMME EST UN ANIMAL QUI IMITE L’HOMME


Nous dépendons de la rectitude de nos jardiniers (pour filer la métaphore de Hugo), de nos tuteurs, de nos maîtres d’école (magistri et pas domini) ceux qui présidèrent à nos premiers soins d’éducation et d’instruction, ceux qui nous marquèrent par leurs soins, le respect de ce que nous étions et de ce qu’ils espéraient nous voir devenir : l’éducation n’est pas au service des « enfants » (comme le disent les démagogues), elle est au service des adultes qu’ils doivent devenir et qu’on doit leur faire désirer de devenir.  Ces notions de respects et de soins sont essentielles et le film a raison de le souligner et de convoquer Hugo.

Qui sème l’irrespect ou le mépris (des policiers vicieux) récoltera un jour vraisemblablement l’irrespect et le mépris. Certes. Qui use de violence et de ruse, au lieu de faire prévaloir le dialogue, quand cela est encore possible, récoltera en retour de la violence et de la malhonnêteté. Qui ne donne pas l’exemple de la vertu (justice, générosité, courage, compassion, ces qualités admirables dont parle très bien André Comte-Sponville) sera imité dans ce qu’il est et fait et non dans ce qu’il dit car l’homme est un animal qui imite l’homme. « Il n’est pas d’humanisme sans la postulation d’une autonomie dans l’hétéronomie. »

Pour autant, un temps vient, ou plutôt ce temps est presque toujours enchevêtré dans tous les autres, que c’est nous aussi qui tenons notre charrue dans notre champ et qui devons aspirer à être maîtres de nous-mêmes, à nous cultiver.

CE QU’UNE SOCIOLOGIE REFUSE DE VOIR

C’est là ce qu’une sociologie caduque et une gauche désespérante, anti-humaniste, refusent de voir. C’est là ce qu’elle a ridiculisé, moqué, nié, réfuté avec de mauvaises sciences qui faisaient de l’homme, parce qu’il n’est pas un empire dans un empire, une simple chose parmi les choses.

La sociologie est devenue trop souvent une machine à fabriquer de la veulerie, de la passivité et du désespoir, en faisant croire à la fin de toute responsabilité individuelle. En niant toute capacité d’arrachement. En refusant d’étudier scientifiquement le processus « singulier » par lequel tant d’individus échappent aux déterminations. En ne mettant pas en oeuvre une science du singulier.

Hugo ne me contredirait pas qui mit dans Jean Valjean ce qu’autrefois on appelait une conscience. Quelque chose qui est toujours hors de soi, qui met partout de la distance et du recul, qui fait un spectacle de tout ce qui est, qui n’est jamais ceci ou cela, qui prend ses distances, qui est échappement à soi, arrachement, fuite, refus d’assignation ontologique. Néant, dit un philosophe (Sartre) dont on aura compris que je retiens les analyses. L’homme qui me dit « Tu n’es pas libre« , il me méprise.

LE VRAI MÉPRIS


Celui qui dit au délinquant : « Tu n’es pas coupable, je t’excuse. La société seule est coupable« , non seulement méprise la personne à qui il s’adresse, mais contribue grandement à l’affaissement de la conscience, à celui de la société tout entière. Il impose de la fatalité à des libertés qui auraient pu prendre leur essor, car tout n’est pas fatal. Il fait de la fatalité un système et une prison.

Examen de conscience, exercices spirituels, travail de soi sur soi-même, souci de soi, sont des activités essentielles que l’époque a oubliées ou qu’elle nie. Elle ne fait travailler l’imagination (si nécessaire au travail de la conscience, à l’éthique, à l’empathie) que pauvrement.

Pourtant Grecs et Chrétiens avaient vu l’impérieuse nécessité et l’urgence de ce retour à soi qui est aux antipodes de la contemplation extasiée de soi (le selfie ) et donc du narcissisme.

SOUCI DE SOI

Même un auteur comme Foucault, anti-humaniste théorique, peu enclin à décrire une quelconque liberté, réfléchit sur la fin de sa vie au « souci de soi », travail quasi artistique (epimelia heautou, cura sui) : s’éprouver, s’examiner, se contrôler. Il s’agit de faire de sa vie une œuvre qui porte certaines valeurs esthétiques et réponde à certains critères de style. L’idée qu’on puisse se gouverner et se commander à soi-même est, pour moi, une des bases de l’humanisme. Ou qu’à tout le moins on puisse se connaître et méditer les mobiles de nos actes.

« Prends-en de la graine« , disait-on dans des temps héroïques. Il est des actions que l’on exerce de soi sur soi, actions par lesquelles on se prend en charge, par lesquelles on se modifie, par lesquelles on se purifie et par lesquelles on se transforme et on se transfigure. Toute une série de pratiques (toujours Foucault) qui sont, pour la plupart, autant d’exercices qui auront (dans l’histoire de la culture, de la philosophie, de la morale, de la spiritualité occidentales) une très longue destinée : techniques de méditation, de mémorisation du passé, techniques d’examen de conscience, de vérification des représentations à mesure qu’elles se présentent à l’esprit. Il faut revivifier ces pratiques.

Il n’est pas d’humanisme sans la postulation d’une « autonomie dans l’hétéronomie« , comme disent les philosophes. Renoncer à sa liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme et à sa dignité : Rousseau l’avait dit.

« Prends-en de la graine« , disait-on dans les temps héroïques où chacun prenait part à son destin : change, transforme-toi, deviens meilleur, tu es aussi responsable de qui tu es et pas seulement la proie gémissante, la victime, des autres et des circonstances.
Il est à déplorer qu’on ait tué le lien et le dialogue par lesquels un homme s’adresse à lui-même, qu’on ait liquidé le mystère (Il relève sinon de la religion du moins d’une forme de transcendance) du monde moral dans lequel il baigne, au moins autant, que dans le monde matériel.

© Antoine Desjardins

Source: Marianne. 20 octobre 2020.

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