Pour l’observateur de la vie politique française Maxime Tandonnet, l’idée de l’ancien maire de Nancy Laurent Hénard de supprimer cinq jours fériés pour les transformer en jours de congé procède de l’idéologie: effacer le passé, les traditions, la culture pour engendrer un «homme neuf» coupé de ses racines.
Fin observateur de la vie politique française et contributeur régulier du FigaroVox, Maxime Tandonnet a notamment publié André Tardieu. L’incompris (Perrin, 2019).
Le monde politique français est en quête d’idées nouvelles pour sortir la France de l’impasse politique, sociale, économique, où elle ne cesse de s’abîmer. L’une des dernières en date est celle de M. Laurent Hénard, ancien maire de Nancy. Au titre de «proposition forte et innovante pour relancer l’économie», ce dernier suggère de supprimer cinq jours fériés sur dix: le 8 mai, le lundi de Pâques, l’Ascension, le 15 août et la Toussaint. Resteraient le 1er janvier, le 1er mai, le 11 novembre et le 25 décembre. Cette proposition a deux mérites: celui d’exister bien sûr, mais aussi, celui de refléter à la perfection l’état d’esprit de la politique française telle qu’elle se présente aujourd’hui.
À l’image de ce qu’est la réalité politico-médiatique actuelle, cette proposition ne peut que déclencher une polémique, voire un ouragan de protestation. Elle a deux précédents: Valéry Giscard d’Estaing, au début de son septennat, avait voulu supprimer le jour férié du 8 mai avant de devoir se raviser sous la pression des anciens combattants. M. Raffarin, sous le quinquennat de Jacques Chirac, avait tenté de normaliser le lundi de Pentecôte, avec des résultats ambigus puisque ce jour est désormais férié à la carte. Toucher aux jours fériés est toujours une source de crispation. Il est vrai que dans ce pays, depuis trop longtemps, déclencher des crises d’hystérie inutiles est une spécialité qui permet de couvrir l’inaction, les renoncements, l’impuissance et les échecs. De fait, établir un bilan sincère des 35 heures et des fameuses RTT, serait une mesure courageuse et de bon sens. Mais il est évidemment plus facile de provoquer un psychodrame en fustigeant quelques jours fériés, ancrés dans la tradition, que de s’interroger sur l’impact des sacro-saintes 35 heures et des RTT, symboles depuis vingt ans du socialisme à la française.
M. Hénard propose de remplacer les jours fériés par des «congés supplémentaires», donc à la carte. Quel est le sens profond de l’existence des jours fériés? Ils cristallisent une tradition, consacrent un symbole d’unité, un temps de recueillement collectif. Supprimer des jours fériés est un choix bien dans l’air du temps, qui relève de la table rase, de la même nature que celui consistant à déboulonner les statues ou changer le titre des classiques littéraires. Même si cette dimension est inconsciente, elle procède de l’idéologie: effacer le passé, les traditions, la culture pour engendrer un «homme neuf» coupé de ses racines et donc indéfiniment malléable.
Avec quatre jours fériés à connotation religieuse qui seraient supprimés d’un trait de plume (Pâques, l’Ascension, le 15 août et la Toussaint), c’est évidemment l’histoire chrétienne de la France qui est visée, en vertu de la société devenue multiculturelle ou multi-cultuelle. Le risque de cette approche est le fractionnement de la nation en communautés qui se donneront chacune des jours fériés différents les uns des autres et par conséquent, séparés. La France actuelle, rongée par les déchirures, les haines, les séparatismes et les extrémismes, a-t-elle vraiment besoin d’un emblématique levier supplémentaire de fragmentation?
La chasse aux jours fériés est emblématique de la fracture entre la classe dirigeante ou influente et la majorité silencieuse. Les élites politiques, économiques, médiatiques, vivent dans la hantise d’une France «qui ne travaille pas assez» et d’un peuple rétif au travail. Il faut voir, dans ce mépris, une manière de s’exonérer de leurs propres fautes dans le gouvernement du pays qui ont abouti à des déficits et des dettes publiques gigantesques, une vertigineuse désindustrialisation, le chômage et la pauvreté de masse. Ce préjugé – d’un peuple qui ne travaille pas assez – s’est toujours cristallisé sur le nombre de jours fériés, au cœur des complexes français. Mais dix jours fériés est-ce vraiment un particularisme français? Absolument pas si l’on en juge par le nombre de jours fériés dans les autres grandes nations industrielles: neuf au minimum en Allemagne, mais davantage dès lors que chaque Länder peut en ajouter (quatorze dans la ville d’Augsbourg), huit au Royaume-Uni, dix aux États-Unis et quinze au Japon. Supprimer des jours fériés est décidément une fausse bonne idée.
Source: Figaro Vox 4 septembre 2020.
Maxime Tandonnet est haut fonctionnaire, historien et essayiste. Son dernier ouvrage, André Tardieu l’Incompris, est paru chez Perrin en 2019.
Par définition la marche de l’Histoire est continue et chaque décennie apporte son lot de joies, de peines et donc de jours mémorables « nationaux » dont certains voudraient faire de jours fériés pour la postérité.
Toujours par définition donc le nombre de jours que certains voudraient fériés augmente chaque décennie. Si ce n’est chaque année…
A terme, les décennies s’accumulant, on ne travaillerait plus. TOUS les jours seraient fériés…
L’unique solution étant de purger le machin périodiquement : deux ou trois fois par siècle annuler des jours fériés dont la raison d’être parait caduque.
Comme, par exemple, ne retenir qu’un seul jour férié pour l’armistice du 11 novembre et la « victoire » (la capitulation allemande, en vérité) du 8 mai.
Usons de notre droit d’inventaire.
La mémoire est certes importante mais faute d’oubli, plus de mémoire.