« L’affaire Gabrielle Russier, l’amour hors la loi » (2/6). 2 journalistes retracent le destin de cette enseignante dont l’histoire d’amour avec l’un de ses élèves fit scandale. En 1968, à Marseille, le début d’une liaison passionnée, dont les deux amants n’imaginent pas les conséquences.
Elle rit, elle est heureuse. L’a-t-elle déjà été autant qu’en ce printemps glorieux ? La vague de contestation partie de Paris, début mai 1968, a déferlé sur Marseille. Sur le parvis du lycée Nord, un groupe se relaie autour du piquet de grève et distribue des tracts enflammés, pleins de majuscules et de points d’exclamation. Les filles goûtent au plaisir de s’asseoir en rond sur l’asphalte tiédi par le soleil. A l’intérieur, un vieux professeur de philosophie erre, désemparé, dans les couloirs. Le proviseur gaulliste ne fait plus peur, d’ailleurs où est-il ? On ne le voit plus. Au fond de la classe, les chaises et les tables sont dressées en pyramide victorieuse, du haut de laquelle un garçon chevelu harangue ses camarades et leur explique que la révolution est en marche. Les élèves réclament le droit d’être entendus, ils veulent des délégués de classe, ils parlent, ils n’arrêtent pas de parler, se coupent la parole, s’interpellent, grisés par ce bonheur tout neuf. Leur professeure de français, Gabrielle Nogues, les écoute, les encourage, elle les comprend, elle les aime, comme elle les aime !
Les mots d’ordre fusent, dans les usines on arrête les machines, les marins bloquent le port, les mineurs de Gardanne cessent le travail, les employés municipaux se mettent en grève, les étudiants investissent l’ancien kiosque à musique de la Canebière et le transforment en « centre culturel » où ils tiennent leurs meetings. Les comités d’action lycéens (CAL) appellent à l’occupation des établissements, la police et le Parti communiste français s’inquiètent ensemble de la turbulence de ces « groupuscules gauchistes » qui échappent à leur contrôle et foncent sur leurs Solex propager l’agitation dans les lycées du centre-ville.
En Mai 68, Gabrielle prend sa place en tête du cortège, joint sa voix à celle des lycéens. La main de Christian Rossi, son élève de seconde, serre fort la sienne
Tous à la manif ! Gabrielle Nogues a troqué sa robe contre un tee-shirt et un jean dont elle a retroussé les jambes. Elle va des uns aux autres, se met à les tutoyer, distribue les sandwichs et les gâteaux, donne un coup de main à la confection des banderoles : « Lycée Nord en grève », « La chienlit c’est lui, l’avenir c’est nous ! ». Sa nouvelle Dyane rouge est garée sur le parking : « Je ne sais pas si j’ai bien fait de la choisir de cette couleur… Peut-être un peu trop voyant, non ? », dit-elle enplaisantant. Les cartables s’entassent dans le coffre, on les récupérera plus tard. Le cortège s’élance, sept kilomètres à parcourir à pied jusqu’à la gare Saint-Charles pour rejoindre la manifestation en haut de la Canebière. Sur le chemin, Gabrielle s’échappe un moment avec les filles qui ont mal aux pieds dans leurs souliers à petits talons et veulent s’acheter des espadrilles. Elle reprend sa place en tête du cortège, joint sa voix à celle des lycéens qui chantent à tue-tête et s’époumonent à crier des slogans. La main de Christian Rossi, son élève de seconde, serre fort la sienne.
Il a fêté ses 16 ans en janvier, laisse pousser ses cheveux, une fine moustache borde sa lèvre supérieure, son menton s’est couvert d’une barbiche noire et drue. Pendant qu’à la fac d’Aix-en-Provence, son père universitaire, communiste « éclairé », regarde d’un bon œil la révolte estudiantine, Christian lève le poing dans la rue avec ses camarades de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR), participe à l’occupation du grand lycée Thiers rebaptisé « lycée de la Commune de Paris », trépigne d’impatience à l’idée d’affronter les « fafs » depuis que Didier, son copain royaliste, l’a fait discrètement prévenir d’une descente imminente de militants d’extrême droite. De plus en plus souvent, il retrouve Gabrielle dans les amphithéâtres enfumés de la fac de lettres ou de sciences où se tiennent des happenings interminables. Ils se cachent à peine pour s’embrasser.
Un noyau de fidèles
Autour d’eux, un noyau de fidèles – Françoise, Claudette, Geneviève, Martine, Didier, Luc – fait rempart de son silence. L’histoire qui se noue entre leur professeure de 32 ans et leur camarade de classe est un peu la leur. Elle aurait pu les diviser, elle les soude au contraire dans un mélange de pudeur et de complicité. A travers Christian, ils se sentent tous un peu choisis. Eux aussi osent désormais appeler Gabrielle par son prénom. Elle est de leur côté, elle les fait grandir et mûrir, ils peuvent tout lui dire, son enthousiasme les épate et puis, elle paraît si jeune ! D’ailleurs, l’autre jour, pendant la tournée de collecte auprès des commerçants pour soutenir les grévistes, la pharmacienne l’a prise pour une élève.
Serrés à six dans la Dyane que Gabrielle a décorée d’autocollants de marguerites, ils font la navette entre Marseille et Aix pour rejoindre son appartement ensoleillé. Ils restent là pendant des heures, à parler politique et poésie en piochant dans sa collection de vinyles. Xenakis, Moustaki, Gainsbourg, Léo Ferré, un enregistrement des poèmes d’Eluard. Quand ils rentrent de l’école, ses jumeaux de 8 ans, Joël et Valérie, passent une tête dans le salon. Ils ne s’attardent pas, leur mère les envoie faire leurs devoirs dans leur chambre. La première fois que les lycéens les ont vus, ça les a étonnés qu’un petit bout de femme comme elle soit déjà mère de si grands enfants.
Le 30 mai, elle est au milieu d’eux, dans le hall du lycée. Elle a apporté sa radio pour qu’ils puissent écouter en direct le discours de De Gaulle. « J’ai pris mes résolutions, dit la voix impérieuse. Je ne me retirerai pas. Je ne changerai pas le premier ministre. Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale. » Le proviseur, Jean Briot, met fin au happening : « La chienlit, c’est fini. Rentrez en classe, maintenant ! » « La révolution nous a posé un lapin », commente tristement Gabrielle.
« Cessez de voir mon fils, laissez-le tranquille ! »
Quelques jours plus tard, alors qu’elle descend les marches de la faculté d’Aix où elle a assisté à une assemblée générale en compagnie de Christian, elle est apostrophée rudement par Mario Rossi. « Cessez de voir mon fils, laissez-le tranquille ! », lui lance-t-il. L’avertissement la glace. Si elle n’a pas été son étudiante, elle a été celle de son épouse, Marguerite, et tous les deux sont venus la féliciter quand elle a obtenu la mention très bien à son mémoire. Elle connaît son engagement politique à gauche, l’intérêt qu’il porte au vent de mai. Que font-ils d’autre, Christian et elle, sinon éprouver en vrai ce que les slogans affichés sur les murs des universités proclament ? « Prends la vie ! », « Libérez les passions », « Jouissez sans entraves », « Il est interdit d’interdire. » Le soir, elle refuse pourtant d’ouvrir sa porte à Christian venu avec Françoise, la plus timide du noyau de fidèles. L’adolescent fougueux s’impatiente et frappe si fort qu’il arrache un bout du panneau de bois, au dos duquel est affiché un portrait de Che Guevara. « Tu vas tuer le Che ! », s’écrie-t-elle, mi-furieuse, mi-attendrie. « Le Che est immortel ! », répond Christian en riant. Elle le laisse entrer, Françoise patiente, seule, devant la porte.
De retour au lycée, en juin 1968, Gabrielle Nogues mesure que la rumeur de sa liaison avec son élève est parvenue aux oreilles des enseignants, qui la regardent drôlement. « Une femme mariée, mère de deux enfants, ne peut pas faire ça », murmurent quelques-unes dans la salle des profs. Parmi leurs collègues masculins ravis de voir l’ordre se rétablir au lycée, fusent des blagues graveleuses. Mais l’été arrive, il fait si beau, dans les bacs des disquaires on s’arrache le single des Moody Blues, Nights in White Satin et celui de David McWilliams, Days of Pearly Spencer. On ne va tout de même pas se laisser impressionner par les grincheux.
Sur la plage de Sainte-Croix, Gabrielle a apporté sa caméra super-8, Geneviève son appareil photo. La bande a décidé de se retrouver avant la grande dispersion des vacances. Françoise s’est défilée, trop pudique pour exposer son corps au soleil. Martine, Edith et Catherine, en bikini jaune et vert, distribuent les tomates crues et les œufs durs, Luc est allongé sur le sable avec un livre, Didier, le royaliste, et Christian, le trotskiste, font les pitres avec leur blouse grise du lycée enfilée à même la peau. Gabrielle les saisit au ralenti quand ils avancent vers elle de leur démarche chaloupée, Christian lui dédie un sourire canaille. Il se jette en courant dans la mer, joue à mettre la tête des filles sous l’eau, revient vers Gabrielle, s’allume une Gauloise, elle le filme, elle ne se lasse pas de le filmer, avec ses cheveux collés sur le front, son corps mince luisant d’eau. Elle est déjà bronzée dans son maillot turquoise, un modèle plus couvrant que celui de ses élèves.
Voyage en Italie
A la mi-juillet, Christian annonce à ses parents qu’il part en stop en voyage en Italie. Un copain sert d’alibi. Mario et Marguerite Rossi les regardent s’éloigner sac au dos pour rejoindre la sortie sud de Marseille. La Dyane rouge de Gabrielle les attend à Nice, les amoureux rient comme des mômes du tour qu’ils ont joué. A eux la liberté, Florence, Rome et la Sicile ! Les kilomètres défilent lentement. A l’arrière de la Dyane, l’alibi s’ennuie, il veut rentrer. Après l’avoir déposé à la gare de Rome-Termini, les deux amoureux prolongent leur séjour dans la capitale italienne mais renoncent à s’aventurer plus loin. Trop risqué. Mieux vaut rentrer. Sur la « tortue de la liberté » comme elle appelle désormais sa Dyane rouge, Gabrielle a apposé un autocollant « Fatte l’amore, non la guerra. »
Quelques semaines plus tard, la « tortue » reprend du service. Direction l’Allemagne cette fois où, en compagnie de Didier, Gabrielle respecte sa promesse d’aller chercher Christian à la fin de son séjour chez son correspondant à Linz am Rhein. Sa barbe a encore poussé. « Mon métèque », lui dit-elle tendrement. Ils rentrent par petites étapes jusqu’à Marseille, Christian passe les derniers jours d’août chez elle, à Aix, encore des moments de liberté dérobés à l’attention des parents Rossi. A Fanchon, son amie de lycée parisienne, elle écrit : « J’aurais tant de choses à te dire qui ne peuvent s’écrire. Une complicité qui se crée et qui peut aller très loin. Je ressemble de plus en plus à celle que j’étais à [Victor-] Duruy. C’est la faute à mes élèves qui m’ont rendu mes 15 ans. Avec la méchanceté en moins, je crois. » Sa décision est prise, elle va déménager à Marseille. C’est plus près du lycée, plus près de Christian, aussi.
Des trois immeubles de la résidence Nord, construite en bordure de l’autoroute, la tour F est la plus haute. Treize étages, quatre appartements par étage, exclusivement des F4 réservés aux familles. Gabrielle s’installe au 11e. Les jumeaux auront chacun leur chambre, Joël à côté de celle de sa mère, Valérie à l’autre bout du couloir. Le peu de mobilier est vite installé dans le salon, un grand canapé, des coussins, des étagères pour les livres. Le portrait du Che est du voyage, le chat Frotadou doit composer avec un matou de gouttière recueilli dans la rue. Gabrielle monte le son de la radio qui diffuse le tube de l’été. « Attends-moi/Tu sais que nos deux vies/Sont faites l’une et l’autre/Pour vieillir ensemble. Attends-moi/Surtout n’oublie jamais/Le serment que je t’ai fait/D’être heureux ensemble. » Chœurs, violons, voix sirupeuse. Si sa pianiste de mère abonnée à l’Opéra de Paris la voyait aussi midinette, elle n’en reviendrait pas.
Une professeur tendue, ombrageuse
Gabrielle ahâte de recevoir ses élèves de l’année scolaire écoulée mais la perspective de retourner au lycée et à ses rumeurs l’inquiète. Entre Christian et ses parents, les relations sont tendues. Après ce printemps mouvementé, Mario et Marguerite Rossi entendent bien que leur fils se consacre sérieusement à ses études. Mais l’adolescent de 16 ans, qui a goûté à la liberté, ne supporte plus la surveillance qu’ils exercent sur son emploi du temps. Il leur annonce, dans une lettre, qu’il ne rentrera plus dormir chez eux et retrouve Gabrielle chaque fois qu’il le peut. En classe, ses nouveaux élèves découvrent une professeur tendue, ombrageuse. A ceux de terminale, elle demande de recopier sur une feuille de papier le poème de Baudelaire Enivrez-vous, puis de le commenter. Elle s’irrite de leurs réponses, qu’elle juge décevantes.
Gabrielle n’a qu’une idée en tête, parler aux parents de Christian. Ils iront tous les deux, elle va tout leur expliquer, ils vont comprendre et les laisseront vivre ensemble, veut-elle croire. A Mario Rossi, qui accepte de la rencontrer au restaurant, elle assure qu’il ne doit pas s’inquiéter pour la scolarité de son fils, qu’elle est la première à vouloir le faire travailler. Elle paie même de sa poche les cours de latin que lui donne Pietro, le mari de Josephina, sa femme de ménage qui vient souvent garder les jumeaux. Pietro gagne sa vie comme cordonnier, mais il a gardé de ses sept ans au petit séminaire une passion intacte pour La Divine Comédie,qu’il relit en latin.
Le soir du 10 octobre, Gabrielle se présente comme convenu au domicile des Rossi avec Christian, pour poursuivre l’esquisse de dialogue amorcée au déjeuner. Mais à peine a-t-elle garé sa Dyane que le père sort sur le perron et ordonne à son fils de rentrer à la maison, seul. Par une indiscrétion, Mario et Marguerite Rossi viennent d’apprendre la vérité sur le voyage en Italie, ils sont ulcérés. Que Christian leur ait menti, ils ont déjà du mal à l’admettre. Mais qu’une professeure, qui a le double de son âge, l’ait encouragé à ce mensonge leur est insupportable. Gabrielle tente de s’expliquer, Mario Rossi la coupe, Christian refuse de quitter la voiture, les insultes pleuvent, elle appuie sur l’accélérateur, la Dyane heurte un muret avant de repartir en trombe. Au volant, Gabrielle tremble de tout son corps.
Congé maladie
Au lycée Nord, son nom s’affiche sur le tableau des professeurs absents. La date de son retour est constamment reportée. « Dépression », indique le médecin qui lui signe, début octobre, un congé maladie de trois mois. La bande de fidèles, celle des sorties à skis et sur la plage, se reforme autour d’elle. Anne a bondi de joie quand elle a vu la Dyane rouge garée sur le parking de la résidence Nord. Leur chère Gabrielle installée à une tour d’écart de son appartement familial ! Plus besoin d’alibi pour lui rendre visite, emprunter l’ascenseur jusqu’au 11e étage, s’asseoir avec les autres au milieu des coussins, chacun le sien étiqueté à son prénom, écrire des poèmes que Gabrielle affiche sur les murs. Ensemble, ils imaginent la classe idéale. Ils dictent, elle prend des notes. « Fays ce que vouldras » est leur devise. Gabrielle est proclamée professeure unique de philo, de français, d’espagnol et d’anglais, Anne et Françoise sont ses adjointes, en charge du journal du lycée. En plus de leur « délégation à l’ambiance », Luc et Didier assurent les « cours facultatifs » de latin et de grec, Edith est nommée professeure d’éducation physique, Claudette d’art dramatique, Christian se voit attribuer les cours d’italien, de révolution, et la délégation aux relations humaines.
Ces moments de joie partagée ne durent pas. Gabrielle ne veut plus revenir au lycée Nord. Elle compte sur ses anciens maîtres, Antoine Raybaud et Pierre Volz, qui l’ont préparée à l’agrégation, ainsi que sur le fidèle Raymond Jean, pour soutenir sa candidature à un poste d’assistante à la faculté d’Aix. Mais elle est tendue, inquiète. A plusieurs reprises, elle a aperçu la voiture de Mario Rossi, le père de Christian, autour de la résidence. Joël, qui va sur ses 9 ans, est chargé par sa mère d’aller le repérer.
Face aux absences prolongées de leur fils, les Rossi ont alerté le procureur et fait appel aux conseils d’un de leur camarade du Parti communiste français, l’avocat Christian Grisoli. « Je suis embêté avec une histoire, confie celui-ci à l’un de ses confrères. Le fils d’un de mes clients a une relation avec sa professeure, le père me dit qu’il ne travaille plus et me harcèle pour que je mette fin à cette relation. » La décision des parents est prise : Christian doit changer de lycée. Ils obtiennent son inscription à Argelès-Gazost, dans les Hautes-Pyrénées, loin, très loin de Marseille. Gabrielle le supplie d’accepter, de penser à ses études, elle lui promet d’écrire tous les jours, il exige en échange qu’elle le rejoigne aux vacances de la Toussaint. Le jour de son départ, elle accroche une longue cape au balcon de son appartement, en se disant que Christian la verra depuis l’autoroute.
Le 31 octobre 1968, un jeune homme s’engouffre dans la Dyane rouge de Gabrielle. Les amants s’enlacent, les gendarmes toquent à la vitre. Flagrant délit
Le 31 octobre, la Dyane rouge n’est plus sur le parking, constate la police marseillaise. Gabrielle roule vers Argelès-Gazost. La jeune femme vient de recevoir sa nomination à un poste d’assistante, non pas à Aix, comme elle l’espérait, mais à Rennes. Elle est défaite. Comme le courrier de Christian est surveillé, elle lui a annoncé la mauvaise nouvelle dans un télégramme rédigé en italien et signé d’un prénom masculin. Les gendarmes suivent la Dyane rouge qui emprunte une route sinueuse et se gare à quelques kilomètres d’Argelès-Gazost. Il pleut à verse, un jeune homme venu à vélo s’engouffre dans la voiture. Les amants s’enlacent, les gendarmes toquent à la vitre. Flagrant délit. Gabrielle est conduite au poste, interrogée et priée de rejoindre aussitôt Marseille pendant que Christian est ramené au lycée. « Suis désemparée, t’écris dans un bistrot en buvant un Martini italien. Chris est comme fou, écrit-elle à Luc, leur ami commun. Je vais essayer de le faire tenir jusqu’au 11 novembre, mais je ne crois pas que j’y arriverai. Il ne travaille pas, s’endort à trois heures du matin, se bat avec tout le monde. Tu ne le reconnaîtrais pas, maigri, anxieux, il ne sait même plus me sourire, ou à peine. Ils vont le rendre malade, cinglé. J’ai peur, Luc. » Christian fugue de son établissement et ne donne plus signe de vie à ses parents.
Cette fois, c’est trop. Le 25 novembre, Mario Rossi vient officiellement déposer une plainte contre Gabrielle Nogues pour « enlèvement et détournement de mineur. » L’information est transmise au recteur, lequel prévient le proviseur du lycée Nord. Chez les professeurs, Gilberte Thouvenot, l’amie et la voisine de Gabrielle, et sa collègue de français, Christiane Beulaygues, se retrouvent bien seules à la défendre. Mais parmi les parents, il en est plusieurs que ces poursuites indignent. Le père médecin de Martine Bosc, qui connaît les Rossi, tente de les ramener à la raison. En vain. « Mais comment des intellectuels qui se disent ouverts peuvent-ils se montrer aussi bornés ? », s’exclame-t-il devant sa fille. Colette Dubois, la mère de Luc, est tout aussi révoltée. Cette mère de sept enfants a déjà reçu plusieurs fois l’ancienne professeure de son fils dans son magnifique domaine familial à la Gavotte. Elles ont beaucoup parlé. Colette Dubois, catholique engagée, apprécie la culture et l’éducation de cette petite-fille de pasteur. Mais par-dessus tout, la sincérité de son amour pour son élève la touche.
Sous surveillance policière
Pour l’heure, placée sous surveillance policière, Gabrielle ruse. Elle écrit à son fidèle ami de fac, Albert, pour lui demander d’apporter un colis à Christian, caché dans une chambre d’hôtel à Trets, un village situé à une cinquantaine de kilomètres de Marseille. Elle s’achète une perruque grâce à laquelle elle trompe la vigilance des policiers chargés de la filer. Entrée brune aux cheveux courts dans un grand magasin du centre-ville, elle en ressort blonde et frisée à la barbe des fonctionnaires. Coiffée de la même perruque, elle vient s’enquérir auprès d’une logeuse du prix d’une chambre dans le quartier grouillant de la Capelette, à Marseille. Claudette, Martine, Françoise et Luc se muent en émissaires discrets entre les amants. Prudente, Gabrielle prend aussi conseil auprès de son père, René Russier, avocat à Paris. C’est pour une amie, dit-elle, qui est poursuivie pour enlèvement et détournement de mineur. Le détournement, ça se plaide, l’enlèvement c’est plus ennuyeux, répond-il. Gabrielle se souviendra du conseil.
Le 4 décembre, elle est interpellée gare Saint-Charles devant un guichet et placée en garde à vue. « Je me renseignais pour mon père qui doit venir de Paris », dit-elle aux policiers. « Elle m’a demandé les horaires des trains en partance pour Turin », corrige le guichetier. Le procureur ouvre une information judiciaire. Quelques heures plus tard, Gabrielle pénètre dans le cabinet d’instruction n° 11 du palais de justice de Marseille. Le juge Bernard Palanque lui fait décliner son identité. « Russier Gabrielle, épouse Nogues, en instance de divorce. Née le 29 avril 1937, à Paris. Professeure. » Son âge, d’un coup, lui revient en pleine figure.
Vouloir à tout prix et dans la constance, cad dans une forme d’autocontemplation narcissique, être non-conventionnelle et de « gôche », est un moyen sûr d’être très très conventionnelle, même si c’est au rebours des conventions comportementales coutumières de l’époque.
« L’amour n’a pas d’âge/ Et la mer étale/ Là-bas sur la plage / Non plus n’a pas d’âge » Léo Ferré
Sinon, le seul problème c’est que la source de l’article soit le peu fréquentable Le Monde…
Inutile de réécrire cette histoire avec les paramètres d’aujourd’hui, c’est du média pour le média…il existe la notion de pudeur …
« Mai 68 », quelle mascarade! Dès le début de l’histoire entre Gabrielle Nogues et Christian Rossi, j’éprouvais de la compassion à l’égard des parents de celui-ci, et de la pitié à l’égard du même.