Demain je pars en voyage, j’irai s’il le faut dans les montagnes les plus resserrées, les plus abruptes, les plus sauvages, les plus mystérieuses, mais j’irai, j’irai à la recherche de la Fontaine de Jouvence.
Voilà: mes auxiliaires de vie habituelles sont indisponibles: Cécile a un problème de colonne vertébrale, Aminata est en vacances, Rachel aussi…. alors, depuis plusieurs semaines on m’envoie des dames, disons: un peu moins délicates, et plutôt brusques, pas trop souriantes, pas trop malignes: à leur façon de me traiter je me sens grand vieillard, quasiment pensionnaire d’Ehpad en ma propre maison….
Donc, j’ai décidé de rajeunir.
À vrai dire, je n’ai jamais fait vraiment l’âge de mes artères: jeune trop juvénile, vieux apparemment trop âgé aux yeux de certains.
Je me souviens de ce jour où, une fin d’année scolaire, je me présentai un matin tôt, bien avant huit heures, à la porte d’un grand lycée et où la gardienne, alors que je sonnais, me tomba dessus en m’engueulant vertement: « les candidats, vous attendez, non mais, on vous ouvrira plus tard, qui est-ce qui m’a fichu un abruti comme ça etc…. » – Elle eut un mal de chien à comprendre que j’étais … le Président du Jury……
En revanche, il y a dix ans, c’était un joli mois de juin, ensoleillé, aux couleurs tendres, je venais de prendre livraison d’une jolie voiture, alors je l’essayai … Je fis un tour dans Paris, Montparnasse, les bords de Seine, la Montagne Sainte Geneviève, deux ou trois créneaux, m’offris un café et un croissant sans quitter des yeux ma nouvelle conquête automobile, puis je songeai à rentrer chez moi et me ravisant, je sorts de Paris, je filai, filai, me voici franchissant la Loire, j’allai jusqu’à Bourges, je montai voir la cathédrale, je revins, vadrouillai comme un jeune homme, vis un panneau: Sancerre: je montai, me garai, avisai une terrasse, me sentant presque vingt ans, m’installai, toujours un oeil sur ma nouvelle conquête, et content de moi et de ma beauté à roues, me commandai, tout guilleret, un petit sancerre chaud, vous savez ce délicieux petit fromage de chèvre, avec un verre de Sancerre car il commençait à faire soif et faim.
Mon enthousiasme fut soudain rabattu par la serveuse qui, voyant mon verre bien vidé et mon assiette essuyée avec gourmandise, m’asséna un: « Alors, papy, il était bon le miam-miam« . Véridique.
Ah, que ceci est injuste pour moi qui ai toujours si peu attaché d’importance et de sens à l’âge…
Les hommes pour moi ont l’âge de leur intelligence, un enfant aussi qui par son intelligence peut être à la fois très jeune et très mûr, les femmes ont l’âge du charme que je leur perçois et de leur intelligence si celle-ci m’enchante.
Car enfin, quand on est amoureux, l’autre a toujours je n’ose dire quinze ans, crainte que mon propos ne fût mal interprété, mais dix-neuf ans, vingt-deux ans, vingt-six ans, trente-deux, quarante-six, enfin un de ces jolis âges de la vie, un de ces âges où l’on aime tant, le coeur battant, attendre une femme un minuscule bouquet de violette à la main, l’air bête comme un lycéen, puis, plus tard s’en aller au cinoche voir un film sa main dans la main, sa tête sur l’épaule.
D’ailleurs, les jolis âges, ça ne s’arrête pas à cette liste: ce n’est pas seulement vingt-six ou vingt-deux ans. C’est aussi soixante, soixante-dix et bien au-delà. Car la douceur d’une peau, car une intelligence qui charme, car un regard qui vous emporte l’âme tant qu’on ne peut de sa vie l’oublier, une voix qui vous trouble, un geste, un mouvement, une façon d’être qui enchantent, qui émeuvent, cela n’a pas d’âge, cela est de l’ordre du Philtre de la Fée, c’est magique.
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