Michel Rosenzweig. Pulsion de vie et de mort à l’épreuve de la sexualité sous Covid-19

Il fut une époque pas si lointaine où les hommes et les femmes prenaient encore des risques pour se rencontrer, donnant ainsi du piment en générant de l’excitation.

Depuis l’avènement de l’hygiénisme et du consumérisme contemporains gouvernés par l’impératif du risque zéro, l’apologie de l’estime de soi, le culte de la performance, l’exigence de résultats et le bonheur sur ordonnance, les rapports érotiques et sentimentaux semblent se réduire de plus en plus à un simple échange commercial dans lequel il n’est plus question que de pertes et profits, d’intérêts, d’objectifs à atteindre, de sécurité affective et économique et de comptabilité.

La marchandisation des corps, des sexes et des coeurs suit ainsi la progression inéluctable d’un mouvement planétaire qui épouse les lignes de forces du marché global amplifiées aujourd’hui par toutes les mesures barrières du Covid-19. Le marché de la rencontre en ligne est le reflet de cette tendance toujours croissante qui consiste à réduire les paramètres de choix à l’image des marchés des grandes surfaces. Les hommes et les femmes y sont exposés comme de simples marchandises à consommer à la carte selon leurs besoins, leurs envies et leurs pulsions. Les critères de sélection sont eux aussi calqués sur le modèle du marché et les algorithmes des applications de rencontres géolocalisées optimalisent les probabilités de croisement entre individus partageant les mêmes goûts dans tous les domaines et aussi bientôt un “passeport santé”. L’effet de vidange libidinal, quant à lui, induit depuis longtemps par l’exploitation du temps de cerveau disponible à l’ère de la distraction de l’Homo festinus, a contribué à diluer le désir des individus devenus des monades isolées entretenues dans l’illusion de liens à distance par l’intermédiaire de toutes les interfaces de communication. (Terminal relationnel)Conséquences de cette évolution: une solitude et une misère sexuelle et relationnelle de masse déjà en constante augmentation depuis au moins quinze ans et aujourd’hui considérablement aggravées par l’isolement, la distanciation physique et le port du masque.

Conséquences attendues : la destruction du désir remplacé par les besoins à la carte s’accompagne naturellement de toute une série de symptômes cliniques facilement repérables dans les cabinets de consultations.

Parmi ceux-ci, outre la consommation massive d’alcool et de psychotropes légaux et illégaux ainsi que l’augmentation des conduites à risques, il faut noter un effet secondaire important et peu visible, la neurasthénie engendrée par la disparition des risques inhérents à la dynamique fondamentale de toute rencontre qui met naturellement en jeu la pulsion de vie et la pulsion de mort, Eros et Thanatos.

Ainsi, évacués du champ des rencontres à des motifs relevant plus d’une liste de courses soumise à des exigences impossibles à atteindre dans un contexte hygiéniste délétère, Eros et Thanatos, pourtant toujours convoqués dans toute mise en rapport sexuel, sont-ils désormais neutralisés et mis hors circuit.

Dès lors, la scène érotique s’en trouve considérablement appauvrie, dépourvue de toute tension, de tout danger et de tout risque, transformée en marché réticulaire global, ce dernier devenant progressivement le tombeau de nos désirs les plus ardents et la prison de nos pulsions les plus sauvages, les plus profondes et les plus primordiales, laissant libre cours aux amours bourgeoises routinières les plus fades.

Ainsi, le retrait d’Eros et de Thanatos entraîne t-il inévitablement celui de Dionysos, donnant naissance à un monde masqué stérile désenchanté et profondément ennuyeux dans lequel errent désormais les hommes et les femmes, atomisés, à la recherche de quelque chose d’essentiel qui leur a été confisqué.

©Michel Rosenzweig

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