S’il est encore prématuré de porter un jugement définitif sur l’accord de normalisation entre Israël et les Émirats arabes annoncé la semaine dernière, on peut déjà tirer quelques conclusions provisoires.
Le premier constat qui s’impose est celui de la victoire de la vision stratégique que Binyamin Nétanyahou a progressivement réussi à imposer, concernant les rapports entre Israël et le monde arabe. De l’avis de la plupart des commentateurs israéliens, il s’agit d’un coup de maître diplomatique sans précédent.
Comme l’écrit Ehud Ya’ari, cet accord marque le triomphe de la doctrine Nétanyahou, qui prône notamment la marginalisation progressive de l’Autorité palestinienne et l’effacement de la notion de “Deux États pour deux peuples”, sur lequel a largement reposé la diplomatie israélienne depuis les accords d’Oslo.
Cette vision stratégique est inséparable de la politique menée par Nétanyahou depuis deux décennies face à la menace iranienne – qu’il a été un des premiers à prendre au sérieux, avec une constance remarquable, prêchant parfois dans le désert et contre l’avis de certains chefs des renseignements militaires et du Mossad (1) – et dont elle constitue le versant diplomatique.
La normalisation des liens avec les pays arabes sunnites illustre ainsi la seconde facette de la doctrine Nétanyahou face à l’Iran et à ses alliés – Hezbollah, Hamas et autres – qui s’est manifestée ces dernières années par l’étroite collaboration militaire et sécuritaire – le plus souvent loin des projecteurs – entre Israël et les pays du Golfe.
L’alliance israélo-arabe face à l’Iran
Contrairement aux affirmations de ses nombreux détracteurs, non seulement Nétanyahou ne s’est pas trompé sur la menace iranienne (qu’il aurait selon eux exagérée, voire carrément “inventée”), mais il a aussi évalué justement l’opportunité que celle-ci représentait du point de vue diplomatique et stratégique, pour instaurer une alliance israélo-arabe face à l’Iran et à ses proxies, alliance dont nous voyons actuellement les premiers fruits.
A cet égard, la vision stratégique de Binyamin Nétanyahou peut être comparée – par sa profondeur et par sa portée, à celle de David Ben Gourion. Ce dernier avait préconisé, dans les années 1950, l’établissement de liens avec les pays du “deuxième cercle” non arabe – Iran, Turquie et Ethiopie – afin de desserrer l’étau des pays arabes limitrophes d’Israël.
La doctrine Nétanyahou a consisté à exploiter le vieux différend arabo-perse (2) et à ériger l’État juif en rempart des pays de l’axe sunnite modéré. Mais ce qui a pu sembler au premier abord n’être qu’une convergence d’intérêts de circonstance, provisoire et fragile, s’avère être aujourd’hui une véritable alliance, profonde et durable, qui est sur le point de se matérialiser par l’établissement de relations diplomatiques pleines et entières et par un rapprochement à long terme entre Israël et plusieurs pays arabes dans le Golfe, (et peut-être aussi en Afrique du Nord).
La justesse de la vision stratégique de B. Nétanyahou est d’autant plus éclatante aujourd’hui, qu’il a pendant longtemps tergiversé, en semblant adopter le narratif mensonger des “Deux États pour deux peuples”, notamment lors de son fameux discours de Bar-Ilan en 2013. Or, non seulement Nétanyahou n’a pas poursuivi sur la voie de la création d’un État palestinien, empruntée par tous ses prédécesseurs depuis l’époque des accords d’Oslo, mais il a en fait été celui qui a enfoncé le dernier clou dans le cercueil de la notion illusoire et néfaste d’un nouvel État arabe à l’Ouest du Jourdain.
Ce faisant, Nétanyahou a fait voler en éclats le mythe de la centralité de la “question palestinienne” – entretenu pendant plusieurs décennies par la Ligue arabe, mais aussi par l’Organisation de la conférence islamique, l’Union européenne ou l’ONU, mythe à la création duquel ont par ailleurs largement contribué des intellectuels juifs et israéliens, depuis l’époque du Brith Shalom et jusqu’à nos jours. (3)
En acceptant de conclure un accord avec Israël sans le faire dépendre d’un quelconque “règlement” de la question palestinienne (règlement tout aussi illusoire que la notion d’un “Etat palestinien” arabe à l’ouest du Jourdain), les Emirats arabes ont montré qu’ils avaient compris que cette dernière n’était nullement une priorité arabe, mais constituait en réalité un obstacle et une entrave à la réalisation des intérêts arabes.
A l’encontre de la politique du pire adoptée par les dirigeants de l’OLP et de l’AP depuis 1964, qui n’ont “jamais raté une occasion de rater une occasion”, les dirigeants sunnites du Golfe ont, de leur côté, montré qu’ils étaient disposés à saisir toutes les occasions de faire progresser la normalisation et le rapprochement avec l’État juif, dans l’intérêt commun bien compris de leurs pays et d’Israël.
La question, qui demeure actuellement ouverte, de la souveraineté israélienne en Judée-Samarie et sur le Mont du Temple, constitue l’autre facette de la doctrine Nétanyahou. Sur ce sujet crucial, il a montré une fois de plus son pragmatisme absolu et son rejet de toute position idéologique.
L’avenir dira si l’attentisme (trop?) prudent manifesté par Nétanyahou sur cette question permettra bientôt à Israël d’instaurer une souveraineté juive pleine et entière à l’Ouest du Jourdain, en profitant de l’occasion historique offerte par le président Donald Trump, ou bien s’il signifiera une nouvelle occasion manquée pour réaliser la promesse millénaire du retour du peuple Juif dans le coeur de son patrimoine.
(1) Le triumvirat des chefs de la sécurité israélienne entre 2008 et 2011 – Ashkénazi, le chef du Mossad, Meir Dagan et le directeur du Shin Beth [sécurité intérieure] Avi Dichter – s’étaient concertés, sous la direction apparente de Shimon Pérès, pour contrecarrer les plans du Premier ministre de l’époque Benjamin Nétanyahou contre l’Iran. Voir http://carolineglick.com/shimon-peres-legacy/
(2) Lequel ne recouvre pas exactement la division chiites-sunnites, contrairement à ce qu’on affirme souvent, comme le montre le fait que le Hamas est soutenu par l’Iran.
(3) Je renvoie sur ce point à mon livre La trahison des clercs d’Israël, La maison d’édition 2016.
Pierre Lurçat, né à Princeton, a grandi à Paris avant de faire son alyah en 1993. Il a travaillé comme avocat et traducteur. Il a notamment traduit en français l’autobiographie de Vladimir Jabotinsky.
Pierre Lurçat, passionné par le sionisme et son histoire, vit depuis plus de 20 ans à Jérusalem et a collaboré avec des publications francophones, parmi lesquels le Jerusalem Post et Israel Magazine.
23 août 2020. OPS & BLOG. TOI.
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