InfoEquitable. Beyrouth: la piste du nitrate d’ammonium mène au Hezbollah

Ces dernières années, le Hezbollah a été impliqué dans plusieurs attentats utilisant des explosifs à base de nitrate d’ammonium. Des caches où étaient stockés ces produits ont été découvertes dans plusieurs pays d’Europe. La presse française demeure très discrète sur ces affaires.

Près de deux semaines après l’explosion qui a ravagé Beyrouth, une question demeurait sans réponse : pour quelles raisons 2750 tonnes de nitrate d’ammonium étaient-elles stockées, « à l’abandon », dans un hangar du port ? Qui au Liban avait intérêt à conserver ces matières premières hautement explosives et pour en faire quoi ?

« Au Liban de telles questions restent souvent sans réponses », concède Le Monde dans cet article écrit dès le lendemain de la catastrophe.

Quelques jours plus tard, le 10 août, les autorités libanaises annoncent qu’elles refusent toute enquête internationale.

Citant un responsable d’un think tank arabe, Le Monde se borne à relever: « Une enquête libanaise n’abordera pas la question que tous les Libanais se posent: quel est le rôle du Hezbollah dans le port? Y a-t-il des armes? »

Le nom du Hezbollah a bien été prononcé au détour d’une phrase… Mais l’article en est resté à ces interrogations et n’a pas mené plus loin les investigations. 

Le Monde n’est pas le seul à avoir adopté cette ligne éditoriale. Depuis deux semaines, cette prudence à ne pas vouloir mettre en cause de manière trop directe la responsabilité de la milice chiite pro-iranienne dans la catastrophe du port de Beyrouth caractérise le ton dominant adopté par les médias français.

Des dépêches de l’AFP déséquilibrées… en faveur du Hezbollah

L’Agence France-Presse, elle-non plus, n’a pas poussé très loin l’enquête. Depuis une quinzaine de jours, l’AFP a indiqué de manière laconique dans ses dépêches que les 2750 tonnes de nitrate d’ammonium étaient stockées « sans mesure de précaution ».

Sur les caractéristiques du produit, l’AFP se borne à préciser que « le nitrate d’ammonium est principalement employé comme engrais azoté pour un usage agricole mais peut aussi entrer dans la composition de certains explosifs à usage civil ».

La seule dépêche de l’AFP (ici reprise par Nice Matin) consacrée au rôle du Hezbollah dans cette affaire met en avant les dénégations des ses dirigeants qui déclinent toute responsabilité dans l’explosion.

Le bureau de l’AFP de Beyrouth a en revanche totalement passé sous silence les déclarations de Baha’ Hariri, le frère de l’ancien Premier ministre Saad Hariri, publiées par le quotidien libanais francophone L’Orient-Le-Jourpointant du doigt la responsabilité de la milice chiite pro-iranienne.

« Tout le monde sait que le Hezbollah contrôle le port et l’aéroport », a précisé Baha’ Hariri.

Le nitrate d’ammonium, un explosif très utilisé par le Hezbollah 

Si ce qu’affirme Baha’ Hariri – et beaucoup d’autres Libanais – est vrai, à quoi le Hezbollah destinait-il les milliers de tonnes de nitrate d’ammonium conservées dans le hangar n°12 du port de Beyrouth ?

Réponse : à fabriquer des bombes et à commettre des attentats.

Cette affirmation n’est pas gratuite. Depuis une dizaine d’années au moins, la milice chiite aux ordres de l’Iran a été impliquée dans plusieurs tentatives d’attentats à travers le monde commis avec des explosifs à base de nitrate d’ammonium.

Le Hezbollah a en effet constitué aux quatre coins de la planète des réseaux de caches clandestines où étaient stockées de grandes quantité de nitrate d’ammonium. C’est le démantèlement de ces planques par les polices de plusieurs pays et l’arrestation d’individus liés à la milice chiite libanaise qui a entraîné son inscription sur la liste des organisations terroristes.

Plusieurs stocks d’explosifs découvert en Allemagne 

En avril dernier, les autorités allemandes ont ainsi déclaré le Hezbollah comme « organisation terroriste » et interdit toute activité de la milice chiite sur le sol allemand. 

Cette interdiction faisait suite à une série de perquisitions de la police allemande dans des mosquées, des centres culturels islamiques, des appartements privés… situés à BerlinBrêmeMünsterDortmund

Des centaines de kilos de nitrate d’ammonium ont été découverts lors de ces perquisitions, rappelle le journal allemand Bild qui, le 5 août dernier, a établit un lien avec l’explosion de Beyrouth.

« Le Hezbollah stockait également des explosifs [du même type que ceux] de Beyrouth dans le sud de l’Allemagne », annonce le Bild à sa une.

« Le groupe terroriste Hezbollah utilise du nitrate d’ammonium dans le monde entier pour ses projets d’attentat », précise le premier quotidien allemand dans cet article.

Pour avoir cette information, il faut lire l’allemand. L’AFP et la presse française n’en ont pas parlé. 

Le cas de l’Allemagne n’est pas isolé.

Du nitrate d’ammonium stocké en Grande-Bretagne

En juin dernier, le quotidien britannique The Telegraph a révélé que la police anglaise avait démantelé en 2015 – quatre ans plus tôt ! – un réseau de planques du Hezbollah dans le nord Londres dans lesquelles étaient stockées plusieurs tonnes de nitrate d’ammonium.

Défilé du Hezbollah au Liban en 2010

Citant des responsables du MI5, les services de renseignements et antiterroristes britanniques, The Telegraph a indiqué que ce nitrate d’ammonium était destiné à commettre des attentats à la bombe en Angleterre et dans d’autres pays européens. 

Ces révélations ont fait grand bruit Outre-Manche, car durant quatre ans l’affaire a été cachée à l’opinion publique et aux parlementaires. Les autorités britanniques ont justifié cette confidentialité par le souci de préserver les épineuses négociations sur le nucléaire iranien. Il n’en reste pas moins qu’à la suite de la découverte de ces explosifs, le gouvernement anglais a inscrit à son tour le Hezbollah sur la liste des organisations terroristes.  

Chypre, plaque tournante du trafic

En juin 2015, Bassam Hussein Abdallah, un libano-canadien de 26 ans a été condamné à Chypre à six ans de prison après que la police chypriote a découvert dans le sous-sol de sa maison de Larnaca 8,2 tonnes de nitrate d’ammonium. 

Lors de l’enquête, le jeune homme a reconnu ses liens avec la branche militaire du Hezbollah. L’explosif devait être utilisé dans le cadre d’attentats contre des touristes israéliens qui chaque année viennent nombreux dans l’île.

Selon les enquêteurs, la cache de Chypre était également utilisée comme plaque tournante pour faire transiter les explosifs à destination de l’Europe.  

Attentat meurtrier à Bourgas (Bulgarie) en 2012

En juillet 2012, un attentat suicide à l’explosif a tué six personnes, cinq touristes israéliens et le chauffeur de leur car, dans la station balnéaire de Bourgas, en Bulgarie.

Selon les enquêteurs, la bombe à base de nitrate d’ammonium dont était porteur le kamikaze avait été acheminée via Chypre en Bulgarie.

Les éléments recueillis lors de l’enquête ont contribué à la décision de l’Union européenne du 22 juillet 2013 d’inscrire la branche armée du Hezbollah sur sa liste des organisations terroristes.

Le réseau du Hezbollah s’étend aussi en Asie

En avril 2014, la police thaïlandaise a arrêté deux suspects libanais quelques jours après leur arrivée à Bangkok.

Lors de leur interrogatoire, Youssef Ayad et Daoud Farhat (ce dernier est également titulaire de la nationalité française) ont reconnu être venus en Thaïlande pour commettre des attentats à la bombe contre des touristes israéliens séjournant dans le pays à l’occasion des fêtes de la Pâque juive. Selon le Bangkok Post, des matière explosives ont été saisies dans l’appartement où résidaient Daoud Farhat.

Le Hezbollah n’en était pas à son coup d’essai en Thaïlande. Deux ans plus tôt, en janvier 2012, la police thaïlandaise avait découvert une première cache d’explosifs, dont trois tonnes de nitrate d’ammonium, dans un appartement de la ville portuaire de Mahachai, non loin de Bangkok.

Accusé d’appartenir au Hezbollah, le locataire de l’appartement, Hussein Atris, un homme d’affaire suédois d’origine libanaise, a été condamné en 2013 à quatre ans de prison.

Des arrestations aux Etats-Unis en 2017

Les Etats-Unis ne sont pas épargnés par la menace terroriste du Hezbollah. En juin 2017, le département américain de la justice a rendu publique l’arrestation  de deux membres de l’organisation terroriste suspectés de préparer des attentats sur le sol américain ainsi qu’au Panama pour le compte de la milice libanaise.

Cette liste des attentats et tentatives d’attentats attribués au Hezbollah n’est pas exhaustive. D’autres opérations terroristes ont été déjouées ces dernières années en Afrique, en Amérique latine…

Certains pays européens en ont tiré toutes les conséquences. Après l’explosion de Beyrouth, la Lituanie vient d’interdire l’entrée sur son territoire de toute personne affiliée au Hezbollah et considère désormais la milice chiite comme une « organisation terroriste ».

Mais une partie des pays de l’Union européenne – dont la France – se limitent à une désignation restrictive que certains qualifient de « fiction juridique » : seule la « branche militaire » du Hezbollah est considérée comme terroriste. Sa « branche politique » demeure aux yeux de l’UE et de la France un interlocuteur légitime. 

Ceci explique peut-être la réticence française à mettre en cause le Hezbollah dans l’explosion qui a ravagé le port de Beyrouth.

Source: InfoEquitable. 18 août 2020.

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