
De toutes parts, les hommages ont fusé, officiellement unanimes, encensant la défenseur des Femmes. Gisèle Halimi, née Zeiza Taïeb, était saluée. La grande avocate, la femme politique et la figure féministe. Les tunisiens allèrent jusqu’à dire leur désir de rapatrier celle qui était du limon de sa Tunisie natale, pays qui se trouve être aussi ma terre de naissance. Mais encore, intention louable s’il en est, de faire traduire toute l’oeuvre de la « tunisienne ».
Elle s’appelait, rappelle Fawzia Zouari, Zeiza Gisèle Taïeb et grandie au sein d’une société traditionnelle et machiste qui plaçait la femme au rang de seconde, elle sut s’émanciper de ce qui aurait pu être un destin tracé et fustiger les injustices vécues.
La voilà devenue, à la force du poignet, la militante des libertés. Celle des femmes opprimées, violées, ou tout simplement empêchées de décider de leur sort.
D’aucuns attribuent à cette enfance tunisienne les positions prises dans des dossiers liés au monde arabo-musulman tels que l’affaire du foulard de Creil, mais encore la défense constante et assumée des Palestiniens contre les dérives de l’Etat d’Israël. Bien heureusement, toutes les femmes nées en Tunisie ne furent pas, comme « elle » l’aurait été, et comme elle le raconta dans Fritna, marquée par cette enfance tunisienne au point d’épouser certaines causes et d’en haïr … d’autres …
Les tunisiens la hissent au sommet du palmarès qui honore la mémoire de Aroua la Kairouanaise qui, au VIIIe siècle, imposa le premier contrat monogame en terre d’Islam, d’une Bchira Ben Mrad, première militante féministe et présidente de l’Union musulmane des femmes de Tunisie, d’une Fatima al-Fihriya, fondatrice de l’une des premières universités au monde, d’une Aziza Othmana qui, au XVIIe siècle, dans le Tunis des deys, affranchit les esclaves et les prisonniers de guerre.
Dans Libé, c’est ainsi que Fawzia Zouari, Ecrivaine et journaliste tunisienne vivant en France, se repentant quelque peu de l’erreur tunisienne qui eut bien du mal à rendre à Albert Memmi l’hommage dû, tente de « réparer » en célébrant Gisèle, la tunisienne, alors que Le ministère tunisien des Affaires culturelles rendait hommage à une « grande figure tuniso-française de la cause féminine, des droits humains et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » et que le journal algérien El Watan, évoquant une vraie moudjahida, une vraie Algérienne, accole son nom à celui de Djamila Boupacha.
Nous n’allons pas rappeler, car il l’a déjà été à foison, le parcours de celle qui, après avoir milité pour l’indépendance de la Tunisie, mais encore de l’Algérie, devint la figure du féminisme, fondant en 1971, avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, le mouvement Choisir la cause des femmes – devenue une ONG – pour le droit à l’avortement, signant dans Le Nouvel Observateur, la même année, le Manifeste des 343, pour réclamer l’avortement libre, le procès emblématique de Bobigny, en 1972, celui d’Aix en 1978, militant pour que le viol fût considéré comme un crime, ce qui fut voté en 1980, et puis encore sa démission de SOS Racisme pour défendre la liberté des femmes contre l’oppression religieuse en général et le Voile islamique en particulier.
La voilà, morte, revendiquée de tous, du Printemps républicain à Rokhaya Diallo, journalistes, Associations, Collectifs, Monde des lettres, en passant par les féministes de toutes obédiences et le PR Emmanuel Macron : ils se disputeraient son héritage, et on parle même d’un hommage national qui lui serait rendu en septembre.
Il est vrai qu’à se souvenir des récentes saillies de la controversée et agitée LGBT Alice Coffin, Gisèle Halimi a la noblesse des Grands.
Les choix regrettables de Gisèle Halimi
La même qui dénonça avec force la loi de 1920, une loi « d’un autre âge », « la pierre de touche de l’oppression qui frappe les femmes », une loi qui ne pouvait survivre, car contraire, fondamentalement, à la liberté de la femme, cet être depuis toujours opprimé, la même , donc, fit des choix à mon sens regrettables, fâcheux, sinon … rédhibitoires. Ainsi, Rompant cette unité, je rappellerai sa défense univoque en 2014 du Peuple palestinien[1], pour lequel elle plaida sans la moindre nuance, épousant sa cause, étrillant un Etat assassin : « Un peuple aux mains nues – le peuple palestinien – est en train de se faire massacrer. Une armée le tient en otage. Pourquoi ? Quelle cause défend ce peuple et que lui oppose-t-on ? J’affirme que cette cause est juste et sera reconnue comme telle dans l’histoire. Aujourd’hui règne un silence complice, en France, pays des droits de l’homme et dans tout un Occident américanisé. Je ne veux pas me taire. Je ne veux pas me résigner. Malgré le désert estival, je veux crier fort pour ces voix qui se sont tues et celles que l’on ne veut pas entendre. L’histoire jugera mais n’effacera pas le saccage. Saccage des vies, saccage d’un peuple, saccage des innocents. Le monde n’a-t-il pas espéré que la Shoah marquerait la fin définitive de la barbarie ?«
Comment oublier ce jour de 2012 où, sur le plateau de « Ripostes », elle agressa – le mot n’est pas usurpé- un Enrico Macias qui se plaignait que lui fût interdit tout séjour sur sa terre natale, l’Algérie, en raison de sa judéité et surtout de ses prises de position en faveur d’Israël.
Irai-je jusqu’à rejoindre ceux qui la nommèrent la collabo, l’avocate de la cause du terrorisme arabe ?
Qui lui reprochent de s’être engagée aux côtés du Front de Libération Nationale (FLN) algérien et défendu, en 1958, une trentaine de militants algériens auprès du Tribunal militaire d’Alger puis, en 1960, Djamila Boupacha, accusée d’avoir posé une bombe, torturée et violée dans les geôles françaises.
Qui lui reprochent … sa haine du judaïsme et d’Israël.
Qui la fustigent pour avoir dénoncé sans nuance aucune un Etat hébreu oppresseur, colonial, à coups de raccourcis et d’amalgames que nous aurions espéré réfléchis chez une femme de cette envergure.
Lui reprocherai-je d’avoir, en 2004, été membre du collectif d’avocats de Marwan Barghouti, haut cadre du Fatah, chef terroriste palestinien toujours emprisonné en Israël pour avoir commandité des dizaines d’attentats sanglants contre des civils. Comment pourrais-je écrire que l’avocat, ici, exerça sa tâche : était-elle obligée de déclarer au Nouvel Observateur que l’Etat juif, coupable de « crimes de guerre » à répétition, n’était « pas démocratique ». D’écrire que Marwan Barghouti appartenait à ces combattants de la liberté qui avaient rendu l’espérance à leur peuple, comme Jean Moulin pendant l’Occupation. D’ajouter que Tous ceux qui étaient impliqués dans ce difficile conflit savaient qu’il était le seul interlocuteur valable pour une solution politique car le seul susceptible d’unir les Palestiniens. D’épouser la cause du terroriste qu’elle avait évidemment le droit, voire le devoir, de défendre. Marwan Barghouti !!!
Pour toutes ces raisons, pour tous ces non-dits, nous considérons discutables les récits qui ne font qu’encenser Gisèle Halimi, celle qui créa avec Stéphane Hessel et Leila. Shahid Le tribunal international contre Israël, et qui aura ainsi défendu une cause juste, celle des femmes, et une cause beaucoup plus discutable, celle du terrorisme arabe.
[1] Gisèle Halimi « Je ne veux pas me taire ». L’Humanité. Lundi 28 Juillet 2014