La grande et noble bâtisse, ainsi que son magnifique parc arboré, n’existent plus. Elle a été vendue dans l’urgence à un quelconque promoteur qui s’est empressé d’y bétonner un immeuble résidentiel pour retraités plein aux as..
A l’origine ce fut un bel hôtel construit avec goût, fin du XIX ème siècle, quand la Côte d’Azur a commencé à attirer la bourgeoisie parisienne. Puis elle fut donnée à une congrégation religieuse qui a essayé tant bien que mal de la “rentabiliser” en ne l’ouvrant qu’à la belle saison à des habitués de toutes conditions, toutes fortunes, et toutes origines, désireux de se reposer dans un cadre idyllique à 2 km à vol d’oiseau de la Belle Bleue. La bouffe y était tout au plus mangeable, mais tout le monde s’en foutait tant le lieu était sublimement suranné, le confort des chambres super, et l’ambiance délicieuse. Et puis, comme la congrégation le souhaitait, chacun donnait pour le séjour selon sa fortune.. ce qui n’a pas arrangé les finances de ces religieux dont le dernier supérieur “in situ” m’est cher..
Une sorte de bulle, donc, hors du temps
Une sorte de bulle, donc, hors du temps, où on y trouvait un couple d’ouvriers du Nord, un écrivain allemand à succès, un chef d’orchestre également connu, un journaliste avec ses deux enfants, une famille de travailleurs agricoles, etc.. Une seule règle était “imposée” à cette trentaine de vacanciers : échanger avec tout le monde, et donc ne jamais avoir de place réservée à table. Et pour y avoir séjourné 2 nuits, je confirme le plaisir d’y avoir vu lors des départs le bourgeois embrassant l’agriculteur et tous deux s’échangeant leurs adresses et n° de tel.
Et puis il y avait Sacha
Et puis il y avait Sacha, un colosse, un richissime russo-arménien de Moscou abonné depuis des lustres à ses deux semaines de vacances aoûtiennes dans cette résidence. Il arrivait chaque année avec une nouvelle femme, au volant d’une berline grand luxe louée à l’aéroport de Marseille, et c’était à lui tout seul un spectacle digne des romans de Tolstoï. Embrassades interminables aux intimes, voix de stentor, éclats de rire du matin jusqu’au soir, allant de table en table pour se mêler à toutes les conversations, grandes claques amicales dans le dos des hommes et baise-main à toutes les femmes. En milieu de matinée on l’entendait passer depuis sa chambre ses ordres de vente/achat à ses courtiers ; mais il respectait scrupuleusement le silence de la maison durant l’après-midi. Et un soir sur deux il partait pour St-Tropez pour y retrouver avec sa femme du moment les riches de son monde.
Pourquoi Sacha, dont chacun savait qu’il devait être dur en affaires pas toutes nobles et reluisantes, adorait-il cette résidence de vacances au train plus que modeste, alors qu’il aurait pu demeurer dans un yacht amarré dans le port de St-Tropez avec caviar-champagne à tous les repas ?..
C’est que, pour les personnes âgées sans voiture ce n’était pas si évident que ça pour aller à la plage : si elles ne trouvaient personne pour les y amener, elles devaient prendre la navette municipale gratuite mais à 15 mn à pied ; et du point d’arrivée de la navette continuer à marcher durant 15 autres mn jusqu’à la plage.. et même punition pour le retour..
Sacha était donc tous les matins à 8 h précises au volant de sa berline, prêt à convoyer les personnes âgées jusqu’à la plage pour les y récupérer peu avant le déjeuner. Et s’il fallait amener plus de personnes éclopées que sa berline pouvait transporter, eh bien il faisait autant d’allers-retours.. et toujours avec sa bonne humeur proverbiale.
En fait Sacha se foutait de la mer où il n’y trempait jamais les pieds. Sacha était simplement en “mission” dans le sud de la France, 2 semaines par an, en immersion sur une autre planète pour rendre service à des blessés de la vie en les convoyant à la plage dans son luxueux carrosse.
Une belle âme, Sacha… On se trompe souvent qd on juge sur la seule apparence..🙃
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