Ce ne sont pas les violences qui font scandale, mais le
fait qu’on les nomme sans prendre les précautions langagières
attendues.
L’étrange querelle des dernières semaines autour du terme
«ensauvagement» nous confirme encore une fois, s’il le fallait, à quel
point le système médiatique travaille non pas à décrire la réalité de la
société française mais à l’occulter. Les scènes les plus violentes se
multiplient, les agressions s’additionnent et pourtant, les sociologues
patentés le répètent en boucle: tout ne va pas si mal et ceux qui disent
le contraire versent dans la «surenchère sécuritaire».
Mieux encore: tout va bien. Le vivre-ensemble est harmonieux, les
agents des services publics peuvent travailler sans risque, les rodéos
se font rares, un jeune homme qui se porte à la défense de jeunes
femmes est un provocateur qui mérite d’être agressé et les mœurs
sont de plus en plus douces, comme on a pu le voir avec les «jeunes»
en «liesse» sur les Champs-Élysées lors des dernières compétitions
sportives. Bref, la vie est belle en France plurielle! C’est le triomphe
de la diversité Potemkine.
Ce ne sont pas les violences qui font scandale, mais le fait qu’on les
nomme sans prendre les précautions langagières attendues. Le déni
de l’ensauvagement fait écho à ce qu’on appelait autrefois le
«sentiment d’insécurité». Les Français étaient accusés de céder à une
propagande excitant chez eux la méfiance à l’endroit de «l’autre». Ils
se laisseraient contaminer par un discours anxiogène. C’était même
leur responsabilité civique de changer le nom des suspects lors des
violences, jugées «ordinaires», pour éviter d’alimenter le populisme.
Mais puisque les grands médias n’exercent plus un monopole sur la
description des réalités, et que les réseaux sociaux permettent à la
réalité de déborder dans l’espace public, même si elle y arrive de
manière chaotique, il faudra alors traiter ces violences comme autant
de faits divers insignifiants.
Ce déni d’insécurité n’est pas exclusif à la
France.
Qui les traitera comme des faits politiques, symptomatiques de la
désagrégation d’une société victime des bandes et progressivement
déstabilisée par une immigration incontrôlée sera accusé de tenir des
propos haineux. Ce déni d’insécurité n’est pas exclusif à la France. On
l’a vu depuis juin, aux États-Unis, les manifestations les plus brutales
comme les raids des antifas sont toujours traités comme des
événements isolés, certains reporters racontant sans gêne, devant des
scènes de pillage à répétition qu’ils sont devant des «peaceful
protests». À quel moment la mauvaise foi devient-elle du mensonge à
l’état pur? À quel moment devient-on consciemment un
propagandiste?
L’ensauvagement serait même un concept «d’extrême droite». Ce
terme d’épouvante désigne moins un courant politique identifiable
qu’un spectre terrifiant, quasiment diabolique, qui hanterait nos
sociétés pour exciter leurs basses passions et les jeter vers l’abîme.
Avec le temps, on finit par le comprendre: est d’extrême droite ce qui
déplaît extrêmement à la gauche. Ce concept ne décrit pas un
mouvement, même pas une nébuleuse, mais un fantasme mobilisé
par le régime diversitaire pour exclure de la conversation publique
ceux qui ne se reconnaissent pas dans la vision qu’il propose de la
société et de ses problèmes. Il fonctionne à l’amalgame et n’est
finalement rien d’autre qu’une technique d’intimidation idéologique
pour transformer l’adversaire légitime en ennemi public.
Avec le temps, on finit par le comprendre : est
d’extrême droite ce qui déplaît extrêmement à la
gauche.
C’est Aurélien Taché qui a remporté le match de la déclaration la plus
lunaire. Après avoir appris qu’une jeune musulmane bosniaque avait
été tondue par sa famille qui ne tolérait pas qu’elle fréquente un
chrétien serbe, il trouvera le moyen de dénoncer une classe politique
rajoutant une pièce dans le «juke-box de la haine antimusulman». On
aurait cru entendre ceux qui, au lendemain de l’attentat contre
Charlie Hebdo, mirent la France en garde contre «l’islamophobie».
Lorsque la France est agressée, elle s’accuse. Quand elle résiste, elle
est accusée de «multiplier les formules chocs sur la délinquance» et de
se soumettre au populisme, même au racisme. On connaît la chanson,
elle joue depuis trente ans au moins.
Qui ose des constats de bon sens risque le bannissement civique. Le
système médiatique fonctionne à la déréalisation du monde et
condamne la société à évoluer dans un univers dédoublé, soumis à
l’orthodoxie diversitaire. Le réel ne passera pas! Récapitulons:
l’ensauvagement est une illusion alimentée par un discours
ultrasécuritaire, l’immigration massive est un fantasme
conspirationniste et la dévastation anthropologique d’un monde
refusant de distinguer un homme d’une femme est une lubie de
catholique intégriste. De même, qui se désole de la régression de la
liberté d’expression confesse son désir de se vautrer dans les discours
haineux et qui s’oppose à la racialisation des rapports sociaux
cherche à dissimuler derrière la rhétorique universaliste son
privilège blanc. Il ne faudrait pas beaucoup d’imagination pour
parler d’une nouvelle trahison des clercs.
Source: Le Figaro. 29 août 2020
Mathieu Bock-Côté est un sociologue formé à l’UQAM, universitaire, essayiste et chroniqueur québécois.
Poster un Commentaire