Depuis le 02 Septembre, a lieu à Paris le procès des attentats de Janvier 2015, ces trois jours qui ont endeuillé la France.
Le 07 Janvier, les frères Kouachi pénètrent à Charlie Hebdo, le journal qui avait publié des caricatures du Prophète Muhammed : Au nom de El Qaïda Yémen (AQPA) ils tirent sur le personnel du journal pour venger le Prophète. 11 morts, 11 blessés. Le 08 Janvier au matin, Amédy Coulibaly tire à Montrouge sur une policière. Un mort et un blessé. Le 09 Janvier, le même Coulibaly prend en otage les clients de l’Hyper Cacher, un supermarché de la Porte de Vincennes qu’il revendique au nom de l’Etat Islamique. Quatre morts.
Les trois attentats sont regroupés dans le procès car il est prouvé que les trois tueurs ont agi en concertation, avant d’être abattus par les forces de police. Les accusés, sont soupçonnés d’avoir apporté un soutien logistique aux terroristes (achat et transport d’armes et de véhicules). La première question cruciale et centrale, est : étaient-ils au courant de la dimension terroriste des actes qu’allaient perpétrer Coulibaly et les frère Kouachi ? En effet, comme les tueurs sont morts, certains disent déjà que l’on va juger les « petites mains » et ce procès doit aussi mesurer le degré d’implication et d’intentionnalité des quatorze accusés. La deuxième question : quel lien de causalité ont établi les terroristes entre les dessinateurs de Charlie Hebdo qui ont publié les caricatures du Prophète, la policière Clarissa Jean-Philippe et les client juifs qui faisaient leurs courses à l’Hyper- cacher ?
Depuis le début du procès, au fur et à mesure que les jours passent, il est difficile de trouver des liens irréfutables entre les accusés et leur inculpation, des preuves quant à leur mobile : Les témoins jurent que les accusés ne sont pas fondamentalistes, qu’ils n’ont pas vu que Coulibaly et les frères Kouachi s’étaient radicalisés, bref ce procès se déroule comme si le radicalisme islamiste existait partout dans le monde … sauf dans cette Cour de justice.
Beaucoup de charges reposent sur des hypothèses, qui semblent à la fois évidentes et réfutables : Certains accusés se sont rendus plusieurs fois à Lille car le trafiquant-armurier d’où provenaient les armes qu’a utilisées Coulibaly était à Lille. Mais aucune preuve tangible ne vient étayer cette hypothèse hormis des bornages téléphoniques. Seule la vacuité des raisons évoquées par les accusés quant au mobile de leurs déplacements soulève un doute et plaide en faveur de leur implication dans une affaire pas très claire : Ils déclarent être allés à Lille pour faire du trafic de voitures et voir des prostitués … L ‘alibi est mince : on peut, comme l’a soulevé un Assesseur, « voir des prostitués à Paris, pourquoi se déplacer jusqu’à Lille ? » Quelques rires fusent dans la salle d’audience et dans le box des accusés, mais aucune réponse, hormis un vague trafic de stups associé aux arnaques de voitures, ne vient étayer cette ligne de défense. Aucune trace des garages où les deux hommes se seraient rendus, aucun alibi irréfutable, mais aucune preuve tangible non plus qu’ils achetaient des armes pour leur ami Coulibaly dont ils n’auraient pas remarqué la radicalisation …
On ressent pourtant qu’ils ne disent pas la vérité : mais à part ces déambulations en voiture à Lille, des arrêts au domicile de l’un et de l’autre la veille des attentats, une profusion d’appels entre tous les accusés, une trace ADN de l’un sur un billet de banque, de l’autre sur la lanière d’un taser, une trace ADN d’un autre sur une arme, une trace ADN la belle sœur d’un accusé sur un Tokareff, rien de tangible. Les témoins se taisent ou racontent des bobards, subissent certainement des pressions, voire des menaces.
Par contre chaque semaine on apprend qu’une série de défaillance des services de renseignements et de police aurait facilité la réussite de ces attentats. Si bien que la Défense qualifie le procès de « rideau de fumée » pour camoufler un scandale d’état » et on finit par croire que ce procès risque fort de tourner en procès de l’Etat français.
Effectivement il reste des zones d’ombre sur les failles sécuritaires de l’état français : Par exemple pourquoi y a t-il eu un relâchement de la surveillance policière des locaux de Charlie Hebdo ? Lorsque la mère de Charb, l’un des dessinateurs assassinés a posé la question au Président, François Hollande lui aurait répondu : « Vous savez, il y aurait eu une voiture de police, ça n’aurait pas changé grand chose, les tueurs étaient tellement déterminés » Et pourquoi l’abandon en Juin 2014 de la surveillance de Chérif Kouachi, l’un des tueurs, simplement parce qu’il a déménagé et quitté la Région Parisienne pour Reims ? Réponse : « Comme il faut faire aussi des surveillances physiques et non techniques, un déménagement peut les suspendre. Car ce n’était pas le même service. »
Tout aussi grave, il y a cette injonction des pouvoirs publics et des policiers (évoqué par deux témoins le 18 Septembre) à ne pas interpréter les raisons de la présence de Coulibaly à Montrouge. Pour ces témoins il est évident que Coulibaly était là car il visait l’école juive dans la rue d’à côté. La présence de policiers municipaux, appelés par hasard pour un accident de la route, l’aurait dissuadé de commettre son acte terroriste. La policière Clarissa Jean Philippe en a payé de sa vie. Coulibaly s’est donc rabattu le lendemain sur l’hyper cacher car il n’avait pas réussi son premier projet : l’école juive de Montrouge.
L’explication semble limpide. Sinon pourquoi s’en prendre à une policière qui se trouvait là par hasard ? Comment Coulibaly aurait-il pu deviner que des policiers allaient être présents ? Les témoins racontent que chaque fois qu’ils émettaient cette hypothèse, cette évidence, on leur disait « qu’il ne fallait pas penser comme ça ». Outre le déni de l’Etat français de considérer chaque fois l’antisémitisme comme un fait réel, il y a dans ce manque de perspicacité une faute grave : La photo de Coulibaly étant dès le matin sur tous les bureaux de police, si elle avait été immédiatement diffusée et identifiée comme celle d’un terroriste ayant pour cible des lieux juifs, on aurait peut-être pu éviter l’attentat à l’hyper cacher le lendemain.
Le pompon est atteint le 01 Octobre avec le témoignage de Claude Hermant, un armurier de Lille, grand gaillard chauve, au verbe haut, habillé d’un treillis, et grand amateur d’armes. Trafiquant d’armes, il travaillait avec la gendarmerie lilloise et leur servait d’indicateur. Il aurait transmis à la SR de Lille une information capitale : la livraison d’armes de guerre provenant d’une société slovaque (AFG) qui vendaient des armes démilitarisées ou neutralisées (des « neutras » comme ils les nomment) mais qui avaient été remilitarisées. Hermant les avait informés que ces armes re-militarisées circulaient dans les quartiers. Ce sont ces mêmes armes qui ont atterri dans les mains de Coulibaly.
Lorsqu’un avocat demande à Hermant : “Comment se fait-il que ces armes aient pu arriver entre les mains de Coulibaly alors que ce dernier avait alerté la SR“, il répond qu’à l’époque les services de police ne travaillaient pas ensemble, se faisaient la guerre, et que cet « énorme loupé » comme il le qualifie « est lié au manque d’effectifs et à un problème de moyens ».
De ces défaillances, la Défense veut faire une « affaire d’état. » arguant que les vrais coupables ne sont pas ceux qui sont aujourd’hui dans le box. Les accusés serviraient de bouc-émissaires car ce procès, qualifié de « rideau de fumée », servirait à la fois à masquer les échecs et les lacunes de l’Etat et à protéger cet informateur des services de police qu’était Claude Hermant.
Tous cachésderrière “un rideau de fumée”
Le problème, dans cette thèse, c’est que ce rideau de fumée est aussi instrumentalisé par la Défense et ne peut masquer que la plupart des accusés et témoins se cachent eux aussi derrière « un rideau de fumée », ne répondent aux questions des avocats et des assesseurs : Silences, omissions, contradictions, témoins muets ou effrayés revenant sur leurs déclarations de gardes à vue, et empêchant de comprendre ce qui a pu se passer ; accusés nous embrouillant lorsque ils racontent des histoires à dormir debout sur un voyage à Lille pour voir des prostitués ou une trace ADN retrouvée sur une arme parce que l’un s’est assis sur un canapé-lit et l’autre a ouvert par mégarde un coffre … On reste sur cette impression d’étrangeté, de brouillard, d’omissions, de récit en pointillé.
Mais soudain le rideau de fumée s’est miraculeusement levé grâce au témoignage de l’ex épouse de l’un des accusés
Mais soudain le lundi 12 Octobre, soit un mois et dix jours après le début du procès, le rideau de fumée s’est miraculeusement levé grâce au témoignage de l’ex épouse de l’un des accusés. Elle-même voilée et se définissant comme salafiste, a employé les mots qui fâchent : radicalisme, takfiriste, et a confirmé à la Cour que son-ex époux accusé était bien radicalisé. Elle déclare : « Je cherchais quelqu’un du même bord que moi. Quelqu’un pour qui la pratique religieuse était importante. Très vite je me suis rendue compte qu’il n’était pas du même bord que moi, on avait le même Dieu mais pas la même pratique. Il y avait des ambiguïtés dans ses paroles … à une semaine du mariage il m’a dit que le roi du Maroc était un mécréant » Elle évoque un repas-rappel où s’étaient invités Coulibaly et sa femme Hayat Boumédienne, et Mehdi Belhoucine et sa femme. « Et là Mehdi fait un rappel où il incitait clairement à la haine et à la rébellion » Elle confirme ensuite que ce qu’elle a entendu est une idéologie Djihadiste.
Du coup comme les mots ont été dits et que quelqu’un a osé parler, le rideau de fumée s’est levé et les victimes auront peut-être l’occasion d’entendre un bout de vérité sur ce qui s’est vraiment passé. Par contre il ne faudrait pas laisser la voie à la seule Défense sur les défaillances de l’Etat quant à la sécurité des citoyens, la reconnaissance de la réalité de l’antisémitisme, la protection de la liberté d’expression et des minorités. C’est des questions qui nous appartiennent à tous. L’effroyable décapitation ce 16 Octobre de Samuel Paty, professeur d’Histoire, qui expliquait à ses élèves, parallèlement au procès, l’histoire de la caricature et de la liberté d’expression, est une nouvelle blessure qui nous exhorte à réagir.
© Karin Albou
Karin Albou, auteur et réalisatrice, a écrit et réalisé dès 2002, à un moment où personne n’avait pressenti l’ampleur des actes antisémites qui allaient frapper la France, ” La petite Jérusalem“, qui sortira en salles en 2005 et raconte… Sarcelles. Elle a également écrit et réalisé “Le chant des mariées” qui se situe pendant l’Occupation nazie de la Tunisie.
Karin Albou travaille avec l’Agence Adéquat.
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