Jean-Marc Gonin. Ça, c’était Paris! Avec Albert Kahn

Boulogne-Billancourt. Entrée du musée départemental Albert-Kahn

Ça, c’était Paris! Promenade dans la capitale de 1910 à 1937, avec les collections d’Albert Kahn.

La Cité de l’architecture et du patrimoine expose, à partir du 16 septembre, une centaine de photos et de films des collections du Musée Albert-Kahn. Un regard fascinant et artistique sur un quart de siècle dans la capitale.

«Paris 1910-1937. Promenades dans les collections Albert-Kahn»
Le carrefour des rues d’Alexandrie, de Sainte-Foy et de Saint-Spire (2
e arr.), en juillet 1914.
Le carrefour des rues d’Alexandrie, de Sainte-Foy et de Saint-Spire (2
e arr.), en juillet 1914. Département des Hauts-de-Seine– Musée départemental Albert-Kahn– Collection des Archives de la Planète

Banquier et philanthrope, Albert Kahn – né en 1860 à Marmoutier (Alsace) et mort en 1940 à Boulogne-sur-Seine – consacra une partie de son immense fortune à documenter les peuples, les civilisations et les paysages. De 1909 à 1931, il envoya à ses frais une douzaine d’opérateurs photographiques et cinématographiques parcourir le monde pour constituer un fonds considérable (72.000 autochromes, 4000 plaques stéréoscopiques et une centaine d’heures de films), qu’il avait baptisé Archives de la planète. Dans sa propriété de Boulogne, près de Paris, où il fit planter une diversité de jardins exceptionnels, il invitait régulièrement intellectuels, hommes politiques, scientifiques à des projections destinées à améliorer leur connaissance du monde.

Ceux qui ont visité le Musée Albert-Kahn, installé sur les lieux mêmes où vécut le mécène, n’ont pu qu’admirer son écrin de nature ainsi que la profusion d’images de lointaines contrées conservées dans les collections. Mais peu savaient que les Archives de la planète contenaient un trésor d’images de Paris saisies entre 1910 et 1937. Constitué de 5000 autochromes et de 90.000 mètres de films, il s’agit d’un des fonds les plus riches et les plus importants jamais accumulés sur la capitale. Intitulée «Paris 1910-1937. Promenades dans les collections Albert-Kahn», l’exposition qui ouvre ses portes le 16 septembre à la Cité de l’architecture et du patrimoine, au palais de Chaillot, va faire date.

Des silhouettes aux allures de fantômes

Le travail des opérateurs employés par Albert Kahn sous la direction scientifique du géographe Jean Brunhes offre un témoignage à la fois historique, humain et patrimonial de premier ordre. Sans oublier que les techniques employées, notamment les autochromes inventés par les frères Lumière – des plaques photographiques recouvertes de fécule colorée -, restituent un Paris aux couleurs à la fois douces et authentiques. Certes, ce type de prises de vue exigeait de longs temps de pose et n’enregistrait pas le mouvement. Cette «lacune» devient pourtant élément poétique de l’exposition: sur quelques-unes de la centaine de photos exposées, on devine des silhouettes. «Des fantômes traversent l’image», s’amuse Jean-Marc Hofman, un des trois commissaires de l’exposition.

  • Stéphane Passet, Paris 7e, le palais du Trocadéro vu de la tour Eiffel, date inconnue, autochrone 9x12cm.
  • Frédéric Gadmer, Paris 6e, rue Notre-Dame des Champs, 23 juillet 1914, autochrome 9x12cm.

1/15 – Stéphane Passet, Paris 7e, le palais du Trocadéro vu de la tour Eiffel, date inconnue, autochrone 9x12cm. Département des Hauts-de-Seine–Musée départemental Albert-Kahn–Collection des Archives de la Planète

Le parcours permet de déambuler dans ce Paris d’il y a un siècle où l’automobile va rapidement supplanter l’hippomobile et la charrette à bras, où les taxis rendus célèbres par la bataille de la Marne remplacent les fiacres ; où les murs, y compris ceux des vespasiennes, sont couverts d’affiches publicitaires aux couleurs vives, et où pauvreté rime avec insalubrité dans des dizaines d’îlots de la capitale.

Albert Kahn et Jean Brunhes poursuivaient un double objectif, observe Magali Mélandri, conservatrice au musée Albert-Kahn et commissaire de l’exposition. Ils cherchaient à la fois à documenter le vieux Paris avant sa disparition et à mettre en exergue la vétusté et l’insalubrité afin que les autorités y portent remède. Mettant l’accent sur ces aspects, ils ont fait l’impasse sur l’architecture et l’urbanisme haussmanniens. Certes, des films montrent l’agitation des grands boulevards, mais dans le seul but de saisir l’activité des hommes, la densité des transports et l’irruption de la modernité.

Contraintes techniques

Les collections Albert-Kahn ont également répertorié les monuments emblématiques de Paris: le Louvre, le Palais-Bourbon, l’Opéra, la tour Eiffel, etc. Des images au cadrage parfait souligné par des rues vides. «Les opérateurs photographiques travaillaient très tôt le matin ou bien les jours fériés pour qu’il y ait le moins de monde possible», souligne David-Sean Thomas, attaché de conservation au musée Albert-Kahn et commissaire de l’exposition. S’ils se pliaient ainsi aux contraintes techniques de l’autochrome, ce n’était pas le cas des opérateurs cinématographiques qui, eux, ont fixé sur la pellicule une capitale débordante de vitalité.

Au fil du parcours scénographié par l’atelier Maciej Fiszer, où alternent films et photos mais aussi des cartes fixes ou interactives, on franchit des étapes thématiques. L’une d’elles est dédiée à la Seine. La spectaculaire crue de 1924 côtoie le froid mordant de l’hiver 1915 qui vit le fleuve entièrement pris par la glace. Les images rappellent aussi que ses berges fourmillaient d’activité: Paris était le plus important port français. Soucieux de santé publique, Albert Kahn se pencha aussi sur les quartiers frappés par la tuberculose – Paris comptait jusqu’à 35 îlots contaminés par le bacille de Koch répertoriés sur une des cartes exposées. Ce grand philanthrope fasciné par les sciences et la technologie croyait au progrès social et souhaitait améliorer les conditions de vie de ses contemporains.

Ruiné par la crise de 1929, qui causa la faillite de sa banque, Albert Kahn, mort sans descendance, nous a légué un héritage inestimable. Ces vingt-cinq ans de Paris en images en sont un des joyaux.

«Paris 1910-1937. Promenades dans les collections Albert-Kahn». Cité de l’architecture et du patrimoine, palais de Chaillot, du 16 septembre 2020 au 11 janvier 2021

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