L’amitié improbable entre un rescapé de la Shoah et le fils d’un soldat nazi

Simon Gronowski et Koenraad Tinel reçoivent le titre de docteur honoris causa: les voilà mis à l’honneur par L’ULB, Université Libre de Bruxelles et la VUB, université de langue néerlandaise, établie à Bruxelles en Belgique.

L’émouvante histoire d’amitié entre un rescapé de la Shoah francophone et d’un « fils de nazi » flamand paraît improbable: elle lie à présent des hommes que, à la base, tout opposait: l’un est juif et a miraculeusement échappé à la Shoah, l’autre se dit « gosse de nazi », pétri de culpabilité.

Simon Gronowski (d), survivant de la Shoah, pianiste et avocat à la retraite, et Koenraad Tinel (g), sculpteur, dessinateur qui se dit "gosse de nazi", lors d'une interview avec l'AFP, le 24 février 2020 à Vollezele, en Belgique
Simon Gronowski (d), survivant de la Shoah, pianiste et avocat à la retraite, et Koenraad Tinel (g), sculpteur, dessinateur qui se dit « gosse de nazi », lors d’une interview avec l’AFP, le 24 février 2020 à Vollezele, en Belgique – Kenzo TRIBOUILLARD
Simon Gronowski (d), survivant de la Shoah, pianiste et avocat à la retraite, et Koenraad Tinel (g), sculpteur, dessinateur qui se dit "gosse de nazi", lors d'une interview avec l'AFP, le 24 février 2020 à Vollezele, en Belgique
Simon Gronowski (d), survivant de la Shoah, pianiste et avocat à la retraite, et Koenraad Tinel (g), sculpteur, dessinateur qui se dit « gosse de nazi », lors d’une interview avec l’AFP, le 24 février 2020 à Vollezele, en Belgique – Kenzo TRIBOUILLARD
Simon Gronowski (g), survivant de la Shoah, pianiste et avocat à la retraite, et Koenraad Tinel (d), sculpteur, dessinateur qui se dit "gosse de nazi", lors d'une interview avec l'AFP, le 24 février 2020 à Vollezele, en Belgique
Simon Gronowski (g), survivant de la Shoah, pianiste et avocat à la retraite, et Koenraad Tinel (d), sculpteur, dessinateur qui se dit « gosse de nazi », lors d’une interview avec l’AFP, le 24 février 2020 à Vollezele, en Belgique – Kenzo TRIBOUILLARD

Désormais, deux Belges éprouvés par la tragédie de la Seconde guerre mondiale témoignent désormais côte à côte de leur histoire et de l’amitié profonde qui les unit.

Simon Gronowski (pull bleu sur les photos) et Koenraad Tinel (chemise touge), respectivement 88 et 85 ans, ont reçu le titre de Docteur honoris causa des Universités libres de Bruxelles, la néerlandophone VUB et la francophone ULB.

« Leur amitié exceptionnelle est un puissant symbole d’espoir, de bonheur et de paix« 

Diamétralement opposés au départ, les destins des deux hommes, l’un Bruxellois francophone, l’autre né dans une famille flamande de Gand, se sont croisés en 2012, lorsqu’un militant de l’Union des progressistes juifs de Belgique a eu l’idée de les mettre en contact, expliquent-ils.

Le jeune homme connaissait leurs deux histoires, dont chacun avait déjà livré un récit poignant.

Simon Gronowski, avocat à la retraite, a raconté dans un livre (« L’Enfant du 20e convoi« , 2002) le geste incroyable de sa mère, qui l’a sauvé de la déportation en 1943 en le poussant d’un train en route vers Auschwitz. L’enfant juif, arrêté par la Gestapo à Bruxelles, a alors 11 ans.

Koenraad Tinel, sculpteur et dessinateur, a lui préféré le recueil de dessins (« Scheisseimer« , « Seau à merde » en allemand, 2009) pour se décharger du fardeau de la collaboration, dont il a si longtemps porté l’énorme poids. Une oeuvre qu’il a ensuite lui-même transposée sur une scène de théâtre.

Le drame du premier est d’avoir perdu sa soeur et sa mère, jamais revenues des camps nazis. Tandis que le second a dû supporter pendant des décennies l’absence du moindre remords de la part de son père et de ses deux frères ayant combattu pour le IIIe Reich.

« Mon père avait deux idoles, le Christ et Hitler! Essayez de comprendre ça…« , lâche Koenraad, les yeux rougis en témoignant au côté de Simon, chez lui à Gammerages (Galmaarden) dans la campagne du Brabant 

Les deux amis dans le jardin Koenraad à Vollezele (Gammerages), ce 24 février
Les deux amis dans le jardin Koenraad à Vollezele (Gammerages), ce 24 février – KENZO TRIBOUILLARD – AFP

L’étreinte et le pardon

Conséquence des sympathies paternelles: les deux grands frères Tinel sont envoyés, l’aîné sur le front de l’est, le second comme volontaire au côté des Waffen SS flamands. Et en 1944, à la Libération, poursuit le Flamand, la famille doit fuir vers l’Allemagne: s’ensuivent près de deux années à « se cacher, camper en forêt, avoir faim« . Avant un retour en Belgique synonyme de prison et de dégringolade sociale.

Entre Simon le volubile, habitué à témoigner dans les écoles, y compris à l’étranger (la RTBF lui avait d’ailleurs consacré un sujet en 2016) et Koenraad l’émotif, davantage dans la retenue, la connexion a été immédiate lors du premier contact il y a huit ans.

« Quand je lui ai dit que les enfants des coupables ne sont pas coupables, il y a eu un déclic (…) Une grande amitié est née entre nous« , dit Simon, qui décrit désormais Koenraad comme son « frère« . Ce propos sur la culpabilité, « c’était un très beau message pour moi, ça m’a fait un énorme plaisir« , souligne le Flamand.

En 2013, l’avocat-auteur et le dessinateur ont cosigné un ouvrage intitulé « Ni victime, ni coupable, enfin libérés« . L’histoire de Simon a aussi inspiré un opéra au compositeur britannique Howard Moody. 

Simon Gronowski en présence royale, lors de la représentation de l'opéra "Push", à la Monnaie, en mars 2019.
Simon Gronowski en présence royale, lors de la représentation de l’opéra « Push », à la Monnaie, en mars 2019. – DIRK WAEM – BELGA

Chose encore plus inattendue: le lien noué entre Simon et Koenraad a fini par ébranler les certitudes d’un frère de ce dernier, l’ex « collabo » des SS.

A 88 ans, malade et proche de la mort, ce frère a imploré le pardon de l’ancien enfant juif, dont il avait lui-même été un des geôliers à la caserne Dossin à Malines d’où est parti le train vers Auschwitz.

Simon Gronowski décrit la rencontre: « il me disait « j’ai besoin de votre pardon pour mourir en paix ». Alors je l’ai pris dans mes bras, et je lui ai pardonné. Ce pardon lui a fait beaucoup de bien mais à moi encore plus« .

« Leur amitié exceptionnelle est un puissant symbole d’espoir, de bonheur et de paix » explique-t-on à la VUB, qui recevra donc bientôt les deux docteurs honoris causa.  

« J’ai toujours de la peine et ça ne partira plus jamais » 

« C’est une amitié un peu improbable, parce que c’est l’amitié du fils d’un nazi et du fils d’une famille juive qui a été massacrée par les nazis. Nous étions chacun d’un côté de la barrière, dans une guerre que nous ne comprenions pas, parce que nous étions des enfants« , explique Simon, dont la mère et la soeur sont mortes à cause de la déportation. Le frère de Koenraad était l’un des soldats qui les a poussées dans le train pour Auschwitz. « C’est très important de témoigner de tout ça ensemble. De pouvoir dire au gens ‘j’ai toujours de la peine et ça ne partira plus jamais’ » explique-t-il, ému. Leur amitié incarne un symbole d’espoir. 

Source: VivreICI.be

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1 Comment

  1. C’est grandiose, car non les enfants ne sont jamais coupables des fautes de leur parents et famille en général.
    Papa, non juif mais déporté politique à Mauthausen car Républicain Catalan, a adoré sa belle-sœur allemande élevée dans les années 30 par une mère anti-nazi. Ma tante donc, allemande, a émigré en France avec mon oncle maternel… juif, qui faisait partie des troupes d’occupation à Sarrebrück après la guerre. Eh oui, un juif et une Allemande catho… plus un beau-frère déporté marié avec ma mère, juive forcément, ayant porté l’étoile.
    Singulier mélange familial… qui a donné un quatuor qui s’adorait. Ils étaient inséparables.
    Cependant, car il y a un mais, jamais, ô grand jamais Papa n’aurait pu pardonner à un nazi, qui plus est à un soldat l’ayant fait souffrir.
    Peut-être est-ce parce que Papa a été déporté, alors que Simon, bien qu’ayant perdu sa famille, n’a pas connu les camps. Ça me questionne j’avoue.

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